Quelques considérations éclairées sur le bitcoin… en compagnie de Jacques de Larosière, ancien directeur du FMI.
Le bitcoin a non seulement battu le Nasdaq 100 sur la période 26 octobre/24 novembre (avec +13,3%) mais surtout, il pulvérise la performance des « Sept fantastiques » (dont la fusée haussière Nvidia) du 10 octobre au 24 novembre, avec un tonitruant +42,5%.
Pourquoi et comment le bitcoin a-t-il devancé Wall Street d’un mois dans la hausse ? Qu’est-ce qui lui a permis de poursuivre sur sa lancée en novembre et de continuer à surperformer la totalité des autres classes d’actifs ?
Il semble que la réponse réside dans le feuilleton du lancement d’un ETF BTC par BlackRock, le n°1 mondial incontesté des ETF.
Les acheteurs ont-ils décidé d’accumuler un actif qui ne distribue pas de revenus, mais qui n’est pas non plus sujet à une multiplication anarchique des unités en circulation… ou vient-on de vivre un de ces violents mouvements spéculatifs comme il s’en produit tous les deux ans ?
Nous avons tout simplement posé la question à un ex-banquier central, ex-patron du FMI et ex-membre de la direction de BNP-Paribas.
Et oui, Jacques de La Rosière nous a fait l’honneur de nous accorder une longue interview de deux heures que vous découvrirez début décembre, comme une sorte de cadeau de Noël… et qui constitue un savant mélange d’érudition, d’élégance mêlée de causticité dans l’argumentation.
Vous serez surpris de la fraîcheur et de la vivacité d’esprit de notre prestigieux invité, mais aussi par la proximité de ses analyses avec celles que nous vous délivrons depuis deux décennies, chez Agora.
Jacques de La Rosière est un défenseur de grands principes de gestion orthodoxe de l’offre d’argent des banques centrales, telles qu’il les a pratiqués avec ses collègues européens, américains, asiatiques et sud-américains de l’époque jusqu’en l’an 2000, et la création de l’euro.
Lors de l’interview filmée, il a été beaucoup question des politiques monétaires expérimentales pratiquées depuis 2008 par les banques centrales occidentales, et à quel point cela avait dégradé la crédibilité de la monnaie.
La Fed a en quelque sorte doublé la mise pour dissuader de détenir la sienne en tant qu’instrument de réserve moyen ou long terme en « militarisant » le dollar, au travers du département de la Justice, puis en confisquant les avoirs de la banque centrale russe.
Il y avait tellement à dire que nous avons poursuivi nos échanges lors d’un dîner en sa compagnie (que j’ai partiellement enregistré, avec son accord, entre le café et les mignardises). Comme nous évoquions la chute de 99% de la valeur du dollar depuis la création de la Fed à la veille de Noël 1913, Jacques de Larosière rappelle que l’inflation au fil des décennies, c’est d’abord et avant tout la perte de pouvoir d’achat de la monnaie.
Ce phénomène s’accélère dès que la planche à billet se met à tourner : il a souligné l’impératif du maintien d’une forme de rareté pour en préserver la valeur.
Et assez logiquement, partant de cette notion de « rareté », nous avons évoqué les principes ayant participé à la conception du bitcoin…
Nous n’avions pas forcément envie d’entamer un débat sur le BTC et les CBDC à 22H05… Mais là, le visage de Jacques s’est illuminé, malgré l’heure tardive, et alors que nous le questionnions sur la valeur intrinsèque d’un actif sans collatéral concret (qu’il soit ou non « crypto »), il est devenu intarissable.
Nous nous sommes naturellement abstenus de l’interrompre, sachant que nous allions pouvoir commander une tournée de café d’Éthiopie pour garder tous nos sens en éveil.
Et nous n’avons pas été déçus, car au-delà de ses arguments très techniques concernant le BTC, il nous a révélé à quel point son successeur, issu lui aussi de la BNP, poussait les feux avec ses équipes de la BDF (Banque de France) afin que nous soyons les plus avancés et les premiers en Europe à pouvoir lancer notre CBDC.
