▪ Aujourd’hui, je voudrais vous expliquer comment fonctionne l’effet de levier qu’utilise le système financier. Cela est très important pour comprendre comment va évoluer cette crise et ce qui nous attend. Effet de levier et risques sont liés. Vous saisirez aisément que démultiplier un bon effet, c’est bien mais que démultiplier un effet néfaste, c’est désastreux. Mieux vaut amplifier le bonheur que le malheur.
Si vous sous-estimez vos risques et que vous appliquez un gros effet de levier vous risquez la catastrophe.
« Imaginez que la Grèce ne rembourse rien, ou tout au plus 10% de sa dette totale. Ce n’est pas simplement le gouvernement grec mais le secteur privé qui va faire faillite. Cela signifie que les banques d’autres pays auront des ennuis, ce qui implique qu’elles seront nationalisées. Les gouvernements n’ont pas d’argent pour cela, donc ils endosseront encore plus de dettes. C’est la réaction en chaîne à laquelle je m’attends en 2012 ». Felix Zulauf, Zulauf Asset Management.
Felix Zulauf s’est forgé une réputation mondiale de lucidité et avait déjà vu venir le coup du krach de 1987. La Grèce est un petit pays, mais la contagion que décrit Felix Zulauf est possible à cause justement de l’effet de levier. L’ardoise devrait être de 700 à 800 milliards d’euros dont 200 à 300 milliards d’euros supportés par la BCE, estimait-il dans Le Temps le 20 janvier 2012.
La fragilité du système bancaire est le risque le plus menaçant pour votre patrimoine.
Dans la très grande majorité des pays, les banques d’investissement — celles qui recourent à d’importants effets de levier pour leurs opérations — et les banques de dépôt sont une seule et même entité.
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Après 1929, on avait tenté de séparer banque d’affaires (encore appelée banque d’étage) et banque de détail (encore appelée banque de rue). Aux premières la prise de risque et les gros bénéfices, aux secondes la sécurité d’abord.
Mais le lobby bancaire a réussi à casser le mur de séparation, ce qui leur permet aujourd’hui d’utiliser l’argent des déposants pour leurs investissements — c’est-à-dire des opérations de marché à effet de levier. Si les banques qui se livrent à des opérations risquées n’utilisaient pas l’argent des déposants, elles paieraient leurs capitaux plus chers et leurs marges s’effondreraient. Une façon simple de réduire le risque dans le système consisterait à augmenter les exigences de fonds propres.
▪ Comment fonctionnent les exigences de fonds propres
Les fonds propres d’une banque sont, comme pour une entreprise, l’argent qui lui appartient en propre. Pour une banque, il s’agit du capital versé par les associés et les bénéfices dégagés mais non distribués. Les exigences de fonds propres sont fixées par les accords de Bâle qui fixent un rapport entre ceux-ci et les « actifs pondérés en fonction des risques ». Les actifs sont dans le cas d’une banque des actifs financiers : créances, hypothèques, obligations, actions, parts d’investissement…
Cher lecteur perspicace, dès que vous entendez « risque », votre système d’alerte interne doit se mettre en éveil puisque vous avez compris que tout ce qui concernait les calculs de risque en finance était pour le moins douteux. Chaque actif détenu par les banques — créances, obligations, actions — a un niveau de risque différent.
La fraction magique est donc capitaux propres/actifs pondérés des risques. Plus la masse « actifs pondérés des risques » augmente, plus la banque a besoin de capitaux propres. Prenons en exemple la notation d’un pays.
▪ L’origine de la collusion entre banques et Etats
Vous avez eu les oreilles rebattues du Triple A. AAA c’est, en matière financière, le risque quasi nul, la probabilité infime que l’argent ne revienne pas. Il n’y a pas mieux. C’est le plus souvent l’apanage des signatures de grands Etats.
Immédiatement, votre sirène d’alarme mentale gagne quelques décibels d’intensité. Oui, les emprunts d’Etat (ou obligations souveraines) sont considérés comme ce qu’il y a de moins risqué. La réglementation favorise donc les banques qui prêtent aux Etats. A taux d’intérêt égal, prêter à un gouvernement immobilise moins de fonds propres que prêter à une entreprise.
