** La séance d’hier avait un arrière goût de déjà-vu. Si l’activité du marché parisien, comme on pouvait s’y attendre, s’avère presque deux fois supérieure à celle de la veille avec 5,125 milliards d’euros échangés (contre 2,85 milliards d’euros à l’occasion du lundi de Pentecôte), la volatilité est demeurée la même.
Autre ressemblance troublante, les extrêmes du jour furent pratiquement identiques à ceux observés lundi. Le CAC 40 a buté une nouvelle fois sur les 5 010/5 015 points puis a retrouvé du soutien dans la zone des 4 950 points — un seuil à partir duquel s’est manifesté une ébauche de ramassage qui s’est prolongée durant près de deux heures et demie.
La publication par le département du Commerce américain d’une baisse moins forte que prévu des ventes de détail (-0,2% en avril contre un consensus à -0,3%) a provoqué un soudain rebond d’une cinquantaine de points à Paris. Ce rebond n’a cependant pas permis au CAC 40 de combler le gap baissier du 8 mai dernier — ouvert sous les 5 025 points. Le scénario demeure apparenté à un « îlot de retournement baissier » sous les 5 100 points.
L’élément déclencheur fut le franchissement des 125 $, puis des 126 $, par le baril de pétrole. Le sursaut indiciel des dernières 48 heures s’inspirait symétriquement de la consolidation survenue sur le Nymex lundi dernier en fin de journée entre 126,4 $ et 123,5 $.
Les investisseurs n’en ont cependant pas fini avec les sautes d’humeur de l’or noir puisque le baril s’envolait soudain de 2,5% mardi soir — entre 124,5 $ et 126,98 $. Si de tels niveaux devaient se confirmer aujourd’hui après la publication de l’état hebdomadaire des stocks de pétrole américains, les places européennes ne pourront pas occulter ce phénomène. Il risque de raviver les anticipations inflationnistes et de ruiner les espoirs d’une poursuite de l’embellie — toute relative — de la consommation aux Etats-Unis (hors automobile) observée le mois dernier.
** La flambée du pétrole continue de renchérir les prix à l’importation aux Etats-Unis. Ils ont grimpé de 1,8% au mois d’avril, un chiffre conforme à la prévision moyenne des économistes ; mais avec 20% de hausse en 15 jours sur le WTI (contrat juin), que vont donner les chiffres de mai ?
Si, deux mois auparavant (à la mi-mars), beaucoup d’articles de presse avaient évoqué l’impact de la spéculation et des arbitrages massifs au détriment du dollar, cette explication vient de perdre beaucoup de sa pertinence ces 15 derniers jours. Les contrats à terme de nature purement spéculative ne représenteraient plus que 3,5% des positions ouvertes, contre 8% pendant la période troublée du 15 janvier au 15 mars derniers.
Le Nymex est de nouveau entre les mains de professionnels et d’entreprises — grosses consommatrices — qui couvrent leurs approvisionnements. Cela ne fait que rendre plus brûlante la question de fond : qu’est-ce qui les pousse à entretenir la spirale haussière — y compris à 127 $ — alors que les signaux de ralentissement économique foisonnent dans les pays occidentaux où la consommation de carburant recule graduellement depuis 2005, le phénomène s’accentuant, pour le plus grand bénéfice de l’environnement, depuis l’hiver dernier ?
Beaucoup d’économistes répondent du tac au tac : « parce qu’il suffit d’aller jeter un oeil en Chine ou en Inde pour comprendre que la frénésie de croissance, l’appétit de consommation et la foi dans un avenir radieux de type American way of life constituent de formidables accélérateurs de la demande en hydrocarbures et en matières premières ».
** Nous ajouterons que les capacités mondiales de raffinage ne suivent pas — c’est un fait incontestable –, que la situation au Proche-Orient reste délétère (l’administration Bush a tout intérêt à pousser l’Iran à la faute via le Hezbollah au Liban, toujours privé de président), et que le Nigeria reste incapable de sécuriser la production des compagnies occidentales.