Jacques de Larosière n’a pas caché son scepticisme sur l’urgence de faire aboutir ce projet… à moins que les intentions affichées ne constituent qu’une partie du but poursuivi, le périmètre d’une CBDC étant forcément évolutif vu les potentialités techniques des monnaies numériques.
La discussion qui a rebondi sur le bitcoin et nous a emmené jusqu’à tard dans la soirée. Jacques a très vite souligné la pertinence de la conception du BTC et de l’apparente très bonne maîtrise des mécanismes de protection du détenteur de l’actif.
Même s’il apparaît rapidement évident qu’il se range dans le camp des « maximalistes », il ne reconnaît pas au BTC le statut de monnaie, mais il s’agit bien d’un actif négociable doté d’un fort degré de confiance (ce qui lui confère un net avantage par rapport à bien des monnaies ayant cours légal).
Il peut être investi dans une perspective de diversification d’un patrimoine, au même titre qu’une montre, une œuvre d’art unique et authentifiée, avec une plus grande commodité de négociation (H24, 365j/an)… sachant que la valeur future n’est jamais certaine.
Son instabilité, l’absence de collatéral (à la différence d’une devise de réserve), la non-production d’une rémunération (taux d’intérêt), son caractère impropre à servir de support pour un prêt (sa valeur pouvant varier du simple ou double à un mois ou quelques jours du remboursement, ce qui serait périlleux pour l’emprunteur) ne valident pas l’appellation de devise ni « monnaie » associé au terme « crypto ».
En revanche, sa rareté (quantité en circulation limitée), la sécurité dont jouit le détenteur (pas de contrefaçon possible, pas de détournement via un piratage bancaire) sont précisément les caractéristiques que devrait présenter une monnaie « honnête et robuste ».
Mais il manquera toujours au BTC un collatéral à la valeur reconnue : la seule référence « concrète » reste son coût de minage, ce qui ne constitue même pas une quantité d’énergie récupérable comme pourrait l’être une cuve de pétrole en attente d’être consommée).
Mais le capital de confiance qu’il suscite semble mérité et il s’impose peu à peu dans le paysage financier.
En revanche, l’empressement de plusieurs dirigeants européens à mettre en œuvre les CBDC mérite… une certaine circonspection !
3 commentaires
La teneur de cet article m’a presque laissé pantois : je me disais qu’interroger un ex-banquier, et a fortiori ex-banquier central, au sujet du BTC, c’était un peu comme demander à un pétrolier ce qu’il pense de la voiture à moteur électrique. Certaines inventions font le bonheur des uns et le malheur des autres, et l’on ne peut pas attendre des « autres » qu’ils les voient d’un bon oeil.
La position exprimée par Monsieur Jacques de Larosière m’a donc d’autant plus surpris, et il est vraiment intéressant de constater le chemin parcouru dans l’appréciation (ou pas) de cette nouvelle classe d’actifs.
Il est tout aussi intéressant de constater la distinction qui semble être faite implicitement entre le BTC et les quelques milliers d’autres cryptomonnaies, dont la plupart, voire l’entièreté, ne présentent pas le moindre intérêt, si ce n’est pour les spéculateurs à la petite semaine.
Un certain nombre des autres cryptomonnaies dont vous parlez ont un gros avantage sur le Bitcoin : elles ne nécessitent pas une consommation délirante d’énergie électrique pour fonctionner. Par ailleurs, elles sont bien plus utiles, de par la possibilité qu’offre généralement la blockchain qui les supporte de fournir différents services au travers de smart contracts.
Et pour ce qui est de la spéculation, le Bitcoin et les autres cryptomonnaies ne sont pas fondamentalement différentes.
Ami DUMBPHONE !
« Il est tout aussi intéressant de constater la distinction qui semble être faite implicitement entre le BTC et les quelques milliers d’autres cryptomonnaies, dont la plupart, voire l’entièreté, ne présentent pas le moindre intérêt, si ce n’est pour les spéculateurs à la petite semaine. »
Devant une telle affirmation on ne peut être sûr que d’une chose: Dans le domaine de la crypto vous n’êtes qu’un beau béotien ».
Comme je le suis moi-même par exemple en latin, physique nucléaire ou en japonais, par exemple…