▪ Pendant que la planète entière se demandait si le royal rejeton de la duchesse de Cambridge serait une fille ou un garçon, les esprits étaient loin de se focaliser sur le genre de questions oiseuses que nous adorons nous poser.
La première d’entre elles demeure : mais jusqu’où les médias nous prendront-ils pour des idiots ?
Question subsidiaire : dans l’intérêt de qui consacrent-ils tant d’énergie à distraire les foules des vrais problèmes économiques et politiques ?
George Orwell se posait déjà le même genre de question dans les années 50. Maurice Allais — notre unique Prix Nobel d’économie totalement ostracisé par les médias — s’interrogeait également sur une globalisation sans garde-fou, des systèmes financiers dérégulés à la va-vite et drogués au crédit, des pays manipulant leurs monnaies.
Il pronostiquait que le tout était voué à partir en vrille dès la fin des années 80… Et il fut interdit de micros et de caméras lorsqu’il s’avisa de démontrer que la crise des devises émergentes en 1998 était inéluctable — et que ce ne serait qu’un hors d’oeuvre si l’architecture monétaire mondiale n’était pas revue de fond en comble.
Il soutenait notamment que l’Europe serait le dindon de la farce sino-américaine, succombant au dumping chinois et à la désintégration du dollar. Selon lui, l’Europe sombrerait à terme dans la dépression.
Maurice Allais était un oiseau de mauvais augure qui se permettait de critiquer le « nouvel ordre mondial » (en réalité un désordre savamment organisé par certaines élites occidentales parfaitement cyniques, se fichant des Etats, des peuples et de la démocratie) — et il nous prédisait un futur de cauchemar.
Comment voulez-vous que les médias, qui sont là pour nous rassurer, nous apporter de la joie et de la bonne humeur, continuent de faire la promotion d’un tel personnage ?
▪ Parlons plutôt des records boursiers, non ?
Les médias préfèrent nous parler du 24ème record historique du S&P 500 cette année : ils ont tous été inscrits depuis le 10 avril dernier, donc en l’espace trois mois… En revanche, ils préfèrent passer sous silence l’absurdité d’une telle performance.
Si Wall Street pulvérise chaque semaine de nouveaux plus hauts, c’est que l’économie américaine va pour le mieux et que les actions ne sont pas chères.
Eh oui : faute de pouvoir expliquer comment, avec de moins bons résultats, les entreprises cotées peuvent se payer plus cher sur fond de tension des taux… les Bisounours de service nous refont le coup du comparatif avec les niveaux de valorisation de 1999/2000.
Comme le S&P se payait à l’époque 25 fois les bénéfices (une aberration historique majeure), à « seulement » 18 fois en 2013 — si les profits se maintiennent aux niveaux actuels — les actions ont encore une sacrée marge de progression.
Bien sûr, les « 18 fois » que l’on nous vante sont obtenues en agrégeant les pseudo-superbénéfices des banques qui ne sont que de simples jeux d’écriture.
▪ Vive la magie comptable !
Dès que la Fed leur rachète (provisoirement) une créance douteuse, elles s’empressent de réduire d’autant leurs provisions pour pertes. Elles transforment ainsi par un coup de stylo magique cette couverture… en bénéfices. Cela alors que dans la vraie vie, leur produit net bancaire stagne — et que les seuls profits véritables proviennent des gains spéculatifs que la Fed leur garantit en faussant les mécanismes du marché.
Facile de gagner dans un casino truqué où les banquiers actionnaires de la Fed sont les seul à disposer du droit d’y miser leurs jetons (et ça gagne à tous les coups) ! L’investisseur lambda, lui, renfloue les caisses de l’établissement en perdant tout ce qu’il peut sur des machines à sous où plus jamais un seul gros lot ne sort.
Plus le temps passe, plus les joueurs ordinaires pensent que le surgissement d’un ou plusieurs « banco » est imminent… mais ils se font tout simplement plumer sans vergogne.
Qui sait par exemple ce que sont devenus les 750 milliards de dollars du TARP — garantis par le contribuable — distribués aux banques en octobre 2008 ?
Quel genre de pieux mensonge explique que l’épargnant moyen s’abstienne de retirer ses billes de la bourse… alors que plus l’environnement économique se dégrade, plus les cours montent ?
▪ Un tableau économique bien différent
Prenez le S&P 500 : la dernière fois qu’il avait fusé à la hausse pour établir un nouveau zénith vers 1 675 points, c’était le 21 mai dernier. Le baril de pétrole valait 96 $… soit 12% de moins qu’aujourd’hui.
En fait, les carburants se sont envolés de 20% depuis le 3 mai dernier ; le prix médian est passé de 3,4 $ le gallon à plus de 4 $ en 10 semaines. Les taux hypothécaires ont bondi de 3,40% à plus de 4,50%… et le S&P s’est envolé de 1 600 vers 1 700 points dans l’intervalle.
Pour parfaire ce tableau, les économistes étaient convaincus début mai que la croissance américaine flirtait avec les 2,5%. Maintenant, ils prient pour que celle du deuxième trimestre 2013 ne soit pas trop inférieure à 2%.
Ils ont raison de prier : l’indice d’activité de la Fed de Richmond publié hier après-midi plonge de +7 vers -11 au mois de juin. Plus inquiétant encore, les nouvelles commandes sont en chute libre de +9 vers -15… tout cela au lendemain de chiffres de ventes de logements anciens très décevantes.
Cependant Wall Street, qui risquait de succomber à une forme de mélancolie macroéconomique, s’est vu administrer sa ration quotidienne de résultats « meilleurs que prévus ».
La réalité, c’est qu’ils sont le plus souvent en retrait par rapport au dernier trimestre, notamment au niveau des chiffres d’affaires. Mais que font ces maudits consommateurs ? Ils oublient qu’ils peuvent s’endetter toujours d’avantage ?
▪ Apple en renfort
La grosse ficelle de la « bonne surprise » a été appelée à la rescousse avec la publication des trimestriels d’Apple. Le bénéfice par action s’inscrit en repli de 15% à 7,47 $ contre 9,32 $… mais il est supérieur aux 7,32 $ anticipés !
Le groupe a réalisé un chiffre d’affaires de 35,3 milliards de dollars conforme aux attentes (35,1 milliards) mais avec une répartition des ventes un peu inattendue. En effet, les ventes d’iPad ont reculé à 14,6 millions contre 17 millions ; celles d’ordinateurs Mac ont fléchi de 4 millions vers 3,8 millions.
Ce sont les 31 millions d’iPhone vendus (malgré le leadership de Samsung) qui ont sauvé le trimestre. Un chiffre qui nous laisse perplexe tant l’iPhone 5 est apparu d’une banalité affligeante par rapport aux smartphones précédents.
C’est juste un « bon appareil » — largement dépassé en qualité photo et en autonomie d’utilisation par de nombreux constructeurs asiatiques, sans oublier la commercialisation de certains modèles étanches ou plus résistants aux chocs.
La machine marketing d’Apple s’est montrée remarquablement efficace… mais les acheteurs ne s’y laisseront pas reprendre une seconde fois. Apple n’a tout simplement plus droit à l’erreur.
Exactement comme les indices américains : qu’ils cassent accidentellement un support et c’est mort !