▪ La refonte de Bâle III (pour ne pas dire son enterrement pur et simple sous la pression du lobby bancaire) a fourni aux places européennes l’occasion de renouer avec leurs meilleurs niveaux de la mi-juin. Le CAC 40 se hisse ainsi vers les 3 700 points, après une sixième séance de hausse consécutive et qui porte à 8% (rien que ça !) le terrain gagné depuis le plancher des 3 420 points testé le 20 juillet.
Compte tenu des chiffres économiques dont les marchés ont pris connaissance dans l’intervalle (depuis le 21 juillet), une telle performance est totalement inconcevable.
Fort heureusement, les commentateurs se rattrapent avec les trimestriels. L’argument massue qu’ils ne manquent pas de dégainer pour justifier l’apparente euphorie des investisseurs, c’est le constat que 75% à 80% des résultats s’avèrent supérieurs aux prévisions.
▪ Ils font naturellement référence à celles qui sont divulguées au grand public, pas à celles qui circulent en interne, entre bureaux d’analyse, salles de marchés et vendeurs actions. Nous savons, vous savez et ils savent que la composante « économies de structure et dégraissages d’effectifs » représente une part non négligeable de la profitabilité.
Si nous additionnons les 15 plans sociaux les plus lourds (en se limitant aux valeurs composant le S&P 100) annoncés en 2009, le total des postes supprimés se chiffre à 400 000. Si nous étendons notre recherche aux 100 premières capitalisations américaines, la barre du million de licenciements est allègrement franchie.
Vous en concluriez aisément que l’emploi demeure la variable d’ajustement favorite — et la plus efficace — des multinationales. Il serait facile de les stigmatiser si ce genre de comportement restait circonscrit, disons, aux entreprises phares du S&P 500. Mais ce n’est pas le cas : les méchantes World Companies que beaucoup de médias dénoncent ne détiennent pas — et de très loin — le monopole des licenciements pour motif économique : si neuf millions d’Américains ont perdu leur emploi depuis le début de l’hiver 2007, c’est que les PME-PMI ont elles aussi fortement dégraissé.
Il faut cependant préciser que nombre d’entre elles l’ont fait parce que contraintes et forcées par les dépôts de bilans… mais nous ne vous apprenons rien.
Nous évoquons la question parce que le plus gros « compresseur d’effectifs », c’est l’Etat — ou, soyons plus précis, une trentaine d’Etats en quasi-faillite sur le sol américain. En France, le président s’est de nouveau vanté d’avoir supprimé 100 000 postes de fonctionnaire depuis le début de son mandat. Et le 12 juillet dernier, il a exhorté les régions à en faire autant à l’échelon local.
▪ Nous sommes prêt à faire le pari que les républicains ne manqueront pas de faire campagne sur le thème de l’administration américaine qui aura mis le plus de fonctionnaires au chômage depuis l’après-Seconde Guerre mondiale — ou le milieu des années 80 : souvenez-vous des premières années de l’ère Reagan, et en Europe de l’ère Margaret Thatcher.
Et ils ne tromperont pas leur public (adversaires comme partisans) en affirmant qu’après avoir beaucoup licencié et créé des millions de postes à temps partiel parmi les professeurs, policiers, pompiers, postiers, personnel hospitalier, fonctionnaires des services de santé, l’administration Obama va considérablement alourdir le fardeau fiscal d’ici 2012 parce que les Etats-Unis n’ont pas d’autre choix que de s’attaquer à la réduction des déficits.
Démolir le bilan de l’administration Obama va s’avérer un jeu d’enfant d’ici novembre 2010.
C’est là que les investisseurs qui s’affirment supporters du camp républicain ont peut-être tort de se réjouir trop vite. Si la majorité bascule — ce qui est fort probable — lors des élections sénatoriales du milieu de l’automne, leur capacité de torpiller tout projet de hausse d’impôts devrait faire merveille au Congrès US.
Mais que vont penser les agences de notations et les créanciers des Etats-Unis en constatant que les recettes fiscales stagnent ou continuent de régresser ? D’autant que les entreprises s’y connaissent en exemption de taxes : BP vient même de faire valoir son droit à récupérer des sommes considérables auprès du fisc américain au titre de pertes de recettes liées à la marée noire… un comble !
▪ Nous ne sommes pas convaincu par les théories de ceux qui voient les investisseurs se détourner de l’euro au motif que la discorde ressurgira inexorablement parmi les utilisateurs de la monnaie unique dès la prochaine crise de confiance concernant la signature du Portugal ou de l’Espagne.
Préfèrent-ils demeurer créanciers de l’Illinois, du Nevada, de la Californie… alors que l’administration Obama se retrouverait dans l’incapacité de faire voter la moindre mesure visant à renflouer les caisses des Etats-Unis pour les deux ans à venir ?
Parce que l’argent va se faire de plus en plus rare dans les prochains temps si la tendance des trois derniers mois se confirme. Selon les derniers chiffres communiqués par l’Agence américaine de l’énergie, les stocks hebdomadaires de pétrole brut aux Etats-Unis ont grimpé de 7,3 millions de barils la semaine passée mais les stocks d’essence ne se sont pas accrus alors que la « driving season » bat son plein.
Ce n’est pas une indication très favorable concernant l’activité économique aux Etats-Unis et elle n’est malheureusement pas isolée. Wall Street a sanctionné mercredi la baisse inattendue de 1% des commandes américaines de biens durables au mois de juin (après -0,8% en mai, c’est le plus fort repli depuis août 2009).
C’est une vraie déception : les analystes anticipaient un rebond symbolique dans le sillage des dernières statistiques de commandes à l’industrie en Europe. Ces dernières auraient fait un bond de 2,8% au mois de mai… et nous continuons de nous demander comment un tel score a pu être réalisé, si ce n’est grâce à la dégringolade de 15% de l’euro en six mois !
▪ Nous doutons franchement de la véracité des chiffres relatifs à la croissance en Europe alors que nous observons un net durcissement des conditions d’octroi de prêts, selon les plus récents chiffres publiés mercredi par la Banque centrale européenne.
Davantage de banques (+11%) ont rendu l’accès au crédit plus restrictif pour les entreprises. Par ailleurs, les conditions d’éligibilité pour les ménages contractant un crédit immobilier sont restées tout aussi draconiennes : les taux ne sont certes pas chers (ils sont même au plancher historique) mais combien d’emprunteurs présentent désormais le bon profil en matière de sécurité de l’emploi ? Même certaines catégories de fonctionnaires ne font plus l’affaire, c’est tout dire !
Alors nous voulons bien entendre de fins stratèges nous prédire un rally d’été à l’image de celui survenu en 2009… mais vous nous pardonnerez de persévérer à vous recommander de protéger vos arrières. Le risque de pertes nous apparaît en effet plus élevé que les espoirs de gains alors que les haussiers sont redevenus majoritaires sur les marchés.