Les solutions pour « rendre sa grandeur à l’Amérique » sont connues et pourtant, ce n’est pas du tout celles qu’applique Donald Trump.
On a appris la semaine dernière que la BCE a fait ce qu’elle a dit qu’elle allait faire, tout comme la Fed. Après 2 700 milliards de dollars de « relance », elle a officiellement levé le pied. Terminé, les rachats obligataires. Pour l’instant, elle suit la Fed dans un retour à une politique monétaire « normale ».
C’est tout juste si l’annonce a fait les gros titres. Les médias savent ce qui intéresse les gens : la téléréalité et les fake news, principalement. Pas la politique monétaire des banques centrales.
En Une, on retrouve le Trump Show 24h/24 et 7j/7… et les représentations sont toujours complètes.
Nombre de nos lecteurs l’adorent. Ils sont convaincus que le président américain est un génie qui va Rendre Sa Grandeur à l’Amérique. Aucun besoin de lire les petits caractères ou de se demander comment, exactement, il va s’y prendre.
Généralement, ils écrivent pour nous dire que nous « ne le comprenons pas ». Ou qu’il a « plus fait en 18 mois qu’Obama en huit ans ». Ou qu’Hillary Clinton étant de l’autre côté, notre seul espoir est de « soutenir le président ». Ou encore que « notre côté gagne enfin… qu’est-ce qui ne va pas chez vous ? »
Ce doit être aussi inexplicable pour nos lecteurs que pour nous. Comment pouvons-nous résister au charme de The Donald ? Comment n’avons-nous pas succombé à son envoûtement ?
Certains lecteurs pensent que nous cachons quelque chose. « Vous êtes un démocrate qui ne veut pas l’avouer »… a écrit l’un d’entre eux. « Vous faites partie des bestioles du marigot », a écrit un autre, tandis qu’un troisième nous a accusé de faire partie du Deep State.
La perplexité va dans les deux sens. Alors que nos lecteurs ne peuvent pas imaginer pourquoi nous ne voyons pas le halo au-dessus de la tête de Donald Trump, nous ne parvenons pas à comprendre ce qu’ils lui trouvent.
Le vrai âge d’or des Etats-Unis
Nous avons donc mis le tacot en marche arrière… pour essayer de réexaminer la situation. Nous allons revenir à l’âge d’or des Etats-Unis – c’est-à-dire la période entre la guerre de Corée et la guerre du Vietnam.
L’économie de l’époque était en plein boom. Les Etats-Unis avaient le plus grand excédent commercial au monde… le secteur manufacturier le plus solide… la devise la plus forte et les salaires les plus élevés au monde. La dette de la Deuxième guerre mondiale était en train d’être remboursée.
Elu en 1952, Dwight Eisenhower mit fin à la guerre de Corée, équilibra le budget, réduisit la dette de près de 15%, exprimé en tant que pourcentage du PIB (aucun président suivant n’arrive à sa cheville dans ce domaine), fit passer les dépenses gouvernementales, de 20% à 18% du PIB (même Ronald Reagan n’y est pas parvenu) ; il réduisit les dépenses militaires de 20% en 1956 (même si elles augmentèrent par la suite), l’indice Dow Jones doubla et les revenus des gens augmentèrent de 45%.
Eisenhower résista également à la tentation de jouer les gros bras à l’étranger. Lorsqu’Israël envahit l’Egypte en 1956, alors que la Grande-Bretagne et la France se jetaient allégrement dans la mêlée, il refusa de participer. Il s’allia à l’Union Soviétique et menaça de vendre les obligations britanniques si la Grande-Bretagne refusait de se retirer.
Bien entendu, Eisenhower n’était pas un saint. Il aurait peut-être dû essayer de défaire les programmes du New Deal de Roosevelt. Il aurait peut-être dû démanteler la CIA. Mais les courants de l’histoire étaient trop forts et coulaient dans l’autre direction.
Tout de même, les principales caractéristiques de ses deux mandats ont été la paix et la prospérité, avec relativement moins d’accords gagnant-perdant imposés par les autorités.
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Ce qu’une banque centrale devrait faire
Nous devrions mentionner qu’Eisenhower a également été bien servi à la Fed par William McChesney Martin.
Martin était un diplômé de latin de Yale qui avait rejoint la maison de courtage AG Edwards, où il fut nommé associé deux ans plus tard. Il fit ses preuves si rapidement qu’il fut élu à la tête du New York Stock Exchange à l’âge de 31 ans. Ensuite, quand la Deuxième guerre mondiale éclata, il servit sous les drapeaux en tant que simple soldat.
McChesney Martin avait une idée simple et modeste de sa mission à la Fed. Il ne recherchait ni le plein emploi, ni le Dow à 30 000 points, ni 2% d’inflation des prix à la consommation. Il ne faisait pas la cour et n’obéissait ni aux démocrates, ni aux républicains.
Le modèle de la Fed d’aujourd’hui – basé sur la « stochastique dynamique » – lui aurait semblé être du grec… ou peut-être simplement des sottises ridicules. Les taux négatifs… l’assouplissement quantitatif… et un bilan de la Fed à 4 400 milliards de dollars – tout cela aurait été considéré comme du charlatanisme pur et simple… avec peu d’espoir et beaucoup de suspicion.
