▪ Nous avons entamé la rédaction de cette chronique lorsque le sénateur texan Ted Cruz, leader du Tea Party (qui forme l’aile droite la plus ultra-libérale du camp républicain) eut remercié ses auditeurs dans une salle du Congrès US devenue clairsemée.
Il est vrai qu’au moment de s’éloigner du pupitre, il venait d’achever un discours de… 22 heures non-stop et, paraît-il, prononcé pratiquement sans la moindre note et encore moins de prompteur.
M. Cruz avait promis de se maintenir à la tribune jusqu’à ce que ses forces l’abandonnent. Nombreux sont ses collègues qui ont quitté leur siège avant que ses cordes vocales ne lâchent.
Il ne montera même pas sur le podium pour son discours fleuve car trois de ses prédécesseurs avaient passé au siècle dernier le cap des 24 heures… l’un d’entre eux ayant même tenu 48 heures.
Derrière l’apparente absurdité de l’exercice se cache une manoeuvre d’obstruction au travail parlementaire pleinement assumée. Car il ne reste que jusqu’à lundi soir minuit (6h du matin à Paris mardi) pour examiner toutes les propositions et amendements au projet de budget 2014. Les 22 heures perdues risquent de conduire les centaines de tractations en cours vers une impasse.
M. Ted Cruz a parfaitement exploité une des disposions du règlement régissant les débats au Congrès, qui postule l’impossibilité d’interrompre l’orateur tant que celui-ci n’a pas indiqué clairement qu’il en avait terminé avec son intervention.
La lecture de la Bible durant des heures — et même des jours — en guise de contribution à la vie politique est parfaitement légale au Congrès américains… Même si un indélicat coupait le micro puis la lumière et déclenchait l’alarme incendie, les débats reprendraient dès le lendemain là où ils s’étaient arrêtés.
▪ Ted Cruz/Ben Bernanke, des points communs
Le sénateur texan n’est pas le seul à pratiquer l’art de faire perdre son temps à ses collègues. La Fed a fait perdre un temps inouï à l’économie réelle en imprimant de la fausse monnaie qui ne profite qu’aux brasseurs d’argent avec lesquelles elle collabore.
Le QE3 ne fonctionne pas, l’activité reste moribonde, il y a chaque jours plusieurs milliers d’Américains qui renoncent à chercher du travail… mais impossible d’interrompre Ben Bernanke dans son élan.
Personne à Washington n’en a le pouvoir… et personne à Wall Street ne le souhaite. Les faiseurs d’opinion ressassent en boucle les motifs de prolonger les injections à pleine vapeur, ce qui incite la Fed à repousser sans cesse la perspective d’une hausse des taux.
Et si le chômage ne se résorbe pas, ce n’est pas de la faute de la Fed ou de Wall Street… c’est simplement parce que les entreprises déploient des trésors d’ingéniosité pour accroître leur productivité.
Les machines et les logiciels effectuent un travail de plus en plus efficace avec toujours moins de salariés : cela va dans le sens de l’histoire, personne n’y peut rien et ce n’est pas à la Fed d’apprendre aux chefs d’entreprises à gérer leurs affaires.
Cette même Fed faisait la Une il y a une semaine jour pour jour. La plupart des éditorialistes et des commentateurs titraient sur sa « non-décision » (pas de réduction du QE3) qui fit grimper les indices boursiers au zénith.
▪ Cinq séances de repli !
La plupart des commentateurs titraient hier soir avec la même unanimité sur la matérialisation d’une cinquième séance de repli consécutif à Wall Street. Un évènement presque irréel, inconcevable !
Ainsi donc les sherpas de Wall Street laisseraient depuis une semaine la bride sur le cou aux vendeurs au lieu de les tacler impitoyablement comme ils en ont pris l’habitude depuis l’été 2012.
Quel maléfique dessein poursuivent-ils en laissant les baissiers croire que les cours de bourse vont recoller au réel et que le destin leur sourit enfin ?
Après une ouverture en baisse, le S&P 500 était repassé de -0,2% à +0,2% en l’espace de 90 minutes ; de son côté, le Nasdaq s’adjugeait 0,4%. Le Russell 2000 avec +0,6% inscrivait même un nouveau record absolu à 1 082,20 vers 18h55 : la fin de séance ne s’annonçait pas si mal.
▪ Fiscal cliff, le retour
Tout a basculé en début d’après-midi avec le surgissement d’une thématique qui a laissé de mauvais souvenirs. Les débats au Congrès ont pris beaucoup de retard — vous en connaissez la cause… et faute d’accord budgétaire d’ici lundi soir minuit, le gouvernement américain risque un shut down (fermeture partielle de certaines administrations).
C’est ce qui constitue l’alternative au défaut de paiement. Plutôt que de ne pas rembourser les créanciers, le gouvernement coupe certaines dépenses, notamment en mettant au chômage technique certaines catégories de fonctionnaires jugées « non-indispensables ».
En ce qui concerne le non-paiement des retraites (également une lourde charge pour l’Etat américain), cette ablation budgétaire — apparemment indolore — est déjà pratiquée depuis le milieu de l’été pour le plus grand soulagement de Wall Street.
Mais voilà que ressurgit le spectre d’un ersatz de fiscal cliff comme fin 2012… avec de nouvelles coupes budgétaires automatiques qui porteraient, d’après les rumeurs, sur 11 ou 12 milliards de dollars par an.
A l’échelle des 1 000 milliards par an du QE3, c’est une goutte d’eau — cela ne devrait même pas constituer un sujet de conversation. Malgré tout, le Dow Jones en a terminé au plus bas mercredi soir, en repli de 0,4% à 12 375 points. La consolidation s’installe dans la durée… mais le recul global n’excède pas 2,5% en une semaine.
Même constat pour le S&P 500 qui a lâché 0,27% à 1 692 points — une valeur guère éloignée des 1 729 points testés en intraday six jours auparavant (l’écart n’est dans ce cas que de -2% par rapport au plus haut absolu).
Déjà, des stratèges se précipitent devant les caméras pour rappeler au bon peuple qu’il faut « acheter tous les creux » puisque cette hausse — comme les diamants — est éternelle. Compte tenu du consensus haussier à 93,5% que nous évoquions hier, cela peut-il encore nous étonner ?