Comme jadis Périclès à Athènes, Donald Trump concentre tout autour de sa personne, exigeant loyauté et louanges.
« Je peux faire tout ce que je veux. Parce que je suis le président des Etats-Unis. » – Donald Trump
Nous avons observé ce que nous considérons comme une transition d’une démocratie plus ou moins consensuelle vers une démocratie dominée par un Grand Chef. Cette tendance est nouvelle aux Etats-Unis, mais familière dans d’autres pays. Elle avait été prédite par nos anciens.
Comme Thucydide : « Athènes, bien que toujours démocratique de nom, était en fait gouvernée par son plus grand citoyen… »
Le « plus grand citoyen » dont parlait Thucydide était Périclès, un Grand Chef prototypique. Il a ostracisé ses opposants. Il a accordé des faveurs aux classes inférieures, un peu comme le programme « pas d’impôt sur les pourboires » de Trump. Il a renforcé les restrictions sur la citoyenneté athénienne. Il a fait ériger de grands monuments, dont le Parthénon. Il a dépensé au-delà du raisonnable. Et il a entraîné son pays dans une longue guerre contre Sparte qui s’est terminée par la défaite : Sparte a capturé Athènes et pillé la cité.
Parfois, les hommes s’accordent. Parfois, non. Et lorsqu’ils échouent à trouver un compromis, un leadership plus musclé peut s’imposer pour mettre fin aux querelles. Un titre de Bloomberg suggère que certains pays européens pourraient eux aussi s’engager dans cette voie :
« Une grande partie de l’Europe est en train de perdre sa capacité à gouverner. »
Anatol Lieven ajoute :
« La France pourrait être le dernier domino à tomber, alors que la crise de la dette déclenche une réaction hostile à l’austérité. »
En général, le consensus se forme autour de principes ou de règles, comme la limaille de fer autour d’un aimant. Nous roulons à droite (ou à gauche !) de la route. Nous acceptons de ne pas nous entretuer. Nous disons « s’il vous plaît » et « merci », même aux personnes que nous n’apprécions guère. Et que nous soyons une chorale d’hommes ou un club de couture, nous finissons par trouver un terrain d’entente.
Même les armées se sont parfois appuyées sur le consensus plutôt que sur le commandement. Les milices anarchistes de la guerre civile espagnole élisaient leurs officiers et débattaient de leurs tactiques. George Orwell a rapporté qu’il s’agissait d’unités militaires efficaces.
Dans le monde des affaires, et même au sein des conseils paroissiaux, les idées s’affrontent. Les plus solides – ou celles portées par les partisans les plus énergiques et persuasifs – survivent. Les autres sont écartées ou mises de côté pour un examen ultérieur.
La récente réunion télévisée du cabinet de la Maison-Blanche relevait d’une toute autre logique. Les Grands Chefs n’aiment pas être contraints, ni par des règles… ni par un consensus. Ils ont besoin de laquais pour exécuter leurs projets, non de penseurs indépendants pour les remettre en question. Leurs réunions prennent donc une tournure à laquelle nous ne sommes pas habitués.
Les membres du cabinet sont censés compter parmi les personnalités les plus compétentes du pays. Et pourtant, s’il s’agissait d’une bataille d’idées, ils étaient tous venus sans armes. Aucun n’a formulé de propositions pertinentes. Aucun n’est venu débattre de plans audacieux. Ils semblaient uniquement présents pour chanter les louanges du président.
Bien sûr, les médias libéraux ont réagi avec sarcasme et mépris.
Jen Psaki :
« Les réunions du cabinet de la Maison-Blanche de Trump, serviles et sectaires, vont de mal en pis. »
Washington Examiner :
« Une équipe de flagorneurs : le cabinet se met en rang pour couvrir Trump d’éloges. »
Rolling Stone :
« LA RÉUNION DU CABINET DE TRUMP N’A ÉTÉ QUE FLATTERIES À L’ÉGARD DE LEUR CHER DIRIGEANT.