C’est l’origine de ce que nous dénonçons sans relâche depuis des années : la collusion entre les Etats et les banques.
C’est aussi pour cette raison que les uns s’empressent de sauver les autres de leurs propres erreurs (et vice versa). C’est toujours gagnant-gagnant entre banques et Etats ; s’il faut un perdant ce sera le contribuable.
Vous entendez aussi souvent parler de tier one. Pour faire simple, disons que ce sont les fonds propres les plus solides, de meilleure qualité. On retire toutes les fantaisies comme les goodwill ou d’autres actifs dits « intangibles ». Le ratio tier one est donc capitaux propres tier one/actifs pondérés des risques. Si vous mettez 10 milliards d’euros de fonds propres tier one en numérateur et que la somme des actifs pondérés des risques est de 200 milliards d’euros, le ratio tier one est de 5%.
▪ Méditations amères sur la pondération des risques
Pour une même somme totale d’engagements, deux banques peuvent avoir un montant d’actifs pondérés des risques très différents. Supposons deux banques ayant toutes deux 1 000 milliards d’euros d’engagements. La banque Fantasia a en portefeuille de nombreux prêts à des entreprises de l’Europe du Sud. La banque Granitos a en portefeuille des bund allemands et des obligations de l’Etat français. La réglementation pourra exiger de Fantasia 50 milliards d’euros de fonds propres et seulement 30 milliards d’euros pour Granitos.
Il est classique que les engagements totaux d’une banque représentent deux à trois fois ses actifs pondérés des risques. Pratiquement, le ratio fonds propres/engagements est de 2 à 3%.
– 2% signifie que l’effet de levier est de 50.
– 3% signifie que l’effet de levier est de 33. Comme, nous avons vu que le calcul des risques dans la finance était totalement faux, ce sont bien ces chiffres d’effet de levier — de 30 à 50 — que vous devez avoir en tête.
Supposons que 2% ou 3% des actifs d’une banque soient détruits : tous les fonds propres sont consommés. La banque est donc en faillite. Elle n’a plus le droit de poursuivre ses activités.
Que faut-il pour que les actifs soient détruits ? Que certains emprunteurs ne remboursent pas, que des actions en portefeuille ne cotent plus, qu’un produit dérivé se volatilise en vol, que des entreprises dans lesquelles la banque a pris des participations fassent faillite, qu’un Etat souverain ne rembourse pas… Les banques n’ont que 2 à 3% de marge d’erreur.
Et notre argent, nos dépôts, dans tout ça ?
Les fonds propres sont là pour parer à la casse si les risques se matérialisent. Mais une banque prête bien vos dépôts. La réglementation impose aux banques une réserve obligatoire. Il s’agit de l’argent qu’une banque est obligée de déposer auprès de sa banque centrale. C’est cette dernière qui fixe le taux de réserve obligatoire.
Vous pourriez penser qu’avec la crise et les inquiétudes des déposants ce taux allait augmenter. Grave erreur, il vient de diminuer en novembre 2011. Il est passé de 2% à 1%. Avant novembre 2011, si la banque Granitos avait un million d’euros de dépôts, elle devait en déposer 2%, soit 20 000 euros à la BCE.
Depuis décembre 2012, la banque Granitos n’a désormais besoin de bloquer que 10 000 euros. Elle peut faire ce qu’elle veut des 10 000 euros récupérés. Jusqu’en novembre, pour un million d’euros de dépôts, elle avait 980 000 euros prêtables. Maintenant, pour un million d’euros de dépôts, elle a 990 000 euros prêtables.
[NDLR : Comment vous protéger des risques pris par les banques ? C’est ce que vous explique Simone Wapler dans sa Stratégie. Pour en savoir plus sur La Stratégie de Simone Wapler, continuez votre lecture…]
Première parution dans La Quotidienne d’Agora du 08/02/2012.
2 commentaires
Belle explication, qui est suffisamment claire pour que j’aie compris la situation sans difficulté. Merci Mme Wapler.
[…] vous souhaitez approfondir cette question, lisez Effet de levier : comment les banques mettent en danger votre patrimoineécrit en février […]