Le président de la Fed des années 1950 voyait plutôt son rôle comme consistant simplement à « retirer le bol de punch » lorsque la fête devenait trop folle (Richard Nixon accusa les politiques de resserrement monétaire de Martin d’avoir causé sa perte électorale en 1960). En regardant en arrière, quoi que Eisenhower et McChesney Martin fassent à l’époque, ça fonctionnait.
Le PIB des Etats-Unis passa de 355 milliards de dollars en 1950 à 487 milliards de dollars en 1960. Les riches devinrent plus riches. Les pauvres devinrent plus riches aussi. Les emplois abondaient. Un homme ordinaire avec un travail ordinaire pouvait faire vivre une famille ordinaire de manière parfaitement ordinaire.
(Une notre personnelle : lorsqu’il retira son uniforme, notre père obtint un travail dans le civil à Fort Meade, dans le Maryland, emprunta 4 000 $ à une banque locale, construisit sa propre maison et éleva quatre enfants. Les choses se gâtèrent peu après, mais ce n’était pas de la faute de l’administration Eisenhower !)
La démocratie devenue un fantôme insolvable
On pourrait donc penser que, si l’on est sérieux quant à l’idée de rendre sa grandeur à l’Amérique, on devrait imiter Ike Eisenhower plutôt que George W. Bush ou Barack Obama.
On voudrait finir les guerres, pas les commencer. On voudrait équilibrer le budget fédéral, pas accumuler les plus gros déficits de toute l’histoire. On voudrait réduire les dépenses fédérales et le budget du Pentagone, pas les augmenter. On voudrait moins de gouvernement, pas plus. Et moins de dette aussi, pas plus.
En d’autres termes, on voudrait faire tout le contraire des administrations Bush et Obama.
Mais lorsque nous observons la splendeur comique des Etats-Unis de 2018, nous ne voyons ni la réincarnation de Dwight Eisenhower à la Maison Blanche, ni la redite de William McChesney Martin à la Fed.
Non, nous voyons ce dont Eisenhower nous avait avertis le 17 janvier 1961 :
« Alors que nous regardons vers l’avenir de la société, nous – vous et moi, et notre gouvernement – devons éviter l’impulsion de ne vivre que pour aujourd’hui, pillant pour notre propre confort les précieuses ressources de demain. Nous ne pouvons pas hypothéquer les actifs matériels de nos petits-enfants sans risquer aussi la perte de leur héritage politique et spirituel. Nous voulons que la démocratie survive pour toutes les générations à venir, pas qu’elle ne devienne le fantôme insolvable de demain ».
Que signifie la dette nationale actuelle de 21 000 milliards de dollars ? Exactement à ce qu’Eisenhower nous avait conseiller d’éviter : un pillage du futur… et une hypothèque sur les précieux actifs de nos petits-enfants.
Mais le vieux général ne s’est pas arrêté là. Il a également vu le Deep State prendre forme :
« Dans les assemblées du gouvernement, nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu’elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque d’une désastreuse ascension d’un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques. Nous ne devrions jamais rien prendre pour argent comptant. Seule une communauté de citoyens prompts à la réaction et bien informés pourra imposer un véritable entrelacement de l’énorme machinerie industrielle et militaire de la défense avec nos méthodes et nos buts pacifiques, de telle sorte que sécurité et liberté puissent prospérer ensemble ».
Donald Trump, génie aux méthodes divines ?
Pourquoi George W. Bush a-t-il inventé le fantasme des « armes de destruction massive » et attaqué l’Irak après avoir promis à ses électeurs une politique étrangères plus « humble » ?
Pourquoi Barack Obama a-t-il continué les mésaventures militaires au Moyen-Orient même après s’être engagé à y mettre fin ?
Comment se fait-il que Donald Trump – qui a critiqué à maintes reprises les guerres américaines perdantes au Proche-Orient et a promis une nouvelle politique étrangère avec pour mot d’ordre « l’Amérique d’abord » – ait complètement adopté l’intégralité du programme Bush/Obama, avec lequel aucun passereau ne peut tomber dans le monde sans avoir été poussé par le Pentagone ou la CIA ?
Pourquoi le gouvernement Trump accumule-t-il des déficits de 1 200 milliards de dollars – en temps de paix, durant une expansion économique – anticipant une dette totale de 30 000 milliards de dollars environ d’ici 10 ans ?
Pourquoi la Fed est-elle gérée par l’un des disciples des présidents de la Fed de l’ère Bush/Obama, Bernanke et Yellen, plutôt que par une personne de la trempe de McChesney Martin ?
Et pourquoi le budget du Pentagone serait-il augmenté, alors qu’il pourrait être divisé par deux et améliorer, en fait, la sécurité de la mère-patrie ?
Pourquoi ? Parce que Donald Trump est un tel génie que ses méthodes sont quasiment divines… mystérieuses, impénétrables… au-delà de la compréhension des simples mortels ? Voit-il (lui et apparemment bon nombre de nos lecteurs) quelque chose que nous ne voyons pas ?
Ou bien était-ce le général Eisenhower qui voyait plus clairement que quiconque d’entre nous ?