Le festival de flagornerie télévisé a duré plus de trois heures. »
Le plus remarquable est peut-être l’endurance des flagorneurs. Hommes et femmes d’âge mûr, ils avaient certainement d’autres obligations. Certains n’étaient que figurants ou opportunistes, mais d’autres étaient riches et puissants. Tous, pourtant, ont joué leur rôle sans ironie, sans reste de dignité, sans même invoquer un besoin pressant d’interrompre la séance. Ils étaient les lèche-bottes qu’exige un Grand Chef.
La scène évoquait davantage les réunions du Politburo nord-coréen ou les discours de Staline au Kremlin. Après l’un de ces discours, les applaudissements ont duré onze minutes. Personne n’osait être le premier à s’arrêter. Finalement, le directeur d’une usine de papier s’est risqué à s’asseoir. Il a été arrêté le soir même et condamné à dix ans de Goulag. Plus d’un million de personnes furent tuées par les sbires de Staline. Des millions d’autres périrent dans les camps.
Mais Staline avait compris : si l’on veut régner en Grand Chef, il faut éliminer les petits hommes insoumis. Le premier qui cesse d’applaudir est probablement celui dont l’esprit reste indépendant. Et la pensée indépendante est la dernière chose qu’un Grand Chef tolère.
Il n’y avait aucune pensée indépendante au sein du cabinet Trump.
Au contraire, la secrétaire au Travail Lori Chavez-DeRemer paraissait en extase :
« Voir votre beau visage sur une bannière devant le ministère du Travail, car vous êtes vraiment le président qui a transformé la vie des travailleurs américains. »
L’ancien partenaire d’affaires de Trump, Steve Witkoff, devenu fonctionnaire, renchérit :
« Monsieur le Président, travailler pour ce gouvernement, pour vous, est le plus grand honneur de ma vie… Je n’ai qu’un souhait : que le comité Nobel agisse enfin et reconnaisse que vous êtes le meilleur candidat depuis la création du prix, car vos succès ont changé la donne dans le monde actuel… »
Mais c’est Scott Bessent, secrétaire au Trésor, qui livra sans doute la performance la plus touchante. Son ton maladroit, presque amateur, rendait son discours sincère :
« Notre pays n’a jamais été aussi sûr grâce à vous… Vous nous avez ramenés du bord du gouffre. »
« Avec une dette qui devrait atteindre 60 000 milliards de dollars dans dix ans », aurait pu demander un ministre plus courageux, « et puisque nous n’avons pas réduit d’un centime les dépenses nettes, ne sommes-nous pas toujours au bord du gouffre ? » Mais la question ne fut jamais posée. Ce n’était pas celle que le Grand Chef voulait entendre.
Quoi qu’on en dise, ces scènes élèvent la flagornerie politique américaine à un nouveau sommet. M. Trump est le proverbial éléphant dans un magasin de porcelaine. Il vient de secouer la Fed en « limogeant » l’un de ses gouverneurs. Il a perturbé des milliers de milliards de dollars d’échanges avec ses guerres commerciales. Il bombarde des nations étrangères. Il propose d’annexer le Groenland. Il suggère d’envoyer des troupes au Mexique. Il impose des forces fédérales dans les villes américaines. Partout, on s’interroge et l’on s’inquiète de ce qu’il fera ensuite. Et Scott Bessent conclut : « Et vous, monsieur, vous rétablissez la confiance dans le gouvernement. »
La presse traditionnelle gronda. Mais tel est le fonctionnement du gouvernement du Grand Chef. Tout repose sur lui. C’est lui la vedette. Les autres ne sont que des machinistes… tenant les projecteurs pour que nous puissions l’admirer dans toute sa gloire.
2 commentaires
Quand je vois qu’en France, quelque soit la majorité, les membres de cette majorité encensent en permanence le président en se référant constamment à lui; je ne vois pas de différence flagrante. Evidemment maintenant qu’il n’a plus de majorité, il n’y a palus de flagorneur non plus
Le culte de Trump ? Mais il existe aussi l’anti-culte de Trump. N’est ce pas ? Et le culte de Macron , celui de Ursula van der Layen. Et l’anti-culte de Poutine etc… La Flagornerie est de toutes les sociétés. La liberté de pensée infiniment moins. Même dans les sociétés qui se revendiquent démocratiques. Nous l’avons bien vu avec les sociétés démocratiques dites populaires. Nous le voyons dans celles qui se disent libérales.