Quelle voie choisira le Royaume-Uni après le Brexit ? L’avenir nous le dira, mais l’Union européenne pourrait sortir largement perdante.
A court terme, l’Union européenne (UE) va devoir faire face à la perte de la contribution britannique au budget de l’UE. Connaissant le sens de l’innovation fiscale des élites politiques françaises, je ne me fais pas plus de souci que cela à ce sujet.
Pour ce qui est des négociations commerciales, comme nous le disions hier, il faudra attendre le 31 décembre 2020 pour savoir si la période de transition aura permis aux deux parties d’établir plus de points de convergences que de divergences.
Mais le risque majeur pour l’UE vis-à-vis du Royaume-Uni se situe à moyen terme.
Comment le Royaume-Uni va-t-il se transformer maintenant qu’il a les mains libres ?
Sur plan de la politique intérieure, Charles Gave explique que « jamais, en fait, un Premier Ministre n’aura été aussi libre de des actions depuis 1914 ».
Or, pendant la campagne électorale, Boris Johnson a été très clair ses intentions, comme l’explique Charles Gave :
« Il a été déjà annoncé un programme d’investissements massifs dans le nord de la Grande-Bretagne (routes, chemins de fer, ponts, habitat, liaisons informatiques etc.) pour désenclaver toute ces régions et réintégrer ce qu’il faut bien appeler l’Angleterre périphérique dans l’économie moderne.
Parallèlement, il va faire inscrire dans la LOI et pour la première fois un ensemble gigantesque de dépenses pour la NHS (la Sécu locale) pour la moderniser au cours des prochaines années.
L’administration (le fameux Whitehall), siège de tous les blocages, va être dynamitée, ses pouvoirs réduits ou transférées aux maires élus localement.
En aucun cas, la Grande-Bretagne n’importera automatiquement les règles et règlementations concoctées à Bruxelles et retrouvera sa pleine souveraineté juridique, ce qui veut dire la fin de l’ubuesque carcan règlementaire européen qui plombe toutes les économies du vieux continent.
Le nouveau gouvernement qui sera intronisé en février 2020 ne sera plus un gouvernement de coalition mais un gouvernement de conviction, centré sans aucun doute sur des personnalités comme Rees-Mogg, Gove, Javis, Patel […]. »
Du point de vue de l’UE, le risque est donc que le Brexit acte la date de départ de la transformation de la City, de Londres et peut-être du Royaume-Uni en une sorte de Singapour aux portes de l’Union européenne.
Et pour nous autres Français, le Brexit est-il une bonne nouvelle ?
Au vu de ces éclairages, on comprend mieux pourquoi le président de la République n’a pas dérogé à son habitude en affirmant une position toute en nuances…
Du point de vue de la France, l’unique avantage du Brexit me semble être qu’il renforce relativement le poids de notre pays sur les questions de sécurité :
13 décembre : « Macron rappelle à #EUCO que le départ de la Grande-Bretagne signifie que la France est le seul Etat-membre de l’UE disposant d’armes nucléaires et d’un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Europe à 27, quoi. »
Plus généralement, au niveau de la défense des intérêts de la France dans la gouvernance de l’UE, le Brexit est à mon avis tout sauf une bonne nouvelle. Comme l’explique le bloggeur Franck Boizard – qui ne mâche pas ses mots :
« Le Brexit est une catastrophe : il laisse notre classe dirigeante ultra-pétainiste en tête à tête avec les casques à pointe de Berlin, alors que notre allié naturel est la Grande-Bretagne. Comme disaient avec crainte les Français des années 40 quand Pierre Laval partait pour Berlin : ‘qu’est-ce que le maquignon va encore brader ?’ »
A ce sujet, je renvoie le lecteur à mes billets sur la relation qu’entretiennent la France et l’Allemagne, qui forment à peu près tout sauf un couple…
Mais cela ne nous dit pas quelles seront les conséquences économiques du Brexit vis-à-vis de notre pays.
La concurrence britannique poussera-t-elle le personnel politique français à délaisser l’étatisme au profit de plus de libéralisme ?
Je partage cette considération de Jean-Marc Daniel. Le 18 octobre, le célèbre chroniqueur expliquait que comme ne vivons plus à l’époque où l’Angleterre profitait de la manne son charbon, il va falloir qu’elle se reconstitue un avantage comparatif. Lequel ?
« […] Développer un véritable dumping social et fiscal vis-à-vis de ses voisins, notamment de l’UE, c’est-à-dire que concrètement, le véritable projet, c’est Singapour sur la Tamise. C’est développer un endroit où la liberté, où l’absence de contrainte, où la capacité à créer très rapidement des entreprises et à se développer, où l’entreprenariat seront valorisés. »
En somme, la diplomatie britannique va passer du principe « if you can’t beat them, join them » (« si vous ne pouvez les vaincre, joignez-vous à eux ») à celui de « if you can’t join them, beat them » (l’inverse). Et c’est « une excellente nouvelle ! », comme le relève Jean-Marc Daniel.
Pourquoi donc ? Tout simplement parce que nous disposerons d’un pays voisin qui va nous inciter à améliorer notre système législatif en appuyant là où ça fait mal. Les travers de notre système n’en seront que plus apparents, et enfin peut-être nos politiques commenceront-ils à se poser les bonnes questions.
En effet, poursuit Jean-Marc Daniel :
« Si l’on a enfin un concurrent qui nous défie, qui nous explique qu’il faut nous débarrasser de la bureaucratie, si l’on a un concurrent qui ne critique pas la politique agricole commune mais qui envoie des produits agricoles de bon niveau et qui remet en cause l’agriculture, si l’on a un concurrent industriel qui nous explique que les voitures qui sont fabriquées par Nissan en Angleterre sont beaucoup moins chères et sont capables de concurrencer l’Espagne ou l’industrie française, c’est une très très bonne nouvelle. »
Bien sûr, ça, c’est la théorie. Rien ne garantit que l’Etat français réagisse à ce stimulus en libéralisant son économie plutôt qu’en poursuivant sur la voie de l’étatisation.
Pour l’instant, Rafik Smati est à ma connaissance le seul homme politique à avoir communiqué sur ce sujet – c’est dire à quel point notre personnel politique est confortablement englué dans son étatisme.