▪ Nous avons cru mardi matin qu’une divine lumière rayonnant depuis la Cité Eternelle (Rome) avait soudain éclairé les esprits de l’ensemble des membres de la communauté financière. Le sort de Silvio Berlusconi était scellé ; sa disparition imminente de l’échiquier politique allait ramener le calme sur le marché de la dette italienne et ouvrir une nouvelle ère de prospérité pour les marchés.
Je ne sais pas pourquoi mon âme — certainement trop obscure et terre à terre — n’a pas bénéficié de la grâce de cette illumination. Je me suis donc retrouvé comme un pauvre idiot au milieu d’une armée de stratèges et de traders qui se portaient acheteurs comme un seul homme du CAC 40, des titres de la Société Générale et de l’euro.
J’éprouvais toutes les peines du monde à intéresser qui que ce soit au fait que l’or testait les 1 800 $ pour la première fois depuis la mi-septembre. Je ne rencontrais que des regards blasés lorsque j’évoquais des taux longs italiens pulvérisant leurs sommets historiques de la mi-juillet avec un nouveau zénith inscrit d’entrée de jeu à 6,7% (contre 6,6% quatre mois auparavant).
Fallait-il que je sois aveugle pour ne pas m’apercevoir que les marchés mettaient la pression sur le personnel politique italien pour qu’il se débarrasse de Silvio Berlusconi ?
Hep, mais attendez… N’est-ce pas exactement ce que j’envisageais dès vendredi dernier, en observant que la contagion de la défiance gagnait la dette souveraine italienne (après que l’hypothèque du vote grec a été levée) ?
Ce que je présentais comme une supposition était devenu une quasi-certitude lundi et une évidence ce mardi : le seul qui n’avait rien compris à la trame de cette histoire, c’était moi !
Sinon pourquoi aurais-je encore pu succomber au moindre doute et me serais-je abstenu de me joindre à la cohorte des acheteurs — marchant du même pas et en rangs serrés — tout au long de la matinée de mardi ?
▪ Silvio Berlusconi a effectivement annoncé mardi soir qu’il démissionnerait après avoir obtenu l’approbation par le Parlement des mesures d’austérité censées rétablir la crédibilité de l’Italie.
Il avait réussi quelques heures auparavant à faire voter le quitus sur le budget 2010 (l’opposition s’étant abstenue de voter contre).
Le président du Conseil devrait donc quitter ses fonctions d’ici une semaine (soit d’ici le mercredi 16 novembre). Mais cela ne résout pas la question du nom de son successeur et encore moins celle — plus ardue — de la majorité sur laquelle il pourra s’appuyer.
Un consensus parviendra t-il à émerger dans l’intervalle ? N’oublions pas que le Cavaliere excelle dans l’art de déjouer les chausse-trappes politiques qui lui sont tendues.
Les marchés mettront-ils longtemps à réaliser que la démission de Silvio Berlusconi ne résoudra pas « comme par enchantement » le problème de la dette italienne ?
Le virage de l’austérité a bien été pris sous la pression d’Angela Merkel, mais les mesures annoncées ne sont pas jugées suffisamment crédibles par les agences de notation. La faute en incomberait au seul Silvio Berlusconi, selon un discours bien rôdé depuis le G20 de Cannes. Cependant, ce n’est pas parce que l’argument est repris en choeur par tous les commentateurs qu’il est complètement pertinent.
La Commission européenne admettait mardi qu’il existe des problèmes structurels — comme la baisse de compétitivité de l’Italie — bien plus profonds et qui vont perdurer quel que soit le scénario politique envisagé.
Une décrue des taux longs italiens (ils culminaient mardi soir vers 6,8%) pourrait saluer les changements qui se profilent sur l’échiquier politique. Mais vont-ils refluer rapidement sous le seuil technique des 6,00% ?
L’euro a rapidement bondi vers 1,3850 $ sur le fait accompli, mais il n’a pas tardé à se replier sous les 1,3825 $, un niveau sous lequel il avait plafonné durant tout l’après-midi de la séance de mardi.
