L’American Economic Association rassemble chaque année de grands penseurs économiques pour une conférence sur les préoccupations du moment. En 2021, c’est la dette, aussi bien des Etats que des entreprises.
La conférence annuelle de l’American Economic Association (ASSA 2021) est inhabituelle cette année, pour des raisons évidentes : elle se tient de façon virtuelle.
Durant cet événement, l’ancien gouverneur de la banque centrale de l’Inde, Raghuram Rajan, de retour à l’université de Chicago, a soulevé le risque que l’endettement des entreprises se transforme en « détresse des entreprises ».
Raghuram Rajan est un bon et il ne pratique pas la langue de bois. Il est l’un des – vrais – rares à avoir explicitement annoncé la crise de 2008 ; il mérite toujours d’être écouté.
Il a estimé que le soutien monétaire et fiscal actuel offert aux petites et grandes entreprises « devra prendre fin à terme », et « à ce stade, la véritable ampleur de la détresse émergera ».
Rajan a estimé qu’il était temps d’apporter un « soutien ciblé » pour réduire l’accumulation de la dette et ainsi éviter de futures créances irrécouvrables sur le système bancaire – une politique comme récemment préconisée par le Groupe des Trente (banquiers).
Les pays émergents aussi
Carmen Reinhart, récemment nommée économiste en chef de la Banque mondiale et coauteure avec Kenneth Rogoff de l’énorme (et controversé) livre sur l’histoire de la dette publique, a également fait écho à l’inquiétude de Rajan concernant l’augmentation de la dette, non seulement parmi les entreprises aux Etats-Unis, mais en particulier dans les économies dites émergentes.
Kenneth Rogoff a présenté son point de vue actuel selon lequel le niveau de la dette mondiale est proche d’un point de basculement.
Oui, les taux d’intérêt sont très bas, ce qui rend le service de la dette viable, mais la croissance économique est également faible et si les frais d’intérêt (r) commencent à dépasser la croissance (g), une crise de la dette pourrait s’ensuivre.
Un problème qui n’a pas disparu
Le problème de la viabilité budgétaire n’a donc pas disparu, comme beaucoup le disent.
Bien sûr, Rogoff ne parle que de la dette du secteur public (graphique), alors que le problème de l’endettement record des entreprises est beaucoup plus préoccupant pour la durabilité de la croissance économique future des économies capitalistes.
Lawrence Summers, le gourou de la stagnation séculaire, a estimé que la crise pandémique ne va faire qu’accroître la durée de la phase de stagnation dans les économies avancées. Les taux d’intérêt sont tombés en territoire négatif et les mesures de relance budgétaire ont atteint de nouveaux sommets. Mais cela ne mettra pas fin à la stagnation à moins qu’« il y ait des politiques structurelles adoptées ».
Considérez que les mesures de politique structurelle dont parle Summers sont des mesures destinées à favoriser la remontée de la productivité, l’investissement et donc la profitabilité du capital.
La réponse de Joseph Stiglitz à une crise de la dette mondiale post-pandémique est d’annuler les dettes des pays les plus pauvres. Cela devrait être fait en « créant un cadre international facilitant cela de manière ordonnée ». Quelle chance pour que cela soit accepté et mis en œuvre par le FMI et la Banque mondiale, sans parler de tous les créanciers privés comme les banques et les hedge funds ?
Pessimisme et dilemme
L’impression générale qui se dégage est la suivante :
Le courant dominant est assez pessimiste quant à une reprise économique suffisante après la pandémie, tant aux Etats-Unis que dans le monde.
Cependant, les économistes de renom sont tiraillés entre d’un côté la nécessité évidente de maintenir les relances monétaire et budgétaire pour éviter un effondrement de l’économie mondiale et des actifs financiers, et de l’autre, la nécessité imminente de mettre fin à cette relance pour éviter des niveaux d’endettement insoutenables et une nouvelle crise financière.
C’est un dilemme pour l’économie capitaliste financiarisée.
En logique dialectique, chaque fois que l’on se trouve face à un dilemme c’est que le problème est mal posé.
Ceci signifie que toutes les politiques qui partent de la dette et de la croissance sont idiotes. Le seul point de départ utile pour la réflexion en système capitaliste, c’est la profitabilité du capital. Tout le reste en découle.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]