Ils ne manquent pas de ressources pour fausser les calculs, quand ils ne sortent pas juste de leur chapeau les chiffres qui les arrangent.
Les experts financiers et les banquiers centraux sont des faussaires.
Des faussaires de la monnaie, c’est évident, mais également des faussaires de la parole ; ils se servent des mots comme d’une fausse monnaie.
J’ai souvent tracé l’homologie et l’isomorphisme qui existent entre la parole et l’argent. Elle correspond au bon sens populaire qui compare souvent les paroles qui s’envolent à la fausse monnaie qui, comme le vent, souffle les bulles.
Les banquiers centraux et la finance ont conquis leur autonomie sur les politiques. Ils font ce qu’ils veulent, à discrétion, sous prétexte de technicité et de science. Leur technicité est diafoirique, leur science relève des incantations, des prophéties qui se réalisent d’être crues.
Indépendants de quoi ?
Les banquiers centraux ne sont pas devenus indépendants des politiciens, non ; ils sont devenus indépendants des forces populaires, et ce n’est pas la même chose.
L’indépendance les a mis à l’abri des pressions populaires. On les a sacralisés ! Comme on a sacralisé et rendu mystérieux tout ce qui touche à l’argent.
Tout ceci est issu des travaux libéraux du type Mont-Pèlerin qui ont cherché, face à la montée des régimes démocratiques, à mettre les grands secteurs importants de la vie sociale à l’abri des volontés populaires.
Ils l’ont fait par le biais de la gestion monétaire confisquée au profit des possédants, puis maintenant au profit des ultra-ultra-riches, et par le biais de la montée en puissance des institutions internationales, non élues, dont l’objectif est d’imposer des règles, tombées du ciel bien sûr, aux peuples et aux nations, afin que le système de domination des uns par les autres puisse continuer et se reproduire à l’essentiel.
Si vous me suivez et si vous comprenez, vous savez que le système est en crise existentielle historique depuis deux ou trois décennies, qu’il cherche à se prolonger et que, pour cela, il a besoin :
- de mystifier les consciences, d’enfumer, d’inverser ;
- que l’on ne puisse pas prendre conscience de l’unicité de la crise, il faut faire croire au thème de l’ère des polycrises indépendantes ;
- que la crise ne soit l’objet d’aucun diagnostic sérieux, rationnel, ou scientifique (elle doit tomber du ciel comme un gros cygne noir) ;
- qu’il n’y ait aucun débat sur les solutions aux problèmes qui se succèdent.
Tout doit être masqué par des récits dont, bien sûr, la logique n’est pas celle des causalités du réel, mais celle de la rhétorique.
Et l’enjeu suprême de la période pour les banquiers centraux, c’est de rester indépendants malgré tous leurs échecs et tous leurs biais critiquables ; échecs dans la production et la répartition des biens et services, et ensuite échecs dans la gestion des crises.
C’est la faute de…
Le seul but des banquiers centraux c’est de durer, de continuer à rester libres/autonomes, de gérer au profit des intérêts particuliers et ils appellent cela : être crédibles.
Ayez présent à l’esprit ce préambule en lisant ce qui suit, rapporté par Bloomberg :
« Lors du rassemblement annuel de Jackson Hole, dans le Wyoming, les discours d’ouverture du président de la Fed, Jerome Powell, et de la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, ont exposé les défis auxquels chacun est confronté pour décider s’ils doivent prolonger les séries historiques de hausses de taux qui ont commencé l’année dernière. […]
Le thème clé ressortant des débats formels de la conférence et des conversations en marge était les difficultés de s’adapter à des forces échappant au contrôle des autorités monétaires. […]
Les participants ont discuté de sujets tels que la productivité et l’innovation, la structure du marché obligataire, les chaînes d’approvisionnement mondiales et l’augmentation des niveaux de dette publique.
‘Ces changements structurels dont nous avons entendu parler, nous savons tous qu’ils sont importants. Nous savons tous qu’ils sont grands. Les banques centrales ne peuvent pas faire grand-chose pour beaucoup d’entre eux’, a déclaré Kristin Forbes, professeur d’économie au Massachusetts Institute of Technology et ancienne responsable politique de la Banque d’Angleterre. ‘Cela modifie les paramètres de la manière dont vous définissez la politique monétaire, ce qui rend son fonctionnement très difficile’, a-t-elle ajouté. »
En clair voilà le message : c’est très difficile, tout est compliqué, cela vient du dehors, nous ne sommes pas responsables, on ne peut pas faire grand-chose, on fait de notre mieux… Ben voyons !