Si le successeur de Silvio Berlusconi — soutenu par une nouvelle coalition, fragile comme toujours en Italie — émerge et met en oeuvre une politique de réduction des déficits plus efficace, cela risque de signifier également moins de croissance. L’exemple grec démontre que ce genre de remède peut tuer le malade.
▪ Wall Street qui attendait comme un deus ex machina l’annonce officielle de la démission du Cavaliere s’est offert un remake de la séance de lundi mais en mieux. Nous avons assisté à un repli initial limité, inversion de tendance à l’heure du déjeuner puis après-midi ensoleillé, placé sous le signe d’un retour de l’appétit pour le risque.
Il faudra, pour que les indices boursiers poursuivent leur ascension, que les taux longs italiens entament pour de bon leur décrue, après avoir culminé mardi après-midi vers 6,80% (une semaine seulement après avoir franchi le cap des 6%).
Le Dow Jones s’est apprécié de 0,84% (+100 points à 12 170) avec 29 valeurs en hausse sur 30 (personne n’a été oublié). Le Nasdaq et le S&P ont affiché +1,2% ; toute ressemblance avec l’Euro-Stoxx 50 serait purement fortuite, ou alors quelques robots facétieux s’en sont mêlés sans que les marchés s’en aperçoivent.
Alors que les actions ont progressé tout au long de l’après-midi, le rendement des bons du Trésor US s’est classiquement tendu simultanément avec un T-Bond à 10 ans remontant à 2,065% contre 1,995% la veille, et un 30 ans passant de 3,035 à 3,125%.
▪ Pas de quoi troubler Wall Street… mais un train de hausse (de taux) peut en cacher un autre. Comme nous l’avions souligné mardi matin, certains triple A sont plus égaux que d’autres et les acheteurs de l’après-Berlusconi doivent déjà sentir que le papier obligataire européen leur brûle les doigts.
Le FESF doit payer 3,60% pour se refinancer avec un AAA… les Etats-Unis tout juste un peu plus de 2% avec un AA… et l’Italie 6,8% avec un A2 (deux crans seulement en dessous des Etats-Unis).
Voilà de quoi édifier ceux qui doutent encore que les avis des agences de notation ne sont pas pris plus au sérieux que les gesticulations d’un arbitre de tournoi de catch.
▪ En revanche, les marchés ne voient aucun inconvénient à ce que l’arbitre empoigne une chaise pliante pour tabasser l’un des combattants s’il monte sur le ring en arborant un drapeau italien. Pendant ce temps, son adversaire sera déclaré vainqueur à la première manchette s’il porte un bermuda taillé dans un drapeau américain.
Nous sommes rentrés de plain-pied dans un système économique où les règles sont ce que Wall Street et la City décrètent au fil de l’eau. Les acteurs en présence sur le ring n’ont pratiquement aucune marge de manoeuvre par rapport au script des organisateurs du tournoi… qui sont comme vous l’aviez deviné anglo-saxons.
Ils fournissent le ring (la quasi-totalité des plates-formes de cotation ultra-rapides), les arbitres (les agences de notation), l’éclairage et le son (les médias qui se transforment souvent en organisme de propagande et qui « chauffent la salle » pour canaliser son soutien ou son aversion envers chacun des protagonistes).
Les vainqueurs et les perdants sont pratiquement connus d’avance. Celui qui est désigné comme le méchant ne peut compter que sur une improbable maladresse du favori, à qui toutes les tricheries sont permises sous les hourras du public, pour remporter la manche.
Si l’Italie doit perdre le match du refinancement de sa dette face à l’Angleterre ou aux Etats-Unis, cela nous semble plié d’avance. Si l’euro doit voler en éclats pour éviter au dollar de se désintégrer, les coups bas vont pleuvoir. C’est d’ailleurs une véritable grêle qui s’abat sur l’Eurozone depuis novembre 2007, faisant mettre un genou à terre à la BCE.
En prévenant qu’elle ne pourrait continuer à racheter les dettes des PIGS en mode no limit, a-t-elle décidé de se coucher prématurément ? Ou s’agit-il d’une feinte du même type que l’annonce du faux référendum grec par Georges Papandréou ?