** Il y a une dizaine de jours, les actionnaires de Bear Stearns ont perdu beaucoup d’argent ; paniqués, ils ont accepté de vendre leurs actions 2 $ l’unité. Nous nous sommes demandé comment ces comptables, avocats et traders affûtés avaient pu se tromper à ce point sur la valeur de leurs détentions. Lorsque le marché a fermé, un vendredi, ils avaient encore des milliards. Lorsqu’il a rouvert le lundi suivant, ils n’avaient quasiment plus rien. Comment était-ce possible ?
* Eh bien, les génies ont eu le temps de réfléchir, depuis — et ils en sont parvenus à la conclusion qu’ils n’auraient pas dû vendre si bon marché. Quant aux acheteurs — JP Morgan Chase –, ils ont apparemment raté leur coup aussi. Ils pensaient avoir ratifié l’accord… mais ont découvert qu’ils avaient oublié de faire signer des documents essentiels. Si bien que lorsque les vendeurs ont voulu revenir à la table des négociations, les acheteurs n’ont pas eu le choix. Ils ont dû augmenter la mise de 400%. Au lieu de payer 2 $ par action… ils doivent dorénavant en payer 10 — soit environ un milliard de dollars supplémentaires.
* Nous nous posons donc la même question : comment des gens si intelligents peuvent-ils être aussi sots en ce qui concerne ce qu’il y a dans leurs propres poches ? Est-ce que ça vaut 2 $ ? Ou 10 $ ?
* Bien entendu, ça vaut ce que vous pouvez en obtenir. Mais on parle là d’une institution financière. Ses actifs peuvent être vendus. Elle devrait valoir exactement la valeur nette de ces actifs — plus la valeur opérationnelle de l’activité (que l’on détermine en général en lissant les revenus sur une période de plusieurs années et en la multipliant par un facteur de capitalisation — de 5 à 20, selon l’humeur de l’acheteur).
* Dans l’étrange monde où nous vivons, cependant, il est difficile de déterminer ce que valent vraiment ces actifs financiers. "D’où les milliards de dollars mis à l’abri des bilans comptables dans des SIV et autres ‘conduits’", explique The Economist. Et le magazine continue :
* "Le truc a été découvert… les contreparties ne se font plus confiance".
* On n’en jurerait pas, au vu de l’ambiance qui règne sur les marchés. Si l’on en croit les journaux, cette semaine, les investisseurs ont été largement encouragés par des ventes immobilières plus élevées que prévu, et par les nouvelles provenant de Bear Stearns.
* "Les Etats-Unis affichent une large remontée alors que le moral s’améliore", titrait le Financial Times hier. Les actions ont grimpé, les rendements obligataires ont chuté… tandis que le dollar continuait de gagner du terrain.
* "Peut-être que les choses ne vont pas si mal, en fin de compte", se sont dit les gens.
* Ou peut-être qu’elles empirent.
* La raison pour laquelle les ventes de maisons ont repris aux Etats-Unis, c’est peut-être parce que les vendeurs sont désespérés. Il reste pas mal de maisons invendues — à peu près le double du chiffre habituel. Les ventes ont baissé d’un tiers par rapport à leur sommet. Et les actions du secteur immobilier ont perdu environ deux tiers de leur valeur record. Le marché boursier tend à suivre le marché immobilier, avec un délai de 20 mois, déclare John Authers dans le Financial Times. "Si ça devait continuer comme ça, [le marché boursier] pourrait chuter de 60% d’ici la fin de l’année prochaine".
* Pendant ce temps, ayez une pensée pour les malheureux qui triment dans le secteur du private equity. Steve Rattner, du Quadrangle Group, est à Londres cette semaine. "Depuis juillet", écrit-il dans le Financial Times, "pas un seul accord de private equity n’a dépassé les quatre milliards de dollars". Quant aux accords passés avant que "les leviers de la machine à rachats tombent en panne", ils menacent désormais de faire couler leurs créateurs frankensteiniens.
* Les sociétés de rachats avaient espéré écraser, restructurer, refinancer et refiler ces accords rapidement sur les marchés boursiers. C’est ce que The Economist décrit comme une procédure standard durant les derniers jours enivrants de la grande bulle financière. La finance est devenue "un jeu de commissions et de spéculations", écrit le journal.
* Mais à présent, ces contreparties ne se font plus confiance, et personne ne tient particulièrement à se retrouver coincé avec des accords de private equity faisant jouer l’effet de levier. Ils terminent donc comme des "zombies", déclare le Financial Times — ni morts, ni vivants, mais respirant encore, absorbant des salaires et des coûts de financement. C’est l’équivalent des maisons "à l’envers", qui valent moins que leurs prêts hypothécaires ; ces entreprises valent moins que les prêts contractés pour les racheter. La société de télécom irlandaise Eircon en fait partie. Le constructeur français Kaufman & Broad aussi ; K&B a été acheté — en faisant jouer l’effet de levier, bien entendu — au sommet du sommet. A présent, ses actions ont perdu la moitié de leur valeur — si bien que la société vaut moins que la dette pour laquelle elle sert de nantissement.
* Tout cela nous laisse à penser que les rapports sur la fin de la crise sont prématurés.
** L’or corrige. Lorsque nous avons regardé, vendredi dernier, le prix avait chuté de plus de 100 $ par rapport à son sommet.
* Que faut-il en penser ? A-t-il vu son sommet ? A-t-il trouvé son plus bas ? La correction va-t-elle se poursuivre ?
* Si seulement nous le savions ! Nous espérions une correction jusqu’à 850 $ environ. "Achetez les replis", disions-nous sans arrêt. Mais il n’y en a pas eu beaucoup. Le cours actuel est-il la meilleure offre que nous aurons ? Peut-être.
* Rappelez-vous que nous n’achetons pas d’or pour gagner de l’argent. Nous en achetons pour ne pas perdre d’argent. Et nous n’en achetons que lorsque les risques des autres formes de richesse dépassent les espoirs de gains.
* Que pouvez-vous faire d’autre avec votre argent ? Acheter des actions ? En termes réels, les actions US sont dans un marché baissier depuis 2000. Cette tendance durera probablement encore 10 ans environ. Acheter de l’immobilier ? Peut-être… mais il faudra vous montrer très sélectif. Déposer votre argent sur un compte ? Le rendement sera bas… les taux d’inflation grimpent… sans parler du risque devise.
* L’or n’est pas un pari sûr, lui non plus. Son prix a baissé entre 1980 et 1999. Mais il y a des moments où posséder de l’or est plus sûr que toutes les autres choses que vous pourriez acheter. C’est probablement le cas en ce moment.