** Compte tenu de la rechute de 1,8% des indices américains mercredi, nous avions résolu de considérer comme nulle et non avenue la hausse de 0,68% du CAC 40 survenue quelques heures auparavant… et les indices européens sont bel et bien retournés à la case départ jeudi matin.
Vu le peu d’intérêt de commenter les volte-face stériles de Wall Street ou du CAC 40 depuis le début de la semaine, nous avions résolu jeudi de vous fournir quelques éléments de réflexion supplémentaires concernant la problématique de la flambée de l’énergie et d’expliquer par quels mécanismes l’agro-économie mondiale s’en trouvait déstabilisée.
** Les carburants verts ont d’abord été produits à partir du maïs, ce qui a fait bondir les cours de cette céréale. Symétriquement, les surfaces cultivées en blé ont été réduites, ce qui a fait grimper le prix du blé, incitant les agriculteurs à augmenter dès l’année suivante cette céréale, au détriment du soja… qui devenu plus rare est à son tour devenu plus cher : c’est ainsi que se propage l’effet domino (ou réaction en chaîne) que vous connaissez bien.
Nous avons démontré comment le déficit en eau — et le renchérissement de cette ressource — était accru par le développement de l’industrie de l’éthanol mais également par la priorité accordée à l’élevage bovin et porcin. Nous avons également expliqué comment la spéculation rendait, en quelques heures, comme ce fut le cas le 28 mars dernier, le prix des denrées alimentaires de base inabordables pour des centaines de millions d’habitants de la planète alors que la pénurie de céréales reste tout au plus marginale.
Ceci dit, les mesures protectionnistes adoptées successivement par l’Inde, le Vietnam, le Brésil et l’Egypte — qui ont suspendu leurs exportations de riz — ont provoqué des effets dévastateurs chez leurs principaux clients d’Afrique sub-saharienne, d’Asie centrale et d’Asie du sud-est.
Flairant le bon filon, un célèbre bancassureur belge s’est aussitôt empressé de proposer à ses clients une assurance-vie dont le rendement est adossé à la flambée des prix agricoles (histoire de garantir que les corn-flakes, les pâtes et le risotto pourront continuer à être au menu des épargnants le jour de leur retraite ?). Mais est-ce beaucoup plus choquant que de se constituer un portefeuille de valeurs orientées pétrole ou matières première ?
** Le mécanisme qui a poussé les cours de l’or noir vers de nouveaux sommets presque chaque jour qu’a compté cette semaine (le baril cote 124,5 $ au moment où nous écrivons ces lignes) semble moins complexe que celui que nous venons de décrire concernant les céréales. Cependant, la spirale haussière des dernières heures nous apparaît cette fois-ci assez incompréhensible : les stocks de pétrole brut américains se sont gonflés de 5,7 millions de barils du 26 avril au 3 mai (au lieu des 1,6 à 1,8 millions prévus).
Qui plus est, les réserves se sont accrues de 15 millions de barils en trois semaines. Résultat des courses : en un peu plus de 24 heures, le pétrole bondit en un peu plus de 121 $ vers 124,6 $.
Même si la situation pétro-stratégique demeure chaotique au Nigeria, les sabotages revendiqués par des organisations rebelles ou séparatistes ne datent pas d’hier ; les marchés sont accoutumés depuis des années aux ruptures ponctuelles d’approvisionnement en provenance de ce pays, quatrième ou cinquième producteur mondial selon qu’il parvient ou non à exploiter toute sa capacité de production.
Alors, quelle cause invoquer ? Une étude de Goldman Sachs qui étaye le scénario d’une envolée historique de l’or noir vers 150 $… et pourquoi pas 200 $ le baril d’ici fin 2009, voire fin 2008 si la machine continue de s’emballer ? La rumeur d’achats soutenus de la Chine à trois mois jour pour jour de la cérémonie d’ouverture des jeux olympiques ? Des raisons géostratégiques connues d’une poignée d’initiés (non, il ne s’agit pas d’une nouvelle variante de la théorie du complot) qui approuveraient — en connaissance de cause — les anticipations de Goldman Sachs ?
** Dans de telles conditions, ô combien nous semblent surréalistes les commentaires mensuels de J.C. Trichet, qui prétend préserver la stabilité monétaire par le biais d’un maintien inflexible de l’ancrage des anticipations inflationnistes. Comme si le maintien du « repo » à 4% pouvait nous protéger de la hausse mondiale des cours du riz après que le cyclone Nargis a noyé 5 000 kilomètres carrés du delta de l’Irrawaddy et dévasté l’une des plus grandes zones de production rizicole d’Asie du sud-est.
Comme si la « vigilance » — plus que jamais d’actualité — des membres de la BCE pouvait nous mettre à l’abri d’une spirale haussière des matières premières qui s’est enclenchée à la mi-janvier 2007… juste au moment où les prix de l’immobilier entamaient leur désescalade aux Etats-Unis, tandis que la bulle des subprime devait éclater six semaines plus tard.
De colossales masses d’argent ont commencé à se déplacer de la sphère des dérivés de crédit et des sous-jacents virtuels (des instruments comme les CDO, ABS, RMBS et autres CDS sont de pures fictions mathématiques) vers du « concret », c’est-à-dire les commodities, début 2007. Le mouvement s’est accéléré en septembre dernier… et la « phase maniaque » a peut-être débuté le 5 mai !
D’après J.C. Trichet, le strict encadrement des salaires serait le principal moyen de lutter contre l’inflation de second tour. Autrement dit… il faut laisser le pouvoir d’achat des ménages les plus pauvres continuer de se détériorer sous peine de voir le prix du pétrole et des céréales continuer de s’envoler. Il ne vient pas à l’esprit de M. Trichet (ou alors il cache bien son jeu) que détourner la spéculation du NYMEX ou du Chicago Board of Trade et inciter les agriculteurs à réorienter leur production pourrait donner de meilleurs résultats que la politique de l’euro fort… sur fond d’inflation bien plus forte encore !
J.C. Trichet reconnait du bout des lèvres que les turbulences sur les marchés commencent à affecter la confiance (en France, elle est au plus bas depuis 27 ans… elle ne chute pas que depuis les dernières fêtes de Pâques !) et que le rythme de la croissance ralentit.
** Les indices boursiers n’ont guère réagi jeudi à un communiqué de la BCE qui ne signale pas de progression notable du risque de ralentissement économique. Le marché parisien, qui reculait de 0,8% à une heure de la clôture (le dollar rechutant sous les 1,54/euro), a bénéficié d’un sérieux coup de pouce au cours du dernier quart d’heure de cotations et jusqu’au moment du fixing.
Le CAC 40 limitait au final son repli à -0,4%, dans des volumes voisins de 4,45 milliards d’euros, ce qui est plus qu’honorable pour une séance semi-fériée (célébration du 8 mai 1945).
Cette journée nous a permis de constater une nouvelle fois l’étendue de l’autisme des membres de la BCE face aux mécanismes économiques qui constituent les causes réelles de l’inflation ; elle nous également permis d’avoir la confirmation de l’existence d’un petit support graphique à 5 030 points sur le CAC 40.
En conclusion, rien qui nous rassure sur la capacité de nos sherpas à nous épargner une douloureuse stagflation… et rien qui nous permette d’écarter une rechute du CAC 40 sous les 5 000 points et encore moins en direction de ses planchers annuels.
Philippe Béchade,
Paris