La création monétaire poussée par les banques centrales ces dernières années nous offre quelques pistes de réflexion sur le destin probable des nouvelles formes de monnaie.
Les cryptomonnaies sont-elles une exaspération de l’esprit de jeu qui se terminera par la ruine totale des joueurs ou bien sont-elles une protection contre cet esprit de jeu ?
C’est à mon sens la question centrale qu’il faut se poser avant d’y toucher.
L’autre question subsidiaire – mais reliée – est de savoir si, lors du chaos futur, lors de la dislocation de tous nos arrangements contractuels et sociaux, les jetons résisteront et seront considérés comme des réserves de valeur.
Exemple de question : quelle sera la valeur des jetons lors de crises de hacking, de pannes d’électricité ou de futures insurrections populaires ?
Il faut bien distinguer le chemin que les jetons vont suivre et leur but/valeur finale. Un peu comme les obligations qui ne rapportent rien mais offrent des possibilités de plus-value tant que les taux baissent.
Participer ou pas ?
Quelle que soit la réponse, elle ne signifiera pas qu’il faut ou qu’il ne faut pas participer, mais il en découlera l’état d’esprit avec lequel il faut aborder cette question.
On peut participer en tant que spéculation sur le maintien encore quelque temps – ou longtemps – de l’esprit de jeu sur les marchés.
Les jetons des cryptomonnaies sont la quintessence du jeu, puisque reposant entièrement sur la rareté, sur le Ponzi, sans autre valeur que la valeur d’échange créée par la demande.
Les jetons sont purs gaspillages, pure part maudite du système, alors que, jusqu’à présent cette fonction était remplie par la « monnaie numérique », la monnaie désancrée, bullant dans les airs. Ils exacerbent en quelque sorte cette précédente forme de monnaie et ne mettent en avant que la fonction de spéculation sur la demande future, la diffusion d’une croyance.
Les jetons valent tel montant parce que de nombreuses personnes croient qu’ils valent ce montant. C’est le marginalisme à l’état pur, la tautologie de la valeur, celle qui se trouve dans la tête des gens, comme disait Menger. Sous une autre forme, l’engouement pour les jetons est une sorte de pari contre la grande réconciliation entre la valeur d’usage, la valeur d’échange et la valeur désir.
Pas la fin des monnaies
Les jetons ne supposent pas le chaos et la fin des monnaies fiat, ou même la dislocation des marchés, comme je les anticipe. Non, ils anticipent la poursuite de la situation actuelle, la prolongation des arrangements avec une fuite hors du système par une faille de plus en plus béante.
Les jetons sont l’expression la plus pure de ce que j’appelle le « Capital fictif », celui qui ne produit rien, s’auto-engrosse par la demande des acheteurs qui se succèdent par un pur mouvement de séduction et d’envie.
Je pense que les récompenses des joueurs qui ont des nerfs d’acier peuvent être fantastiques, car les chants désespérés sont les chants les plus beaux quand ils sont paroxysmiques. A un certain moment d’une tendance, on entre dans l’exponentiel.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]