▪ Avec un acheteur unique — la Fed — et une propagande médiatique en faveur des actions sans équivalent au cours des 30 dernières années, il était écrit que le Dow Jones pulvériserait de nouveaux records avant vendredi (parution des chiffres de l’emploi aux Etats-Unis).
C’est devenu un impératif politique et économique crucial. En effet, en ce moment, les Etats-Unis reportent de semaine en semaine la confrontation avec le problème des déficits : cela pourrait déboucher sur un « choc de rigueur » à l’européenne… ce qui est bien la dernière chose dont voudrait Wall Street.
Tout le reste a échoué à relancer la machine, à commencer par les quantitative easing. Il ne reste plus à la Fed que le prétexte de « marchés pleins de confiance dans la croissance » (qui n’existe pas sans les dépenses de l’Etat) pour justifier d’imprimer toujours plus de fausse monnaie. Rappelons qu’il faut imprimer 6 $ pour créer 1 $ de richesse nouvelle, le ratio le plus catastrophique de l’histoire des Etats-Unis.
La Fed voulait — tout à fait ouvertement — voir le Dow battre des records pour créer un « choc d’opinion » favorable. Wall Street, plus que jamais aux ordres, s’est empressé de lui donner satisfaction : l’indice pulvérise un nouveau record à 14 286 points.
Plus les cours sont élevés, plus il se trouve d’analystes pour matraquer le pseudo-argument selon lequel les actions composant le Dow Jones se payent 20% moins cher qu’il y a six ans. Sauf que ce ne sont plus les mêmes : de nombreuses banques et autres canards boiteux comme les constructeurs automobiles ont été éjectés de l’indice.
▪ 2007 : un parallèle inquiétant
Surtout, les sommets de 2007 restent une référence en matière de surachat des actions (avec des multiples proches de 17), d’anticipations irréalistes (25% à 33% de hausse des bénéfices sous 24 mois) et d’aveuglement complet sur les périls qui menaçaient le système.
Le Dow Jones se payait 30% à 40% trop cher en octobre 2007… mais à 14 285, il serait désormais comme par miracle devenu bon marché. Face à un marché qui déraisonne tandis que la Fed tire ouvertement les ficelles et ne se cache même plus pour manipuler les cours, n’importe quel objectif — même d’une absurdité économique totale — semble atteignable.
Qu’il ne soit plus question de psychologie du marché (seule compte celle de la Fed) ni d’anticipation (les opérateurs se contentent d’obéir à la Fed). Sans parler d’analyse technique : il n’y a plus rien à analyser, et surtout plus le moindre aspect « technique »… à l’exception de la vitesse de circulation des liquidités de la Fed.
Les marchés n’en peuvent plus d’euphorie et de sentiment d’invulnérabilité : nous voici confrontés à un consensus haussier qui avoisine 95% !
Cela va probablement réchauffer le moral des 50 millions d’Américains qui ne survivent que grâce aux bons alimentaires, comme au lendemain de 1929. Idem pour les 150 millions d’Américains qui ne possèdent aucune action et les 250 millions qui en détiennent pour moins de 10 000 $… Cependant, à force de faire du tapage médiatique autour du nouveau zénith du Dow Jones, certains investisseurs pourraient se demander si la conjoncture anticipée en 2014 ou 2015 le justifie, et si le rythme actuel est soutenable.
▪ Records et panique à la hausse
Le Dow Transport (+2% à 6 163 points à la mi-séance hier) a pulvérisé son 20ème record historique en six semaines et affiche +15% depuis le 1er janvier. Compte tenu d’une croissance sous-jacente probablement pas supérieure à 1,6%/1,8% en ce début d’année, c’est une performance quasi-miraculeuse.
C’est une véritable panique à la hausse qui s’enclenche sur le Dow Transport. Les robots-traders « se grimpent les uns sur les autres » avec des programmes d’achats qui se déclenchent en rafale sur des titres affichant déjà des multiples stratosphériques.
Il serait intéressant de faire l’inventaire des raisons qui conduisent certains analystes à écarter l’idée d’une bulle sur cet indice.
Le Russell 2000 des valeurs moyennes — qui ne sont pourtant pas portées par la croissance mondiale et affrontent des conditions difficiles sur le sol américain — a depuis longtemps devancé le Dow Jones. Il caracole 10% au-delà de ses records de mai 2007 (850 points), et gagnait hier soir 1% à 927 points.
Les analystes techniques qui n’ont aucune considération pour la réalité économique ou les multiples de capitalisation astronomiques s’empressent de valider le scénario d’une hausse sans limite au cours des prochains mois. Certains évoquent déjà les 16 000 points sur le Dow Jones avant la fin de l’été (soit +10%) et 18 000 d’ici fin 2014… période supposée de l’arrêt du QE3.
Signe de la confiance inoxydable des marchés, le VIX replonge vers 13,5 alors que le S&P 500, auquel il est associé, s’envole vers 1 540 points. Quant au dollar, face à l’euro, il retombe sous les 1,3050 — c’est un signe d’appétit pour le risque.
▪ Et à Paris, c’est le bonheur…
A Paris, les opérateurs ne se sentent plus de joie : les chiffres conjoncturels concernant l’Eurozone sont chaque jour plus déprimants — surtout ceux concernant la France et l’Italie. Ces heureuses circonstances économiques ont été saluées dès lundi matin par un gros gap à la hausse dès l’ouverture (au-dessus des 3 723) puis une envolée vers 3 790 points.
Le sentiment majoritaire est qu’au-delà des niveaux actuels, « le ciel devient la seule limite »… Les 4 000 points ne sont qu’une étape purement psychologique.
Le CAC 40 a explosé de +2,1% et inscrit sa meilleure clôture annuelle à 3 787 points. Selon les chartistes, l’indice devrait filer tout droit vers le retracement des 3 800 puis des 3 830 points au cours des prochaines heures. De son côté, l’Euro-Stoxx 50 s’envole de 2,4% et Francfort revient à 3% de ses records absolus (qui seront égalés ou battus avant fin mars).
Jamais en 100 ans d’histoire boursière, une hausse des marchés ne nous est apparue aussi déconnectée de la réalité économique et suspendue au bon vouloir d’un seul acteur — qui imprime des liquidités sans limite de quantité ni de durée.
Les marchés applaudissent à tout rompre cette fuite en avant dans la création monétaire que de rares économistes osent qualifier de politique « aventureuse » ou digne d’un apprenti-sorcier.
Certains journaux économiques américains évoquaient mardi une « bourse sous stéroïdes ». Ils décrivaient un marché qui se sent aussi invulnérable qu’un consommateur de cocaïne (et les doses consommées par certains traders ces derniers soirs doivent être dignes de l’Orient-Express dans les bars branchés et les soirées privées de Manhattan).
Mais entre la Fed et un cocaïnomane, il existe une subtile différence : un « toxico » peut sortir guéri de son addiction après une désintoxication. Une banque centrale, en revanche, ne peut jamais décrocher du quantitative easing une fois qu’elle a fourré son nez dedans.
La preuve, il n’y a aucun précédent connu.