** A force de voir les indices américains progresser dans les pires conditions et surmonter des situations de crises boursières en opérant des volte-face parmi les plus invraisemblables, nous n’aurons aucun mal à vous convaincre de ce qui va suivre. Wall Street garde en permanence à portée de main un petit remède miracle qui vaut des dizaines de milliards de dollars… et même si le billet vert inscrit un nouveau plancher historique à 1,4320/euros, cela représente encore pas mal d’argent.
Connaissez-vous le Fedeuforizens Miraculis ? Il guérit les marchés américains de tous leurs maux : de la faillite d’un LTCM, de la crise des emprunts russes, des déficits budgétaires et commerciaux, de l’éclatement de la bulle du crédit subprime. Il prévient également des risques d’inflation, mais également de déflation, de stagflation (et de tous les autres types de « flation » que nous ne connaissons pas encore).
Et vous connaissez tous et toutes (un grand bonjour au passage à nos lectrices) le nom du générique du Fedeuforizens Miraculis : il est identifié sous sa forme la plus commune sous l’appellation « planchabillet ». Il est également dispensé sous forme de comprimés sécables dosés à 0,25% ou 0,50%. La prochaine livraison est prévue pour le 31 octobre à Wall Street.
Dès que les opérateurs font une indigestion de profit warnings — depuis 48 heures, la liste est impressionnante avec Merrill Lynch, Broadcom, Altera, Bank of America, Celgene, Level-3, Cadence Design, N2i Holding, Comcast ou encore Symantec –, dès que les provisions pour créances douteuses donnent des palpitations, dès que la flambée du pétrole (89 $ jeudi soir) provoque de l’urticaire, il faut faire appel à un spécialiste. Ben Bernanke puise alors dans sa pharmacopée une tablette de Fedeuforizens Miraculis et les maux d’estomac, de tête, d’esprit (c’était facile) se dissipent comme par enchantement !
** Wall Street était complètement patraque mercredi soir : les indices américains perdaient jusqu’à 1,5% pour les mêmes raisons qui ont fait rechuter le Nasdaq de 1,4% ce jeudi à la mi-séance. Les statistiques des reventes de logements anciens furent désastreuses, les stocks de pétrole étaient en chute libre, les technologiques chutaient de 2,5% dans le sillage d’Amazon (-12%).
Il a suffit de présenter aux opérateurs la feuille d’ordonnance prescrivant une dose de Fedeuforizens Miraculis pour que les indices boursiers se redressent spectaculairement…
Les investisseurs ont retrouvé en quelques minutes un teint de rose et un oeil luisant ! L’effet placebo est presque aussi efficace qu’une dose de réduction du loyer de l’argent « en vrai » !
Et Wall Street va certainement recourir au même stratagème si la dérive baissière du S&P 500 (revenu au contact des 1 500 points) s’accélère durant l’heure du déjeuner. Peu importe que le motif soit une nouvelle chute des commandes de biens durables (1,7% en septembre après 5,3% au mois d’août), une poussée de fièvre sur le front du chômage (331 000 allocataires de plus contre 320 000 anticipés) ou une dégradation sournoise du marché immobilier — masquée par un savant tripatouillage des plus récentes statistiques.
En effet, les ventes de logements neufs auraient progressé de 4,8% au mois de septembre (pour un total de 770 000 unités). Mais le département du Commerce révise fortement à la baisse les chiffres du mois d’août de 8,3 à 15% (soit -23,3% en rythme annuel).
Cela ne vous rappelle-t-il pas le singulier retraitement des statistiques de l’emploi sur les trois mois de la période estivale avec 126 000 créations de postes miraculeusement retrouvés dans les disques durs à double fond des ordinateurs du département du Travail ? Et cela juste après que la Fed eut pris prétexte de la brutale dégradation du marché de l’emploi pour abaisser ses taux (comme par hasard).
Vous souvenez-vous des déclarations de George W. Bush quelques heures après la parution des premières estimations relatives au mois de septembre : « ces bons chiffres reflètent une économie dynamique et forte ».
