▪ Comme nous l’avons formulé à de nombreuses reprises dans de précédentes Chroniques, les marchés ont foncé pied au plancher vers le mur de la dette.
Les marchés, loin de lever le pied à l’approche de l’obstacle, ont écrasé l’accélérateur fin juin/début juillet. La manoeuvre avait initialement pour but de sauver le premier semestre — qui s’est conclu globalement par un score nul ou légèrement positif pour les bourses occidentales.
Il se pourrait bien que les cours aient été vigoureusement arrachés à la hausse dans un second temps, afin de disposer d’une marge de sécurité de 7% ou 8% avant de subir un premier choc baissier. Le tout avec la déstabilisation brillamment orchestrée de l’euro par les agences de notation et des articles apocalyptiques dans la presse anglo-saxonne.
Mais lorsque le scénario vire soudain à la capitulation, il est trop facile d’incriminer les spéculateurs et les manipulateurs. L’Europe leur tend le bâton pour se faire battre, à grand coup de déclarations contradictoires sur le plan de sauvetage grec, d’évocation d’un possible défaut de paiement d’Athènes ou de commentaires critiques concernant la gestion laxiste des finances en Italie.
Certes, les puissantes entités financières qui misent gros sur la déliquescence de l’euro dissimulent à peine leur intention de nous nuire. Mais ils s’attaquent à une proie qui se laisse facilement acculer contre le mur de la dette, au lieu de multiplier les esquives et de mordre au passage les mains vendeuses.
Les grognements de Bruxelles contre les agences de notation ne les intimident pas… les poils hérissés des ministres des Finances qui dénoncent des comportements irresponsables ne les arrêtent pas… En revanche, des crocs qui se planteraient solidement dans une main mal intentionnée au moment où elle actionne la touche « vente à découvert » pourraient avoir un effet beaucoup plus dissuasif !
L’image vous paraît un peu barbare ? Vous n’aimez pas l’odeur du sang ? Sachez que c’est justement ce qui attire ceux qui s’en prennent à la Zone euro. La Grèce, c’est une simple égratignure dans le flanc de nos économies du Vieux Continent, alors que les Etats-Unis ont déjà perdu un bras et la moitié d’une jambe par la crise de 2008.
Si quelques requins chinois ou russes se mettaient à tournoyer dans les eaux territoriales américaines, ils ne tarderaient pas à sentir qu’un énorme festin s’offre à eux. Mais la proie se montre beaucoup plus maline et dissimule sa fuite en avant derrière un épais nuage d’encre verte, celle qui sert à imprimer des dollars par kilos depuis deux ans et demi.
Rien ne ressemble plus à une pyramide à la Madoff que la dette américaine. Pourtant ce sont les bidouillages visant à résoudre la question d’un éventuel défaut grec qui font la une des journaux télévisés.
▪ A ce propos, nous avons commencé à reprendre espoir… dans un sursaut des places européennes. Nous avons découvert que la chute des indices boursiers et l’envol des taux à 10 ans espagnols ou italiens (au-delà de 6%, record de la décennie) faisaient office de sujet prime time du journal télévisé de 13h00 sur France2.
Quand la télé braque enfin ses caméras sur les turpitudes de la sphère financière, c’est que le vent de panique qui capte soudain l’attention des journalistes non-initiés est tout proche de tourner à 180 degrés en faveur des acheteurs. Et ça n’a pas raté cette fois encore, puisque dans l’heure qui a suivi, l’Euro-Stoxx 50 et le CAC 40 avaient réduit leurs pertes de moitié.
Pour beaucoup de commentateurs s’exprimant sur le sujet depuis 48 heures, tenter d’endiguer la débâcle des dettes souveraines des PIIGS avec quelques dizaines de milliards d’euros (distillés au compte-gouttes) reviendrait à dresser quelques malheureux sacs de sable devant un tsunami comparable à celui du 11 mars dernier au Japon.
C’est pourtant ce que la BCE a fait mardi… avec un certain succès.
Pour quelques opérateurs qui s’épongeaient encore le front mardi soir, la BCE aurait sauvé les places boursières du naufrage. La rumeur de rachats d’emprunts italiens et espagnols par la Banque centrale enflait depuis la fin de la matinée et rien n’est venu la démentir dans l’après-midi.
Il n’en reste pas moins que la crise des dettes souveraines a provoqué un début de capitulation indicielle mardi matin. Les places européennes ont plongé de 3,5% en moyenne en 45 minutes ; Milan s’effondrait même de 5% (la plupart des banques locales étant réservées à la baisse) avant d’effacer la totalité de ses pertes dès la fin de la matinée.
Les marchés ont clôturé sur un repli moyen de 0,6% (l’Euro-Stoxx 50 est tombé jusque sur 2 608 points pour en terminer à 2 693 points). Paris recule de 0,9% à 3 773 après avoir testé les 3 665 points, soit une chute libre de 3,5%. Cela fait plus de 100 points d’écart à la hausse en moins d’une demi-séance. Cette volatilité s’est accompagnée d’une explosion des volumes avec plus de six milliards d’euros négociés sur le SRD — dont 5,3 milliards d’euros pour le CAC 40.
Les investisseurs misent sur la tenue rapide d’un sommet extraordinaire européen (peut-être dès vendredi) pour trouver des solutions à la crise actuelle au cours du week-end prochain. L’une des pistes consisterait dans l’extension du plafond du Fonds de stabilité financière européen pour racheter plus de dettes souveraines sur les marchés.
Les Etats-Unis font également face à des déficits budgétaires abyssaux mais aussi à un déficit commercial record de 50,23 milliards de dollars, le pire score depuis octobre 2008. C’est presque une bonne surprise dans la mesure où cela donnait un petit coup de pouce à l’euro qui en avait bien besoin : la monnaie unique est remontée de 1,3840 jusque vers 1,4020 $.
▪ Ce sursaut été de courte durée car l’agence Moody’s s’est empressée d’annoncer en début de soirée la dégradation des émissions du Trésor irlandais à junk bond — comme les emprunts portugais une semaine auparavant.
C’est peut-être mérité vu la situation économique déplorable du pays –nous sommes les premiers à considérer que l’Irlande est en faillite depuis trois ans. Mais le timing choisi par Moody’s alimente toutes les supputations, à commencer par le soupçon d’une véritable stratégie de harcèlement de la Zone euro.
Moody’s a littéralement cisaillé l’ébauche de redressement des indices américains de la mi-séance (la Fed n’exclut pas formellement un nouveau stimulus monétaire) et renvoyé l’euro sous les 1,3970 $.
Après le Portugal, l’Italie, l’Irlande… à qui le tour ? L’Espagne semble bien placée avec ses six banques ayant échoué à l’épreuve des stress tests.
S’il s’agissait de ne considérer que la situation comptable et de sanctionner l’absence d’initiative crédible pour réduire les déficits, les Etats-Unis pourraient se retrouver en tête de liste. Mais Moody’s reste obnubilée par les PIIGS, allez comprendre pourquoi !
Nous faisons le pari que le gratin politique et économique appelé à se réunir ce week-end ne tardera pas à faire savoir qu’ils ont leur petite idée sur la question.