Par Christopher Hancock
** Pour parler par métaphores, la plupart des investisseurs boursiers plantent des pins taeda. Ils feraient mieux de planter des noyers.
– Récemment, mon beau-père a embauché un consultant forestier pour évaluer une parcelle de forêt qu’il prévoit d’abattre le long du fleuve Mattaponi, en plein centre de la Virginie. Avant notre rendez-vous avec cet homme, mon beau-père m’a dit : "ce gars-là travaille dans ce domaine depuis des années — il connaît son boulot".
– Un samedi matin brumeux, tandis que nous avancions le long d’une parcelle de hêtres gigantesques, j’ai demandé à l’homme en question quelle espèce d’arbres il nous conseillait de planter après l’abattage. Il n’a pas hésité une seconde. "Des pins taeda".
– Je lui ai demandé : "pourquoi ne pas planter des noyers noirs ?" Je ne connaissais pas exactement la différence de prix, mais je sais que les noyers noirs valent bien plus que n’importe quelle espèce de pins de Virginie.
– "Des noyers noirs ? Non, c’est une très mauvaise idée", m’a-t-il répondu. Je lui ai demandé pourquoi. Il s’est frotté la barbe une seconde. "Les noyers noirs mettent deux fois plus de temps à pousser. Il vous faudra attendre au moins 30 ans avant de pouvoir tirer des bénéfices de ce genre d’arbres. Vous pouvez abattre les pins taeda deux fois plus vite".
– "A combien se vend un pin taeda adulte ?" lui ai-je demandé.
– "Près de 100 $".
– "Et un noyer noir ?"
– "Eh bien, vous pouvez sûrement vendre un bon noyer pour 1 000 $", a-t-il supposé. "Mais vous ne verrez jamais cet argent", il a gloussé. "Vos enfants le verront peut-être".
– Est-ce là un argument si négligeable ? Tout d’abord, sachons que les investissements forestiers sont identiques aux investissements boursiers, aux obligations ou même aux investissements immobiliers. Dans chaque cas, vous attendez de l’action qu’elle produise un bénéfice adéquat sur une période définie.
– Dans ce cas précis, la question de planter un pin ou un noyer noir tourne autour d’une seule chose : le temps qu’un individu est prêt à attendre pour que son investissement lui rapporte des bénéfices. Les pins taeda grandissent deux fois plus vite que les noyers noirs. Donc, celui qui plante un pin reçoit des bénéfices deux fois plus vite que celui qui plante des noyers. Mais jetons un œil à la qualité de ces bénéfices…
– Si un seul noyer vaut exactement deux fois plus qu’un pin, la décision d’opter pour le pin serait assez facile à prendre. Mais un seul noyer rapporte quasiment 10 fois plus de bénéfices qu’un seul pin. Ce qui veut dire que sur une période de 30 ans, l’abattage des noyers va rapporter cinq fois plus d’argent qu’un investissement dans le pin.
Pin : 100 $ par arbre x 6 abattages = 600 $
Noyer : 1 000 $ par arbre x 3 abattages = 3 000 $
– Pour beaucoup, la décision d’opter pour les noyers s’explique d’elle-même. Mais alors pourquoi la plupart des propriétaires forestiers choisissent-ils de planter des pins taeda ? Que se passe-t-il quand la majorité des forêts de feuillus sont remplacées par des forêts de pins ? L’offre exponentielle en pins va forcément avoir des effets sur le prix d’un arbre dans les 15 ans à venir. Et ça ne va pas le faire grimper, surtout en période d’abattage.
– Pendant ce temps, la diminution de l’offre en noyers noirs de 30 ou 40 ans va, forcément, faire monter les prix des précieux feuillus.
** Nous pensons que cette certitude générale qu’il faut planter des pins reflète assez justement la tendance croissante parmi les investisseurs aujourd’hui.
– Une nouvelle génération d’investisseurs fait son entrée. Une génération nourrie à la gratification immédiate. La bourse, pour sa part, est devenue une loterie pour les spéculateurs. L’évolution des instruments financiers complexes, les crédits bon marché et une société matérialiste ont encouragé cette tendance.
– Mais faire fortune prend du temps, tandis que l’inflation du prix des actifs ne nécessite qu’une banque centrale laxiste. Les gens ont donc choisi l’inflation du prix des actifs plutôt que la fortune à long terme. Le spéculateur a remplacé l’investisseur. Nous faisons du day trading, nous spéculons sur l’immobilier, nous achetons des options.
– Plutôt que d’acheter un exemplaire du livre de Benjamin Graham, L’Investisseur Intelligent + lien vers livre Valor du même nom, l’investisseur d’aujourd’hui fuit les bénéfices en dessous de deux chiffres. Même pour une seule année ! Gagner 6% n’est pas gagner dans une société de la gratification immédiate, particulièrement si quelqu’un d’autre gagne 12%. Et quand M. le Marché ne vous traite pas correctement, vous vous tournez vers le Dr. Fed. En un claquement de doigt, il peut remettre M. le Marché sur pied — c’est du moins ce qu’on en est venu à penser.
– Notre ami Marc Faber nous fait remarquer avec sagesse qu’"il est important de faire la distinction entre faire fortune par une augmentation de la valorisation boursière (inflation des actifs) et faire fortune par le biais de l’épargne et de l’investissement".
– Comme le disait mon ancien collègue feu le Dr. Kurt Richebächer :
– Les économistes américains n’ont jamais été aussi stricts que les économistes européens pour faire la distinction dans la création d’une fortune entre augmenter les valorisations boursières et augmenter le capital social par le biais de l’épargne et de l’investissement. Pourtant, ce qui s’est passé dernièrement met la raison économique sens dessus dessous. L’inflation prolongée du prix des maisons, délibérément organisée par la Fed, est présentée au public comme un excellent moyen de créer de la richesse et de la croissance. Difficile de croire qu’une perception aussi grotesque soit possible.
– Concentrons-nous un instant sur l’idée que les sociétés accumulent de l’argent lentement de générations en générations. Un véritable retour sur capital investi, comme la pousse d’un arbre en forêt, prend du temps. Certains investissements, naturellement, donnent de meilleurs bénéfices que d’autres. La clé : trouver les investissements qui ont le potentiel de produire de plus gros bénéfices avec un niveau de risque acceptable. Quand ces investissements se vendent pour moins que leur valeur intrinsèque, le potentiel pour des bénéfices au-dessus de la moyenne peut pleinement se réaliser… sur le long terme.