Vous savez que je professe que la Chine est notre avenir, notre précurseur et notre caricature.
Pourquoi ?
Parce que la partie privée, capitaliste, pseudo-libérale de la Chine a fait tout ce que nous avons fait. Elle a commis les mêmes excès, et les mêmes erreurs que nous. Elle s’est détachée du Réel, elle s’est écartée de la Loi de la Valeur – en particulier au plan monétaire, financier et immobilier – et que son Système étant plus « hard » et moins « soft », ce qui s‘y passe est plus brutal, plus fruste.
Une répétition de notre avenir, avec les caractéristiques chinoises, si on veut.
Attention, je n’ai dit jamais dit et je ne dis pas que « la Chine, c’est comme nous », comme l’Occident ; non, ce que je dis est précis : je ne vise que la partie privée. La partie privée, capitaliste, ne représente qu’une fraction de l’économie et du système chinois. Le secteur étatique est prédominant au plan des prises des impulsions, décisions, des investissements, et surtout du contrôle bancaire.
Contre l’occidentalisation
En Chine, ce qui est faux, désajusté c’est le secteur privé, spéculatif, libéral. C’est l’inverse du système soviétique. Le système étatique reste ordonné, il tient la route et joue à la fois son rôle d’entrainement et de stabilisateur.
Il y a quelques années, le patron de la banque centrale chinoise a plaidé pour une libéralisation accrue et une plus grande ouverture – bref, pour une occidentalisation plus poussée. Xi Jinping a refusé et l’a remplacé, et au contraire il a renforcé l’emprise du Parti communiste chinois.
Xi a fait machine arrière dans l’occidentalisation. Il a renforcé son pouvoir personnel, assuré son contrôle, repris en mains de nombreux secteurs et il a donné un coup d’arrêt à la dérive sociétale, y compris dans l’éducation et les mœurs.
La Chine a décidé, et c’est volontaire, de crever sa bulle et de nettoyer son économie spéculative. Cela inclut l’immobilier, la high tech, le star système, la moralité, etc. Xi a réaffirmé que les bienfaits de la croissance devaient profiter à tous, et il a déclaré vouloir lutter contre les inégalités.
Xi visiblement pense comme moi qu’il n’est de vérité que du tout et que toutes les bulles doivent être crevées afin que la société chinoise ne dérive pas à l’occidentale, ne s’affaiblisse pas, ne perde pas ses capacités d’adaptation. Il veut faire atterrir la société chinoise. Réconcilier l’imaginaire bullaire chinois avec la réalité. Car l’imaginaire est un gaspillage et surtout il est insoutenable.
Se préparer aux crises
Le gâchis immobilier actuel est un signal que l’économie chinoise est de plus en plus influencée par le chaos et les aléas du secteur à but lucratif pensent les responsables du PCC.
Le PCC croit que la réponse à la mini-crise chinoise ne nécessite pas davantage de réformes « libérales ». Au contraire. Il est persuadé que la Chine doit inverser l’expansion du secteur privé et introduire des plans plus efficaces d’investissements publics, « mais cette fois avec la participation démocratique du peuple chinois », pas par des think tanks ou par les banques.
Xi prépare son pays à la fois à son avenir de puissance dominante mondiale et en même temps au conflit armé probable qui l’opposera aux USA.
Et il accepte que la Chine en paie le prix tant qu’il en est encore temps et qu’elle a encore assez de parties saines pour prendre le dessus.
Tout cela passe par l’autoritarisme, la cohésion sociale naturelle ou forcée, et la menace de la force si nécessaire.
Aujourd’hui, la crise immobilière a atteint un point tel que des millions d’acheteurs chinois ont cessé de payer leurs versements hypothécaires initiaux. Les boycotts croissants des acheteurs chinois sur les paiements hypothécaires se sont propagés à au moins 301 projets dans environ 91 villes, la valeur des prêts hypothécaires pouvant être affectés atteignant environ 2 000 milliards de yuans (297 Mds$).
Environ 70% de la richesse des ménages en Chine est investie dans l’immobilier.
Certaines banques chinoises ont réagi en saisissant les dépôts d’épargne des acheteurs, affirmant qu’il s’agissait en réalité de « produits d’investissement hypothécaires ». Cela a déclenché des manifestations ouvertes à l’extérieur de certaines banques, conduisant le gouvernement à entourer les banques de chars.
La révolte de l’hypothécaire
L’Economic Times nous informait le 21 juillet de ces manifestations :
« Dans un sinistre rappel du massacre de la place Tiananmen en 1989, des chars blindés ont été vus déployés dans les rues de Chine au milieu de manifestations à grande échelle de personnes exigeant la libération de leurs économies gelées par les banques.
La province du Henan, dans le pays, a été témoin ces dernières semaines d’affrontements entre la police et les déposants, ces derniers affirmant avoir été empêchés de retirer leur épargne des banques depuis avril de cette année.
De nouvelles vidéos ont fait surface en ligne dans lesquelles des chars de l’Armée de libération du peuple chinois (APL) peuvent être vus déployés dans les rues pour effrayer les manifestants.
Des protestations à grande échelle sont organisées dans la province par des déposants bancaires au sujet de la libération de leurs fonds gelés. »
Cette révolte populaire de l’hypothécaire intervient à un moment ou l’huile dans les rouages économiques se raréfie.
L’économie chinoise s’est contractée de 2,6% en rythme trimestriel corrigé des variations saisonnières au cours du deuxième trimestre. Le taux de chômage national est à 5,9% en mai, le taux de chômage des 16-24 ans passant à 18,4%. Il est de plus en plus clair que le taux de croissance du PIB réel visé par le gouvernement de plus de 5% ne sera pas atteint cette année.
Cet objectif a été réduit au cours des dernières années, car l’expansion annuelle à deux chiffres de la dernière décennie a disparu.
Les profits du secteur capitaliste ont chuté. Les bénéfices réalisés par les entreprises industrielles chinoises n’ont augmenté que de 1% en glissement annuel pour atteindre 34 410 Mds$ de janvier à mai 2022. C’est un ralentissement par rapport à la hausse de 3,5% au cours de la période précédente.
Les prix élevés des matières premières et les perturbations de la chaîne d’approvisionnement dues aux restrictions liées au Covid-19 ont continué à réduire les marges et perturber l’activité de l’usine.
Mais les bénéfices des entreprises industrielles publiques ont augmenté de 9,8% : le secteur étatique continue de jouer son rôle stabilisateur. C’est ce qui s’est passé lors de la crise de 2008-2009, que la Chine a évité en augmentant les investissements publics pour remplacer un secteur capitaliste « en difficulté ».
Xi et le PCC ont décidé qu’il était temps d’opérer la reprise en mains et de nettoyer le système chinois. La reprise en mains est possible tant que le secteur public reste prédominant, elle devient/deviendra plus aléatoire au fur et à mesure que la part du privé augmente/augmentera.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]
1 commentaire
En Belgique, il y a deux décennies, le secteur public jouait encore exactement le même rôle. Mais, avec l’idéologie néolibérale imposée par l’EU, ce secteur a quasi disparu (il est réapparu un peu lors du sauvetage des banques, l’État ne servant plus qu’à sauver le capital).