Quand la Fed annonce qu’elle réduira son bilan, les marchés réagissent bien plus que lorsqu’elle ne fait que parler de taux. Serait-ce la fin de l’ère de la prudence et des petits pas ?
Pour condenser la semaine dernière, je dirais que l’on a injecté une dose de réconciliation entre l’imaginaire et le réel.
Les marchés des taux tablent désormais sur un taux des Fed funds de 2,54% d’ici la réunion du FOMC du 14 décembre. C’est en hausse de 82 points de base par rapport à début 2022 et 1,30% par rapport au 1er mars.
Curieusement, le marché obligataire semblait vouloir rester optimiste, jusqu’à encore récemment. Les obligations avaient largement négligé les débats sur un cycle de taux belliciste, provoqué par des pressions inflationnistes gonflées.
Mais, la semaine dernière, les rendements des valeurs du Trésor à dix ans ont bondi de 32 points de base pour atteindre un sommet de 2,71% sur trois ans, l’écart par rapport aux bons du Trésor à trois mois a bondi à 182 points de base.
Les choses sérieuses
C’est un tout autre tableau, non seulement au plan des chiffres, mais aussi au plan du sentiment des investisseurs. Maintenant, les choses leur semblent sérieuses. La communauté spéculative a peur.
Les rendements à 10 ans se négociaient à 2,45% mardi matin lorsque la nouvelle est tombée, par la bouche de la vice-présidente (nommée mais pas encore confirmée) de la Fed : « Brainard : la Fed doit réduire son bilan à un rythme rapide dès mai. »
Les rendements ont immédiatement bondi de 10 points de base, puis n’ont même pas pris le temps d’une correction, ils ont poursuivi leur avance. Cela veut dire que cette annonce de Lael Brainard a été prise au sérieux.
L’indice Nasdaq 100 a chuté de 2,2% dans les échanges de la séance et a encore baissé de 2,2% le lendemain. Les semi-conducteurs ont chuté de près de 7% en deux séances.
Si ce n’est pas de la baisse cela y ressemble !
Ce changement est dû à une partie de l’annonce en particulier… Cliquez ici pour lire la suite.
Les marchés avaient généralement bien accepté et digéré la perspective d’un cycle agressif de hausse des taux, mais, lorsque les discussions se sont tournées vers la taille du bilan de la Fed, c’est alors que les choses se sont gâtées. Tout, Treasuries, obligations, actions… est devenu instantanément plus risqué.
Mais Brainard n’était que l’avant-garde.
Resserrement quantitatif
Les détails du resserrement quantitatif (quantitative tightening ou QT en anglais) sont apparus dans la publication mercredi des minutes de la réunion du FOMC du 16 mars :
« Les participants ont généralement convenu que des plafonds mensuels d’environ 60 Mds$ pour les titres du Trésor et environ 35 Mds$ pour les MBS d’agence seraient probablement appropriés. Les participants ont également généralement convenu que les plafonds pourraient être introduits progressivement sur une période de trois mois ou légèrement plus longue si les conditions du marché le justifient. »
La Fed signale bien à l’avance ses intentions de taux et sa politique de bilan, mais le problème n’est pas seulement celui de la transparence. Il est également celui des croyances des marchés. Ceux ont cru jusqu’à présent que la Fed bluffait – et je le crois encore. Cette croyance les empêche de prendre en compte les indications qui sont fournies par les autorités. Et il faut à un moment donné mettre les points sur les « i » pour briser les convictions.
C’est ce que vient de tenter Bill Dudley, comme je vous l’expliquais hier. Il a produit une colonne d’opinion tonitruante chez Bloomberg pour annoncer la couleur : la Fed est sérieuse ; elle va accepter de faire chuter les Bourses ; au besoin elle les fera chuter elle-même si elles ne chutent pas spontanément. Cela se veut un coup de massue sur les esprits animaux. On abandonne la conception du resserrement sans douleur. C’est une véritable révolution théorique.
On revient à la doctrine Schwarzenegger: « C’est quand cela commence à faire du mal que cela commence à faire du bien. »
Jusqu’à présent, lors de la mise en œuvre de taux plus élevés, la Fed procédait avec prudence afin de ne pas bouleverser les marchés. C’était l’époque du « resserrement » sans douleur, le New Age.
Cette doctrine monétaire a fait des merveilles absolues pour les marchés financiers et, en particulier, elle a stimulé la spéculation tous azimuts. Des mouvements de taux agréables, gentils et graduels, des « petits pas de bébés », pouvaient désormais être décidés sans induire de resserrement des conditions de crédit ou financières. C’était le bon temps, l’époque où il était acquis que la Fed ne voulait en aucun cas que les conditions financières se resserrent. Et cela a bien marché.
On y croit ou pas
Mais une réduction mensuelle des actifs de 95 Mds$ (suppression de la relance monétaire) n’est pas négligeable, et c’est un niveau où on peut considérer que la Fed joue avec le feu. Certes, il existe actuellement une réserve de fonds excédentaires dans le système. Mais la liquidité, c’est comme le mercure, elle est insaisissable.
La liquidité, ce ne sont pas seulement des chiffres. C’est aussi de la magie dans la tête des gens. On y croit, elle est là… ou on n’y croit pas et elle s’évapore. La liquidité est en partie un produit de la croyance, un effet du sentiment.
Si les marchés restent stables, la Fed peut sûrement procéder à l’extraction d’une bonne partie de ces fonds. Mais la stabilité du marché est aujourd’hui problématique, il faut en parler avec « un grand si ». Le risque d’une phase déstabilisante de réduction des risques/de désendettement reste élevé.
Sitôt que les rendements ont grimpé en flèche, les discussions sont revenues sur les problèmes de liquidité des bons du Trésor, des MBS et des marchés de couverture des taux d’intérêt. Cela rappelle septembre 2019 lorsque – souvenez-vous –, la Fed est passée du pilotage automatique d’une réduction progressive du bilan à un autre cycle de QE.
Je prétends que la question des taux administrés est secondaire en regard de celle des primes de risque : non seulement les taux sont bas, mais les primes de risques sont encore comprimées au maximum… alors que les risques extérieurs sont colossaux !
La Fed a incité pendant des années à mal apprécier le prix du risque. Elle a prodigué de fausses assurances.
C’est la véritable inconnue de la manœuvre de la Fed : les primes de risque vont-elles ou non bondir et prendre en compte les véritables incertitudes mondiales ?
Déjà des très grandes maisons commencent à intégrer les risques de défaillance et conseillent de se replier sur la première qualité des bilans.
Si les zombies venaient à être privés de dopage, ce serait l’hécatombe.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]