La politique économique improvisée et déficitaire de Trump fait peser un risque systémique inédit sur le dollar, la dette américaine et l’ensemble des marchés financiers mondiaux.
Comme nous l’avions vu dans notre précédent article, la dédollarisation fragilise déjà la position du billet vert ; mais cette vulnérabilité s’accentue désormais avec l’installation d’une prime de risque politique durablement négative pour les actifs financiers américains.
Troisième facteur de risque pour le dollar : une politique économique dévastatrice
Nous l’avions déjà évoqué, une politique économique fondée sur la menace et le chantage est par définition vouée à l’échec.
Parmi les nombreux exemples observés depuis près de huit mois, l’idée – un temps envisagée – de taxer les flux financiers perçus par les investisseurs étrangers issus de pays aux pratiques douanières jugées « injustes » illustre parfaitement l’absurdité de certaines propositions. Cette mesure visait les dividendes et les revenus de coupons, avec une taxation fixée d’abord à 5 %, puis relevée de 5 % par an jusqu’à un plafond de 20 %.
Certes, Trump a fini par reculer, mais cet épisode montre combien des décrets de ce type, s’ils étaient appliqués, pourraient avoir des effets contreproductifs et dévastateurs sur les actifs libellés en dollar détenus par les investisseurs non-résidents.
Cette menace de Tax revenge demeure une épée de Damoclès au-dessus du marché : elle pourrait resurgir à tout moment, transformant les actifs en dollar en véritables repoussoirs, à l’opposé des valeurs de refuge censées bénéficier du flight to quality.
Par ailleurs, cette politique économique est totalement contreproductive vis-à-vis des déficits. Depuis le début de l’exercice 2025, les droits de douane ont rapporté 142 Md$ à l’administration américaine, et le secrétaire au Trésor Scott Bessent a annoncé que le total atteindrait environ 300 Md pour l’ensemble de l’année.
Mais au-delà de l’autosatisfaction de Donald Trump, les chiffres parlent d’eux-mêmes : les recettes cumulées ont progressé de 6 % (+262 Md$), à 4 347 Md$, tandis que les dépenses augmentaient de 7 % (+374 Md$), à 5 975 Md$. Résultat : le déficit budgétaire continue de se creuser inexorablement, atteignant déjà 1 629 Md$ sur dix mois, en hausse de 7 %.
Et chacun sait qu’en macroéconomie, déficit budgétaire et déficit commercial sont liés : plus de dépenses publiques et moins d’impôts alimentent la demande globale, dont une partie se traduit inévitablement par davantage d’importations, donc par une dégradation de la balance commerciale.
De manière générale, cette politique économique – ou plutôt cette improvisation faite d’annonces, de volte-face et de décrets improvisés – crée les conditions d’une stagflation durable : moins de croissance et plus d’inflation.
- Moins de croissance. Les droits de douane sont des impôts déguisés, payés par les importateurs américains et répercutés sur les consommateurs ou sur les marges des entreprises. Goldman Sachs estimait que les ménages américains supporteraient jusqu’aux deux tiers du coût des surtaxes, ce qui avait valu à son économiste Jan Hatzius d’être directement attaqué par Trump. Des preuves microéconomiques viennent confirmer ce constat : Apple a chiffré l’impact des surtaxes à 1,1 Md$ sur le trimestre, Nike prévoit près de 1 Md$ de pertes pour 2026, et Ford comme General Motors annoncent des effets significatifs sur leurs bénéfices. Comme dans les régimes autoritaires, si les chiffres contredisent le discours officiel, on change d’experts : l’économiste de Goldman a été menacé, comme la directrice du BLS a été évincée.
- Plus d’inflation. Selon Natixis, une taxation de 20 % sur les importations, qui représentent environ 15 % du PIB américain, entraînerait une hausse de 3 points des prix intérieurs. L’inflation pourrait ainsi rebondir au-dessus de 5 % en 2026. Dès lors, quel investisseur institutionnel asiatique ou européen voudrait placer ses capitaux en dollars, avec une inflation à 5 %, une monnaie en chute libre, des taux courts entre 1 % et 2 % et des taux longs à 5 % (voire davantage, ce qui dévaloriserait les portefeuilles obligataires) ?
Conclusion : un risque de crise systémique inédit
Nous avons vu que les risques pesant sur le dollar et les actifs libellés en dollar – notamment les bons du Trésor – sont désormais tangibles :
- une dédollarisation en marche;
- une prime de risque politique croissante;
- une politique économique qui accroît la probabilité de stagflation et ne corrige en rien les déficits jumeaux.
Ceci est particulièrement préoccupant car une telle crise ne ressemblerait pas aux crises financières traditionnelles (krach boursier ou obligataire, crise de change, crise bancaire). Elle frapperait directement les bons du Trésor américains, qui servent de référence, de garantie et de collatéral au bon fonctionnement des marchés mondiaux : refinancement des banques via le repo, restructurations de dettes privées, ou encore adossement des stablecoins – aujourd’hui quasi intégralement émis en dollar et garantis par des Treasuries.
Une liquidation massive de titres du Trésor aurait donc des conséquences dévastatrices : un véritable bank run sur les stablecoins, suivi d’une contagion aux classes d’actifs traditionnels à travers des ventes forcées en chaîne.