Ben Bernanke et ses collègues auraient eu bonne mine si « George la Gaffe » avait mis les pieds dans le plat avec son optimisme béat 15 jours auparavant !
Mais si le Pentagone, sous la houlette de ses plus fidèles collaborateurs, a su détecter des armes de destruction massive en Irak, pourquoi les conseillers économiques de la Maison Blanche ne parviendraient-ils pas à détecter de la croissance par-delà la crise du subprime ?
De la croissance, on en trouve toujours quelque part, en Chine par exemple. Elle ralentit cependant à 11,2% au troisième trimestre contre 11,5% trois mois auparavant (il faudra s’en contenter !). Mais que les sherpas économiques de Washington se rassurent, l’Inde vient de passer la barre des 10% et l’Argentine ou la Géorgie (l’originale, pas celle dont sont originaires les meilleurs bluesmen du sud des States) carburent à un rythme voisin de 10%.
** Mais la Fed possède-t-elle le bon remède contre l’intervention imminente des troupes turques au nord du Kurdistan irakien afin « d’éradiquer définitivement le PKK », dixit le président turc Abdullah Gül lui-même ?
En fait, Wall Street s’en préoccupe assez peu : le remède imparable prescrit dans ce genre de situation géopolitique inextricable — qui connaît les dimensions géographiques et humaines du Kurdistan ? — c’est l’indifférence.
Par ailleurs, qui se soucie du PKK, à partir du moment où ses membres sont mis hors d’état de faire sauter le moindre pipe-line en provenance de la Mer Caspienne ?
Les marchés dérivés de matières premières font mine de s’émouvoir, pour le principe, histoire de justifier une nouvelle flambée du brut à plus de 89,5 $ sur le NYMEX. Les experts estiment que les prises de positions spéculatives sont responsables à elles seules d’une surévaluation de 30% du prix du baril.
Les gérants de SICAV actions peuvent respirer, cette spirale haussière des cours de l’or noir devrait bientôt s’enrayer d’elle-même, aucune pénurie réelle n’étant à déplorer ; c’est juste que tout se joue à un ou deux millions de barils près ! Nous attendons cet heureux dénouement depuis le 10 septembre dernier (et le débordement du zénith annuel des 76 $).
Hem ! Cela fait déjà plus de six semaines ? Ah bon ! Comme le temps passe vite !
** A Paris également, nous n’avons pas vu le temps passer depuis jeudi dernier. Il serait plus pertinent de dire que le temps apparaît comme suspendu : le bilan des cinq dernières séances se chiffre en fait à… zéro !
Ce score nul, nous le devons au rebond du CAC 40 qui reprend plus de 100 points au cours des dernières 36 heures. Il refranchit même les 5 760 points.
Sans le formidable impact positif de France Télécom (9% de hausse avec 47 millions de titres traités pour un cours moyen pondéré de 25,4 euros), le CAC 40 n’aurait pu déborder les 5 745 points (ligne de résistance horizontale issue des zéniths du 31 juillet, du 8 août puis du 19 septembre dernier).
Il est intéressant d’observer que le CAC 40 a rebondi très précisément sur sa MM 50 (5 630 points) le 24 octobre et a culminé tout aussi précisément sous sa MM 100 (5 767 points) 24 heures plus tard.
Le scénario auquel nous sommes confrontés est assez inhabituel car le sursaut du CAC 40 au-delà des 5 730 points (dès la reprise des cotations jeudi matin) s’est matérialisé au lendemain d’une séance de correction massive qui avait provoqué l’inflexion baissière de l’ensemble des indicateurs techniques, surveillés comme le lait sur le feu par les chartistes.
Mais avant de poser un diagnostic négatif, il fallait s’assurer qu’aucun opérateur américain n’avait retrouvé, derrière son écran constellé de titres et de courbes évoluant dans le rouge, une boîte de Fedeuforizens Miraculis !
Philippe Béchade,
Paris