Mais tous ces arguments, vous les connaissez par coeur. Les spécialistes — toujours les mêmes avez-vous remarqué ? — interviewés dans les médias nous les resservent dans l’ordre ou le désordre depuis plus de quatre ans.
Nous avons connu des tensions géopolitiques bien plus fortes au Proche-Orient au cours de l’été 2006 qui n’ont pas fait exploser les cours du brut ; c’est même tout le contraire qui s’est produit deux ans auparavant, de la mi-juillet à la mi-novembre 2006.
Nous gardons un souvenir très précis de la chute du baril entre 77 $ et 55 $ alors que les combats faisaient rage autour de la frontière israélo-libanaise et jusqu’au coeur de Beyrouth.
Nous voulons bien admettre qu’avec 10% de croissance en rythme annuel et la moitié des nouvelles immatriculations de véhicules particuliers dans le monde, la Chine et l’Inde participent à une tension de la demande face à une production qui tend à stagner.
Nous avons constaté que l’OPEP ose désormais tenir tête aux Etats-Unis lorsque la Maison-Blanche demande à ses « amis » d’Arabie Saoudite ou des Emirats Arabes Unis d’ouvrir les vannes pour laisser se déverser trois ou quatre malheureux millions de barils de pétrole supplémentaires par jour. Nous savons que les pays membres ont compris l’intérêt d’une certaine discipline : fini les ventes au noir, les trafics transfrontaliers, les opérations de déstockage sans stocks réellement constitués.
Mais vous pouvez mettre tous ces arguments bout à bout et les matraquer trois fois par jour à la radio, à la télé, sur internet… cela ne nous empêchera pas de demander avec insistance : mais qui achète massivement des produits made in China ou made in India, Korea, Vietnam, Taïwan, Mexico, Bolivia ? Avec quel argent ?
** Les ménages américains ont fini depuis 18 mois d’extraire de la valeur de leur patrimoine immobilier, c’est maintenant au tour des ménages britanniques et espagnols de vivre les affres de l’explosion de la bulle du logement et d’affronter les conséquences du negative equity (moins-value latente) sur des biens dont ils ne peuvent plus assurer le remboursement.
Les banques centrales anglo-saxonnes (Fed, Banque d’Angleterre) nationalisent par dizaines de milliards de dollars les créances pourries des établissements de crédit à capitaux privés, mais cela évite-t-il la moindre saisie de logement ou l’effondrement des prix de l’immobilier ?
Peu avant le week-end dernier, nous entendions sur CNBC un économiste se réjouir du gonflement de l’encours des cartes de crédit (+15 milliards de dollars) aux Etats-Unis au mois d’avril. D’après lui, c’était là le signe d’un regain de vigueur de la consommation : les chiffres des ventes de détail publiés ce mardi lui donneraient presque raison… mais c’est un pur trompe-l’œil !
La production de crédit pour les achats de biens de consommation durables (qui s’amortissent sur plusieurs années) est en contraction, les défauts de remboursement sur les cartes de crédit avoisinent les 3%, les officines de prêteurs sur gage ne désemplissent pas. Les Américains se servent de leur « bout de plastique » — ils en détiennent une quinzaine en moyenne jusqu’au moment où ils se les font confisquer — pour obtenir de quoi rembourser leurs prêts immobilier, pas pour consommer !
Heureux Européens que nous sommes : nous n’en sommes pas encore là mais la proportion de ménages qui n’arrive plus à joindre les deux bouts augmente à une vitesse alarmante. Certains n’ont plus le moyen de remplir leur réservoir pour aller travailler.
** A l’autre extrémité de l’éventail social, certaines de nos connaissances se réjouissent de réaliser de solides plus-values sur une des rares productions hexagonales que les connaisseurs avisés peuvent stocker en abondance chez eux ou sous la forme de « pièces » qui restent en dépôt chez le producteur : il s’agit du vin primeur.
Mais ont-ils fait ces trois dernières années une meilleure affaire que s’ils avaient rempli cuves et magnums d’un précieux liquide dénommé sans plomb 95 ?
Allez… santé !
Philippe Béchade,
Paris