▪ "Lorsque vous devez expliquer aux autres quelle est votre raison d’être, c’est qu’il est grand temps de tourner la page". Cette petite phrase aurait échappé ce week-end à l’un des invités participant au G7 réuni à Istanbul.
Fondé en 1976 à l’initiative des grands argentiers des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, du Canada, de la France, de l’Allemagne, du Japon et de l’Italie, le G7 s’est targué de diriger les affaires économiques du monde pendant trois décennies… considérant que la Chine, la Russie, l’Inde, la Corée du Sud ou le Brésil et l’Argentine jouaient en seconde division, voire à l’encontre des intérêts occidentaux.
Quelques sommets ont peut-être occasionné des inflexions utiles de la politique économique de certains de ses membres. Cependant, ce sont d’abord les non-membres qui ont payé les pots cassés chaque fois qu’une crise est apparue en Europe ou aux Etats-Unis suite à de mauvaises décisions collectives de l’élite. Le G7 semble surtout avoir entériné, plutôt qu’il ne l’a orchestré, un vaste mouvement de dérégulation et de libéralisation de l’économie mondiale.
Toute prise de position, toute initiative n’allant pas dans ce sens est demeuré lettre morte. Le fossé nord-sud a continué de se creuser. Les inégalités au sein des démocraties ont recommencé à croître — jusqu’à devenir insoutenables à la fin de l’ère Bush, avec l’enfermement délibéré des classes défavorisées et moyennes dans le piège du crédit aux Etats-Unis et la virtualisation à outrance de l’économie mondiale.
Dominique Strauss-Kahn n’a jamais porté le G7 dans son coeur. Mais plus que de l’accuser de tous les maux, il préfère souligner l’insignifiance de son action : "ses communiqués n’intéressaient personne car aucune suite ne leur était donnée la plupart du temps" (il en parle déjà au passé… comprenne qui peut).
Encore ses membres consentaient-ils à faire l’effort d’extérioriser une partie de leurs débats… Une façon de se dédouaner de l’image de super-VIP se réunissant pour célébrer le bonheur de converser entre soi tandis que le reste de la planète fait la queue derrière le cordon de velours rouge… en espérant qu’un maître du monde aura la gentillesse d’adresser en repartant un sourire compatissant aux foules "qui n’en sont pas".
▪ La plupart des observateurs sont d’avis que le sommet du G7 d’Istanbul avait comme des relents de fin d’une époque, voire de naufrage sur le Bosphore.
Tout d’abord parce que la plupart des journalistes présents sur place n’avaient pas l’intension de consacrer plus de quelques paragraphes à l’événement — la ville-hôte présentant bien davantage d’attraits que Pittsburgh où le G20 s’était réuni 15 jours auparavant. En second lieu parce que Nouriel Roubini avait promis de dévoiler ses dernières réflexions concernant la santé de l’économie mondiale.
Pendant que ce dernier mobilisait l’attention de la presse, les membres du G7 passaient la majeure partie du dernier week-end à se demander s’ils devraient se réunir moins souvent, avec moins de faste — sans parler du coût prohibitif de la sécurisation de l’événement. Ils se demandaient également s’il était encore utile de produire des communiqués de synthèse, le dernier en date (du 4 octobre) étant un modèle de manque de détermination et de consensus au sujet de la force du dollar.
▪ Le "professeur" Roubini n’a pas manqué l’occasion de rappeler que sans plans de relance, il n’y aurait pas eu de reprise aux Etats-Unis ni en Europe et que le retour à une croissance nulle ou négative n’était qu’une question de mois.
L’universitaire privilégie toujours un scénario en "W"… lequel risque même d’apparaître très aplati car la Maison Blanche a formellement écarté lundi soir toute nouvelle mesure de soutien supplémentaire à l’économie américaine.
Pour l’anecdote, Alan Greenspan dissimule à peine, à travers quelques figures de rhétorique, ses propres doutes sur l’efficacité du premier plan triennal de 787 milliards de dollars, d’ailleurs sujet à débat au sein de la communauté financière (dont il reste l’un des gourous).
N. Roubini se montre moins pessimiste qu’à l’époque où il dénonçait une industrie bancaire moribonde, un paysage financier peuplé de "zombies" et la fuite vers la création monétaire sans aucun plan autre que l’inflation pour réduire les déficits. Cependant, il ne manque pas de souligner l’impact négatif, sur les particuliers et les PME, de la faillite d’une centaine de banques américaines en neuf mois aux Etats-Unis.
▪ Il en fallait plus que ce diagnostic pour faire reculer des marchés américains qui ont déjà consolidé à sept reprises sur une série de huit séances, perdant en moyenne 4%.
Nous retiendrons de la journée de lundi un retour des acheteurs timide en Europe mais beaucoup plus agressif à Wall Street. La raison en était un beau rebond de l’activité dans le secteur des services (le tertiaire représente 75% à 80% du PIB américain) en septembre, avec un indice ISM non manufacturier qui s’est établi à 50,9, contre 48,4 en août.
Les indices américains ont creusé de gros écarts en seconde partie de séance (le S&P a bondi de 1,5%) par rapport à leurs homologues européens (Paris n’avait repris que +0,7%). Ce qui a clairement fait la différence, c’est le relèvement de recommandation, à "surpondérer", concernant le secteur bancaire (+3,5% en moyenne lundi soir) de la part du très influent bureau d’étude de Goldman Sachs.
Cette notation améliorée a provoqué une envolée de 6,9% de Wells Fargo, de 4,7% de JP Morgan, de 3,8% de Bank of America et Citigroup… et enfin de Goldman Sachs (+3,82% à 186,5 $) : on est jamais si bien servi que par soi-même !
Pour mémoire, c’est également un papier favorable de l’analyse vedette de Goldman, à propos du même secteur bancaire, qui avait provoqué la flambée historique des indices américains début août.
Les investisseurs ont beau peaufiner leurs équations et leurs modèles économétriques, et invoquer des lendemains qui chantent… lorsque Goldman Sachs émet un avis, la Bourse a souvent comme de faux airs de Jacadi !