Deux camps opposés, mais pas trop
« Powell, dans son discours, est resté vague quant à savoir si la Fed relèverait à nouveau son taux de référence, tout en avertissant que ‘des preuves supplémentaires d’une croissance constamment supérieure à la tendance pourraient mettre en péril de nouveaux progrès en matière d’inflation et pourraient justifier un nouveau resserrement de la politique monétaire’.
Lagarde, dans son discours et dans une interview ultérieure à Bloomberg TV, a abordé de manière plus large le nouveau paysage auquel sont confrontés les décideurs politiques de la BCE, un paysage caractérisé par de nouveaux défis découlant de changements historiques, notamment la transition énergétique et une fragmentation du commerce mondial en zones géopolitiques concurrentes. »
Comprenez ce que l’on veut vous faire comprendre: nous sommes dans l’incertitude, tout est nouveau, ce sont des changements historiques, etc.
« Les collègues de Powell et de Lagarde n’ont cependant pas hésité à se prononcer en faveur ou contre de nouvelles hausses de taux. Lors d’entretiens, certains – comme la présidente de la Fed de Cleveland, Loretta Mester, et le gouverneur de la Banque de Lettonie, Martins Kazaks – ont soutenu qu’il valait mieux pécher par excès de taux d’intérêt plus élevés, qui pourraient être inversés si nécessaire.
D’autres, dont le président de la Fed de Philadelphie, Patrick Harker, et le gouverneur de la Banque du Portugal, Mario Centeno, ont pris le parti opposé, plaidant pour une approche prudente dans l’évaluation de l’impact des précédentes hausses. »
Bref, comme lors des réunions du Soviet suprême du temps de l’URSS, on organise les camps ; il y a les « pour » et il y a les « contre », on récupère les opposants et on donne l’impression de discussion.
Le taux magique
« La résilience de l’économie américaine amène les investisseurs et les économistes à se demander si le taux d’intérêt neutre – où la politique ne ralentit ni n’accélère l’économie – n’a pas augmenté. Cela impliquerait que les décideurs politiques doivent augmenter encore les taux pour freiner l’inflation. »
Et voilà le tour de passe-passe pseudo scientifique : on crée un outil soi-disant objectif – donc qui s’impose à tous –, le fameux R*. Le taux neutre, le Graal de la politique monétaire, invention de nos alchimistes.
Ce taux neutre, « boucled’orien », constitue l’objectif de Powell :
« [Le taux neutre] n’a pas été remis en question lors du symposium, même si le chef de la Fed a réitéré que les décideurs ne peuvent pas identifier le taux avec certitude. Ce qui est une différence par rapport à l’année dernière, où certains économistes affirmaient que les économies développées entraient dans une nouvelle réalité et que l’objectif devrait donc être relevé pour en tenir compte. »
Le taux R*, c’est comme les bonshommes verts qui me suivent depuis que je suis né ; ils sont là, mais ils ont la propriété de disparaître dès qu’on essaie de les regarder.
« Kristin Forbes, professeur au MIT, a souligné la perplexité des décideurs politiques dans une interview accordée au Wall Street Journal dans laquelle elle a comparé les banquiers centraux à un groupe escaladant une montagne dont le sentier disparaît au-delà de la limite des arbres. ‘Vous savez où vous voulez aller. On sait où se trouve le sommet, mais il n’y a plus de balisage et il faut se repérer. […] C’est plus raide.’ »
Et parmi les obstacles difficiles qu’elle n’a pas mentionnés figurent :
- le ralentissement économique majeur en Chine – le principal contributeur à la croissance mondiale depuis la crise financière de 2008 ;
- l’impact de la hausse des taux d’intérêt sur le marché boursier et le système financier ;
- les tentatives d’un certain nombre de grands pays de réduire leur dépendance à l’égard du dollar américain ;
- les troubles politiques croissants aux Etats-Unis.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]