** Nous étions convaincu que la lutte des bulls contre les bears était sur le point de trouver son épilogue… et le moment pouvait difficilement être mieux choisi que le vendredi 20 juin, avec l’expiration des options et contrats sur indices et options (mensuelles, trimestrielles et même semestrielles).
Dès jeudi soir, nous étions effectivement parvenus à un tournant. Soit les ours se contentaient des 9% engrangés depuis le début du mois de juin et accordaient leur revanche aux taureaux — histoire de susciter l’entrée en action de nouveaux parieurs à l’entame du mois de juillet –, soit ils tuaient le match en cassant les reins des acheteurs.
C’est cette seconde option — peu chevaleresque diront certains — qui fut retenue. Le déclenchement de signaux d’alerte à la baisse, immédiatement convertis en rafales d’ordres de vente, a pris l’allure d’un véritable tsunami au cours des 90 dernières minutes de cotations. Plus rien ne sera pareil à l’issue de la séance du 20 juin, c’est fort probable.
C’est la fin du suspense concernant la tendance estivale. Nous la pressentions négative mais nous avons parié sur une répétition du scénario observé de mi-mars à mi-juillet 2007 : les dividendes avaient soutenu les indices à la fin du premier semestre — après une entame de juin calamiteuse, suivie d’un beau rebond qui ramenait les marchés à 1% de leurs records annuels de la mi-mai — puis durant la première quinzaine du second semestre.
Tout s’est effectivement déroulé de façon quasi-identique en 2007 et 2008, du 15 mars au 13 juin — ces deux dates marquant des creux majeurs pour le CAC 40. Nous escomptions alors revoir le marché parisien reprendre la moitié du terrain perdu entre 5 140 points et 4 615 points — cela ne semblait pas trop ambitieux. Wall Street avait même entretenu l’espoir en reprenant effectivement 2% les 12 et 13 juin.
Mais les places européennes sont restées dans l’ornière ; l’incursion du CAC 40 au-dessus des 4 700 points le 17 juin n’a constitué qu’une « fausse sortie » haussière. Nous avons cru à un simple faux pas car le baril de pétrole rechutait vers 133 $ le soir même, tandis que, la veille, une déferlante de très mauvais chiffres américains concernant l’inflation, l’immobilier et l’activité industrielle avaient été bien digérés : les places européennes gagnaient 0,6%.
Cette relative fermeté s’avère donc trompeuse. Dans un contexte économique et boursier fortement dégradé (depuis la mi-juin), avec un plongeon de 20% de Shanghai en 10 jours, et une prise de conscience de la virulence des pressions inflationnistes, la moindre étincelle pouvait mettre le feu aux poudres — cela aurait dû être le cas dès le 13 juin.
** Les opérateurs invoquaient vendredi dernier une étude négative (une de plus !) de Merrill Lynch sur le secteur bancaire américain. La crise des subprime n’en finit pas de dégénérer en dépréciations d’actifs, suivies d’augmentations de capital. La note de la banque d’affaires est tombée au pire moment, en pleine journée des « quatre sorcières » qui marque la fin du premier semestre pour une majorité de gérants — mais aurait-elle fait trébucher les indices en mai dernier lorsque le CAC 40, par exemple, débordait les 5 000 points et semblait indifférent au contexte macroéconomique ?
La cassure des supports moyen terme sur le CAC 40, jeudi dernier en toute fin de séance, était de mauvais augure. Elle pouvait cependant relever d’une tactique de très court terme visant à maximiser les gains sur des positions short constituées dès le 19 mai dernier (première séance de l’échéance juin) entre 5 100 points et 5 140 points.
Au lendemain d’un sursaut des indices américains, la matinée de vendredi s’était inaugurée sur une note positive qui effaçait effectivement le terrain perdu la veille entre 17h05 et 17h30 — les indices affichant des gains de 0,2 à 0,3% en moyenne.
Les opérateurs pouvaient se montrer raisonnablement confiants pour le reste de la journée, en l’absence de publication de statistiques économiques de part et d’autre de l’Atlantique. Cependant, tous les indices boursiers ont brutalement décroché de 1,5% entre 12h45 et 13h10 alors qu’aucune information dramatique ne justifiait un tel trou d’air — la dégradation de notation d’Ambac et MBIA par Moody’s était déjà dans les tuyaux.
Sans qu’aucune information économique majeure ne soit parue vers 15h30 — Wall Street ouvrant comme prévu en baisse de 1% –, le CAC 40 a décroché de 1% supplémentaire en quelques minutes, ce qui portait son repli à 2,5% pour un plancher de 4 475 points… à moins de 1% du plus bas annuel de clôture du 17 mars.
Le bilan de ce mois de juin est consternant, avec trois semaines de lourd repli consécutif (-3,7% du 13 au 20 juin) et un bilan global de -10% qui rappelle les heures sombres du mois de janvier (-13%) mais également de mars (-11%). A l’issue d’une séance en forme de capitulation (-2,5% au plus bas du jour), le recul de 1,8% du CAC 40 aboutit à la cassure du support long terme unissant les plus bas du 13 mars 2003 puis du 17 mars 2008.
A mi-parcours, l’année boursière se solde par un score sans appel de -19,7%, ce qui efface tous les gains de 2006 et 2007 (cumulés).
En clôture, tous les indices paneuropéens cédaient entre 1,75% et 1,85%. Francfort et Amsterdam perdaient 2,1%, le S&P 500 lâchait 1,3% et le Nasdaq 1,8%.
** Cette journée des « quatre sorcières » a donné lieu à une démonstration de force des vendeurs qui ont laminé les cours pratiquement sans aucune opposition. La violence de la correction ne s’explique que partiellement par la longue liste des facteurs macroéconomiques négatifs recensés depuis 15 jours — et qui ne sont guère différents de ceux observés en mai. Il apparaît en effet que le principal changement de perspective de ces 15 derniers jours concerne l’évolution des politiques monétaires en Europe et aux Etats-Unis.
La flambée du pétrole jusque vers 140 $ (il y a dix jours) puis vers 136 $ vendredi n’a rien arrangé mais la tension des taux courts et longs semble faire plus de dégâts. Le rendement des Bunds 2018 atteint 4,62% et celui des T-Bonds 4,15%.
La plupart des sociétés présentant un fort niveau d’endettement ont vécu une semaine d’enfer. Peugeot et Accor ont chuté de 7,2%, Vinci de 6,6%, France Télécom de 5,5%. Et que dire de Véolia, une de nos favorites pour le moyen terme, qui plonge de 9% suite à l’abaissement de ses prévisions pour 2008, ou de Dexia qui s’effondre de 14,5% ? Pour ce dernier, la chute a eu lieu en dépit de communiqués successifs du spécialiste des financements aux collectivités locales qui a constamment démenti les rumeurs alarmistes concernant sa filiale américaine, le réassureur FSA et qui a publié des bilans ne révélant qu’une faible exposition aux subprime.
Si les marchés doutent de la sincérité de la communication des entreprises, la période n’est franchement pas favorable pour investir. Et si en outre nous découvrons que les chiffres et les bilans présentés travestissent effectivement la réalité, nous risquons alors de devoir nous détourner des actions pour quelques temps… à l’exception des mines d’or, qui peuvent entrevoir un bel avenir si la confiance dans les autres actifs financiers a été mise K.-O. par les ours ce 20 juin. Il ne reste plus qu’à estimer au plus juste l’ampleur du rebond technique qui devrait permettre aux taureaux de se relever pour venir saluer une dernière fois le public.
Philippe Béchade,
Paris