▪ « [I]l faut un Hercule pour vaincre les énormes difficultés budgétaires. On cherche un sauveur pour assainir les finances, on essaie un ministre après l’autre, mais tous n’emploient que des moyens d’une efficacité passagère, ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui, que nous connaissons bien (l’Histoire se répète toujours) : ils recourent à d’énormes emprunts qui, en apparence, absorbent les anciens, à des surtaxes et des impôts excessifs, à l’impression [de billets] et à une refonte de la monnaie […] qui la dévalorise — en un mot, à l’inflation masquée. Mais comme les causes de la maladie sont plus profondes qu’on ne veut le reconnaître, qu’elles résident dans une circulation défectueuse, dans une distribution économique malsaine de la richesse, causée par la réunion de tous les biens dans les mains de quelques familles […], et parce que les médecins de la finance n’osent pas entreprendre l’intervention chirurgicale nécessaire, l’affaiblissement du Trésor public devient chronique ».
D’où vient ce texte ? L’Agefi d’hier ? Est-ce un extrait du prochain livre (encore inédit) de Bill Bonner ? Un discours d’un des rabat-joie de la Fed opposés à l’impression à tour de bras et au largage de billets par hélicoptère ?
Du tout, cher lecteur : il date de 1933, et concerne les finances françaises des années… 1780 — juste avant la Révolution, plus précisément, puisqu’il est extrait du Marie-Antoinette de Stefan Zweig, que votre correspondante lit depuis quelques jours.
Ne vous méprenez pas, je ne suis pas en train de dire qu’il y aura demain une insurrection dans Paris avec prise de… prise de quoi, d’ailleurs, maintenant que la Bastille a disparu ? Un assaut sur les bureaux de la Société Générale comme symbole des méfaits de la grande finance sur le petit peuple ? Les Parisiennes allant réclamer du pain en menaçant de ficher les têtes des malheureux fonctionnaires de Bercy sur des piques ? Des barricades dans le 16ème arrondissement ?
▪ Non, on n’en est pas là… mais il faut avouer que les similitudes sont troublantes : déficit chronique et « irremboursable », situation économique fragile, élites déconnectées de la réalité et plus occupées de gloire et d’ambition personnelles que du « bien commun » (regardez un peu la dispute de cour de maternelle qui occupe les médias français depuis quelques jours)…
Le sentiment — vague certes mais bien réel — que « ça ne peut plus durer » se fait de plus en plus présent. L’impression qu’on arrive au bout de quelque chose, qu’il faut réinventer le capitalisme/l’Etat-Providence/la société/l’économie, que la situation est intenable : tout cela circule de plus en plus souvent dans les journaux, les débats télévisés… et, plus significatif, dans les conversations que j’entends au supermarché, à la boulangerie et au café.
Regardez ce qu’en disait mercredi Simone Wapler, dans La Stratégie de Simone Wapler :
« La situation économique actuelle ressemble à un vaste champ de mines parsemé de grenades. Dans ce champ se promènent des artificiers (ceux-là même qui ont parsemé le terrain d’engins dangereux) dont tout le monde feint de croire qu’ils sont démineurs (ils seraient capables de désamorcer leurs bombes) ».
« Pour le moment, ce ne sont que des grenades qui ont explosé, de petites charges : l’Irlande, le Portugal, la Grèce, Dexia. Aucun éclat n’a encore réussi à déclencher une grosse bombe : l’Espagne, l’Italie, la France ou une autre grande banque. Tout le monde a encore confiance dans les artificiers-démineurs. Jusqu’à quand ? »
« Car tout le monde sait que le terrain est miné et que, comme l’indique l’OCDE, l’économie cafouille. […] Partout, le système est à bout de souffle. Par le système, comprenez l’économie de la dette — qu’elle soit publique ou privée — le dirigisme et la centralisation économique. En Espagne, la Catalogne veut faire cavalier seul. Aux Etats-Unis, le Texas se compare à l’Australie et caresse l’idée de la sécession. La dette sépare »…
Simone achève sa réflexion sur un conseil frappé au coin du bon sens : « souvenez-vous de Galbraith », nous dit-elle, « un génie financier est celui qui a du cash à la fin d’un marché baissier. Il y a des moments où il faut avoir le courage de ne rien faire ».
▪ Je terminerai cette Chronique avec le Comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur d’Autriche à Paris entre 1766 et 1789 — et qui, visiblement, devait être l’ancêtre des Cassandre du type de vos humbles rédacteurs.
Remplacez « trésor royal » par « trésor public », « refonte des monnaies d’or » par « assouplissement quantitatif » et « créations de charges » par « impression monétaire » dans la citation ci-dessous, vous verrez qu’elle s’applique encore aujourd’hui :
« Lorsque le gaspillage et la profusion absorbent le trésor royal, il s’élève un cri de misère et de terreur ; alors le ministre de la Finance emploie des moyens meurtriers, comme en dernier lieu la refonte des monnaies d’or sous des proportions vicieuses, ou quelques créations de charges. Ces ressources momentanées suspendent les embarras et on repasse avec une légèreté inconcevable de la détresse à la plus grande sécurité. Mais ce qui paraît de la dernière évidence, c’est que le gouvernement présent surpasse en désordre et en rapines celui du règne passé et qu’il est moralement impossible que cet état de choses subsiste longtemps sans qu’il s’ensuive quelque catastrophe ».
Autrement dit, selon les termes de l’immortel Mogambo Guru : « nous sommes tous foutus ! »
Meilleures salutations,
Françoise Garteiser
La Chronique Agora