Les discours ont toujours un temps de retard sur la réalité économique. Les indicateurs qui prédisaient un ralentissement économique depuis deux ans commencent à se retourner – signe que le point bas n’est peut-être pas si loin.
Après deux ans de déni, la gravité de notre situation économique est enfin acceptée par les médias et les hommes politiques.
Plus question de nier les tensions sur le marché de l’emploi, sur la disponibilité des matières premières, et sur le coût de l’argent. L’inflation, c’est désormais officiel, est même à deux chiffres dans une bonne partie de l’Europe : 11% sur un an en Allemagne, 12% en Belgique et jusqu’à 25% dans les pays baltes. Alors que le monde économique se complaisait dans un optimisme béat depuis dix ans, il est maintenant de bon ton d’être ouvertement inquiet, voire alarmiste.
Après les mises en garde de nos dirigeants sur la fin de l’abondance et une inévitable sobriété, voici désormais une surenchère de pessimisme des grands noms de la finance. Mi-octobre, c’est le patron de la banque JPMorgan qui a partagé dans la presse son inquiétude quant à un « ouragan économique » imminent. Un discours qu’il répète à qui veut l’entendre depuis la fin mai.
Pour l’investisseur lambda qui lit la presse généraliste et prend ses décisions financières en se basant sur le discours des sachants, la situation actuelle semble justifier un sauve-qui-peut patrimonial. Après tout, selon le discours du moment, l’économie est à terre, les problèmes sont devant nous, et même les valeurs refuge comme l’or et l’immobilier vont s’effondrer à cause de l’inéluctable hausse des taux.
En réalité, il faut garder à l’esprit que le discours politico-médiatique a toujours un temps de retard sur la réalité économique. Les mêmes indicateurs avancés qui prédisaient un ralentissement économique depuis deux ans commencent à se retourner – signe que le point bas n’est peut-être pas si loin.
Les signaux encourageants du fret maritime
A la fin de l’été 2021, je vous mettais en garde contre l’imminence d’un épisode inflationniste du fait du blocage complet des chaînes logistiques internationales. Cette démondialisation subie se lisait très clairement en constatant l’effondrement des volumes portuaires et l’envolée inédite des coûts de transport de l’Asie vers l’Occident.
Or, comme la sobriété énergétique si à la mode ces jours-ci, la démondialisation est peut-être le rêve des décroissants… mais c’est aussi à coup sûr le signe qu’une nouvelle poussée inflationniste est imminente. Car cesser d’importer de la déflation par le commerce international, c’est permettre aux forces inflationnistes locales de reprendre le dessus.
Les difficultés du commerce avec les pays à bas coût sont ainsi un indicateur avancé précieux qui permet d’anticiper l’évolution de l’inflation dans les mois à venir. Et, de la même manière que cet indicateur s’était affolé brutalement pendant la pandémie, le voilà qui retrouve des niveaux plus normaux.
Durant le Covid, une modeste reprise des volumes de l’ordre de 10% entre l’Europe et l’Asie avait conduit à une augmentation de 700% à 800% du prix des containers – lorsque les industriels parvenaient à en trouver. Nos chaînes d’approvisionnement en ont été totalement bouleversées. Pénuries de matières premières, hausse des prix des produits importés : les conséquences se font encore sentir aujourd’hui.
Depuis cet été, les tarifs du transport de containers de 20 et 40 pieds se sont symétriquement effondrés. Avec un prix revenu à 2 000 $ pour un container entier et de l’ordre de 30 € le mètre-cube pour des chargements partiels, l’importation de produits et matières premières à bas coût redevient économiquement rentable.
Au niveau des terminaux portuaires français, les volumes restent à peu près stables, malgré la baisse de ces prix. Cela signifie donc que le léger écrêtement de la demande de ces derniers mois a suffi à faire dégonfler la bulle des prix du transport.
Les agents économiques qui ont survécu à cet épisode de surchauffe sont, toutes choses égales par ailleurs, dans une meilleure situation que l’année passée à la même époque… et nos « spécialistes » des questions économiques, qu’ils soient ministres ou analystes de plateaux télévisés, n’en ont absolument pas conscience.
Pourquoi les leaders d’opinion se trompent
Souvenez-vous de l’été 2021. Dans un consensus quasi-unanime, experts financiers mainstream et hommes politiques balayaient d’un revers de la main la possibilité d’un manque d’énergie ou de pénurie de matières premières. La question des taux d’intérêt était même, disait-on alors, tranchée : depuis la crise des subprimes, nos économies s’étaient installées dans une période de taux zéro qui ne pourrait jamais prendre fin. Dans un raisonnement par l’absurde qui inversait causes et conséquences, il était même de bon ton de prévoir que les banques centrales ne pourraient jamais remonter leurs taux directeurs, du fait du coût économique d’une telle mesure.
Un an plus tard, nous savons ce qu’il en est de ces trois sujets.
Comment nos leaders d’opinions ont-ils pu se tromper ainsi ? Certains y voient de l’incompétence, d’autres du machiavélisme, voire de la malhonnêteté. Une autre explication est que les personnalités les plus écoutées, qu’il s’agisse d’économistes de plateaux télévisés ou d’hommes politiques, sont par définition des personnes médiatiques et non des travailleurs de terrain.
Ils basent donc leur discours sur le consensus de ce microcosme qui évolue avec une lenteur déconcertante et non sur les derniers indicateurs réels.
C’est selon moi pour cette raison que le discours mainstream semble si souvent se tromper. Alors qu’il fait mine de prédire l’avenir, il raconte en fait la situation telle qu’elle était six mois auparavant. C’est pour cela que tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes à l’automne 2021, et que le ciel semble prêt à nous tomber sur la tête à l’automne 2022.
Le consensus dit aujourd’hui que la baisse ne fait que commencer et qu’il faut à tout prix liquider vos actions, céder vos biens immobiliers avant le krach, et vous contenter de garder votre cash. Les Cassandre vous proposent ainsi de perdre volontairement 10% par an de pouvoir d’achat du fait de l’inflation, sans perspective de rebond.
Avant de céder à la panique, souvenez-vous que ce même microcosme vous incitait à multiplier aveuglément vos investissements, il y a un an de cela. Si vous avez suivi leurs conseils, vous avez subi de plein fouet une correction d’ampleur historique des marchés mondiaux (le Nasdaq 100 a perdu plus de 5 880 points en ligne droite durant la correction actuelle, contre 2 650 points durant le Covid et moins de 900 points durant la crise des supbrimes).
Aujourd’hui, la normalisation des conditions du commerce maritime international est un bol d’air pour notre économie. A dire vrai, nous n’avions pas connu pareille bonne nouvelle macroéconomique depuis les premiers confinements.
Et, si la problématique énergétique de cet hiver reste entière, elle aussi touchera un jour ou l’autre à sa fin. Lorsque les prix de l’énergie baisseront sans baisse des volumes consommés (ce qui n’est pas encore le cas à l’heure de l’écriture de ces lignes), nous aurons réglé les deux principaux problèmes qui pesaient sur notre tissu économique depuis l’hiver 2019-2020.
Renforcée par la disparition des entreprises les moins efficaces et l’optimisation de l’utilisation des ressources, notre économie pourra alors entamer son rebond… tandis que les sachants, les yeux rivés sur le rétroviseur, continueront de jouer leur partition alarmiste à contretemps.