Attention à ne pas trop sous-estimer le risque de débouclements…
Hier, nous avons vu que le fait que la dette publique japonaise soit détenue domestiquement n’empêche pas le risque d’une crise financière au Japon.
Pour l’heure, et comme en 2022, le ministère des Finances a ordonné à la Banque du Japon (BoJ) d’intervenir sur le marché des changes en puisant dans ses réserves pour vendre des dollars en contrepartie du rachat de yens. Dans un premier temps, les résultats sont spectaculaires, avec une brutale réappréciation du yen, puisque d’un plus-haut à 160,04 le 29/04, la parité dollar-yen se négociait à un plus-bas de 151,85 le 03/05 (soit une réappréciation de 5% du yen contre le dollar).
Mais on sait que, dans un second temps, ce type d’interventions est souvent contreproductive pour au moins deux raisons :
- d’abord, parce que les opérations sur le marché des changes ne sont pas coordonnées avec d’autres banques centrales ;
- ensuite, parce que les marchés restent convaincus – à tort ou à raison – du caractère durablement accommodant de la politique monétaire de la banque centrale qui intervient (taux trop bas et taille du bilan de la banque centrale qui ne baisse pas).
D’ailleurs, la parité dollar/yen se négociait autour de 157 le 27/05 (donc à un niveau plus proche de ceux des pré-interventions, que des niveaux post-intervention).
L’importance des opérations de carry trade sur le yen
Aux origines de la baisse du yen, comme nous l’avons vu précédemment, se trouvent la volonté des autorités politiques, mais aussi le laxisme des autorités monétaires. Il ne faudrait pas, pour autant, oublier le rôle prépondérant des marchés financiers et le phénomène des opérations de carry trade.
De quoi parle-t-on ? Comprenez qu’il y a trois composantes pour une opération de carry trade.
- Le taux court de la devise empruntée (le yen par exemple, puisque les taux courts sur cette devise restent très bas). Donc, le risque est le suivant : remontée des taux courts sur cette devise si vous empruntez sur du 3 mois et que vous devez « roller » chaque trimestre votre ressource.
- Le taux court de la devise prêtée (le dollar, par exemple).
- Et surtout, la parité de change entre les deux devises (dans notre exemple la parité dollar/yen libellée USD/JPY), puisqu’après l’avoir empruntée, vous vendez la devise assortie des taux d’intérêt faibles (yen) et achetez la devise assortie de taux d’intérêt élevés (dollar) pour acheter des actifs dits « risqués », libellés en dollar par exemple.
Donc, il faut gérer d’autres risques comme l’évolution défavorable du change, soit à cause du durcissement monétaire de la devise empruntée, soit à cause de la dégradation des fondamentaux de l’économie de la devise prêtée.
En effet, si les investisseurs anticipent des remontées significatives des taux courts sur la devise empruntée (le yen dans notre exemple) et une chute significative de la devise prêtée (la parité USD/JPY en anticipation d’un durcissement de la politique monétaire japonaise), ils vont alors anticiper une très nette baisse de la rentabilité de leurs opérations et déboucleront leurs positions.
Ainsi, la devise empruntée à taux quasi nuls et vendue pour acheter des actifs risqués libellés dans des devises à rendements plus élevés est violemment rachetée pour déboucler ces positions spéculatives de carry trade.
Les conséquences peuvent être particulièrement négatives pour les actifs financiers qui ont été accumulés pendant des années via ces opérations de yen carry trade.
Alors, certes, tout le monde dort très tranquillement en considérant que le risque de débouclement des yen carry trade relève de la fiction (pas de remontée des taux courts sur le yen et potentiel de réappréciation du yen contre dollar inexistant).
Attention toutefois, on a tous en mémoire des risques qui étaient unanimement considérés comme de la pure fiction, et qui se sont révélés en réalité bien présents. Après tout, il n’est pas surréaliste d’imaginer, dans un avenir pas si lointain, une forte poussée inflationniste au Japon dans le prolongement de la crise du yen, qui contraindrait la BoJ à durcir véritablement sa politique monétaire (avec une envolée des taux courts, des taux longs et du yen).
Il faut donc être très attentif au triste privilège de ces devises comme le yen archi-empruntées, donc archi vendues durant ces massives opérations des monnaies de carry trade et qui deviennent devises refuge en période de turbulences et d’aversion au risque.
En réalité, plutôt que monnaie refuge, il faudrait parler de monnaie de financement (ou de carry trade) avec un mécanisme bien connu. La devise empruntée et vendue pour acheter des actifs risqués libellés dans des devises à rendements plus élevés est violemment rachetée pour déboucler ces positions spéculatives, quand les marchés de ces actifs risqués chutent fortement.
Le carry trade existe depuis fort longtemps, depuis que l’économie s’est fortement financiarisée, c’est-à-dire le milieu des années 1990. Les carry trade ont façonné nombre d’évolutions de marché et leurs débouclements ont déstabilisé les marchés financiers ; le retour d’aversion au risque conduisant entre autres des hedge funds en fortes pertes, pratiquant le carry trade, à déboucler leurs positions en rachetant massivement à découvert le yen.
Le constat aujourd’hui est de se dire qu’il y a très peu d’aversion au risque sur les marchés d’actifs risqués (surliquidité de la banque centrale oblige), et que même lorsqu’il y en a un peu, le yen se réapprécie peu (différentiel taux longs USD JPY trop important, croyance en une politique monétaire de banque centrale qui restera éternellement accommodante). Donc, si débouclements il y a, ceux-ci, lorsqu’ils se produisent, n’ont plus aujourd’hui l’impact qu’ils avaient sur la parité dollar-yen, car on pense que les positions risquées importantes ne sont plus majoritairement financées par des yen carry trade comme avant. Et pourtant, on peut raisonnablement penser que l’accélération récente de la hausse de la parité dollar / yen a servi à construire, ou à reconstruire des opérations de yen carry trade. Donc, attention à ne pas trop sous-estimer le risque de débouclements.