Les préoccupations prioritaires des investisseurs, analystes et régulateurs sur les perspectives des secteurs bancaires doivent être concentrées sur quatre enjeux.
Dans notre article précédent, nous avons passé en revue les raisons pour lesquelles les scénarios de taux sont défavorables aux banques. Nous verrons aujourd’hui que ce n’est pas le seul défi auxquelles sont confrontées les banques.
Enjeu numéro 2 : les difficultés des banques pour gérer le retour à la normalité des taux d’intérêt
Les banques se comportent souvent comme si la rapidité des mouvements de taux les empêchait d’adapter rapidement leurs stratégies commerciale et financière.
Il est vrai que la politique de tarification sur les crédits est relativement inerte, et qu’il est, pour des raisons commerciales, difficile de profiter pleinement à court terme de la remontée des taux de marché. Il est vrai aussi que les banques subissent rapidement les arbitrages d’épargne des clients.
En revanche, la banque paie ses choix souvent malheureux en termes d’allocation d’actifs.
Il ne s’agit bien évidemment pas de blâmer une banque pour avoir investi sur des obligations à des taux de plus en plus bas. De toute façon, il fallait bien utiliser sa liquidité plutôt que de la laisser « dormir » sur son compte courant à -0,50% au plus bas des taux. De plus, les banques ont toujours été contraintes de constituer une réserve d’actifs liquides, quels qu’en soient les prix, dans le cadre de la gestion des ratios de liquidité.
Cela n’empêche pas de constater que les prises de risque ont été excessives sur les marchés obligataires en période de taux anormalement bas : allongement de la duration des portefeuilles financiers pour aller capter du rendement additionnel, investissement sur des obligations de plus en plus mal notées.
La hausse des taux d’intérêt fait donc ressortir des pertes latentes colossales (même si elles n’apparaissent pas dans les comptes). Certains vous répondront que de toute façon, l’intention de gestion de ces obligations longues est la détention jusqu’à l’échéance (d’où très souvent le classement comptable complaisant d’enregistrement de la valeur de l’obligation à son prix d’entrée quelles que soient les variations de valeur). Argument léger, puisque aucun investisseur ne peut affirmer avec certitude qu’il ne sera pas contraint de vendre ces obligations « buy and hold » pour des besoins de cash.
Contrairement à ce qu’il est écrit ici ou là, nous ne sommes pas rentrés dans un nouveau monde au niveau des configurations de taux d’intérêt. Nous sommes plus simplement confrontés à un retour de la normalité : des taux positifs, des courbes de taux qui dépendent des anticipations de politique monétaire et une banque centrale qui doit réguler la liquidité.
Certes, les professionnels de moins de 40 ans n’avaient connu que des périodes d’assouplissement du crédit jusque début 2022. Pourtant, ils ont appris durant leurs études que la politique monétaire obéit en général à des fondamentaux. Chaque année entre 2010 et 2021, j’essayais de faire comprendre à mes étudiants que le mode de fonctionnement des marchés monétaire et obligataire était « anormal » et fortement biaisé.
Au total, même si les banques centrales ont agi tardivement pour resserrer leurs politiques monétaires, même si elles ont souvent mal communiqué, personne ne peut prétendre que les marchés financiers et les banques ont été pris par surprise et qu’ils n’ont pas eu le temps d’adapter leurs portefeuilles financiers et le profil de risque de leurs bilans.
Si cette adaptation ne s’est pas réalisée suffisamment, c’est que ces acteurs n’ont pas su ou surtout pas voulu remettre en cause suffisamment tôt leurs choix de la décennie 2010. Sans doute a-t-on cru, à tort, à l’irréversibilité des politiques monétaires.
Enjeu numéro 3 : les impacts de la digitalisation de l’économie sur le modèle des banques
Contrairement aux deux premiers enjeux, celui-ci est particulièrement nouveau, puisqu’il concerne l’importance du numérique dans nos économies (modes de production, de consommation et de distribution).
Quelques constats qui peuvent conduire à des chocs ou crises d’adaptation des modèles bancaires ici ou là.
1/ L’évolution de la « consommation » bancaire avec la digitalisation de plus en plus forte de la relation clientèle favorise l’émergence de nouveaux acteurs non bancaires (économie numérique et télécoms).
2/ La gestion du risque de liquidité obéit à des principes traditionnels de diversification des sources de financement. Mais, le développement des réseaux sociaux peut accélérer les mouvements de retrait de dépôt dans des périodes de doutes sur la solidité financière des établissements bancaires. Cependant, la digitalisation et la rapidité des bank runs ne seront qu’une manifestation des crises de liquidité potentielles, et en aucun cas une source de ces crises. D’ailleurs, le risque de liquidité n’est pas un risque nouveau, et celui-ci reste un peu intemporel ; la nouveauté porte plutôt sur la vitesse de déplacement de l’épargne des clients.
3/ Les banques doivent investir massivement dans la technologie, pour accroître leur productivité et leur compétitivité vis-à-vis de nouveaux concurrents (services de paiement avec les fintechs et les géants du numérique mais aussi activités traditionnelles de collecte et de crédit avec de nouveaux entrants).
Enjeu numéro 4 : monnaies numériques (de banque centrale) et évolution du modèle de financement de l’économie
On parle souvent des cryptomonnaies d’un point de vue marchés financiers et allocation d’actifs ou d’un point de vue « philosophique » (légitimité des monnaies fiduciaires versus développement monnaies alternatives).
Mais on peut aborder les choses de manière plus opérationnelle, avec les conséquences de l’introduction de cryptomonnaies de banque centrale (MNBC) sur la gestion de bilan des banques.
Nous nous plaçons dans le cas de figure de monnaies numériques de banque centrale circulant hors du système bancaire et donc détenues par les agents économiques non financiers (ménages, entreprises par exemple).
Cette monnaie numérique auprès de la banque centrale viendrait donc remplacer les billets et pièces (neutre pour les banques) et les dépôts à vue (très gros impact sur les encours du passif des banques).
On sait qu’une partie non négligeable des encours de crédits des banques et de leur production nouvelle de crédits est refinancée par cette masse de dépôts à vue (le compte courant créditeur que vous possédez dans votre banque). Certes, si cela arrive, les choses se passeront sans doute très progressivement et la nouvelle monnaie numérique de banque centrale ne va pas remplacer brutalement les énormes encours de dépôts à vue des particuliers. Donc les banques ont le temps de voir venir, mais il faut qu’elles se préparent à cette révolution.
Elles ont d’autant plus le temps de voir venir que les réserves excédentaires des banques auprès de la banque centrale ont encore extraordinairement abondantes (3 600 Mds€ pour les banques de la zone euro à la BCE). Mais sur un horizon long, la perte de dépôts conduira à une contraction de l’actif des banques avec deux conséquences plutôt négatives pour l’économie :
- une nécessité pour les banques de vendre des actifs financiers ;
- et une nécessité de réduire la progression des encours de crédits dans le meilleur des cas – voire de réduire purement et simplement la production nouvelle de crédits dans le pire des cas. Nous parlons ici du crédit sain pour se développer, innover et investir, et non pas du crédit malsain utilisé pour l’effet de levier.
Pour conclure, nous considérons que les préoccupations prioritaires des investisseurs, analystes et régulateurs sur les perspectives du secteur bancaire doivent être concentrées sur ces quatre enjeux, qui vont structurer une forte évolution du business model des banques.