▪ Hier marquait le 10ème anniversaire d’une fabuleuse aventure — l’invasion de l’Irak.
Reuters nous donnait quelques chiffres élémentaires :
"La guerre américaine en Irak a coûté 1 700 milliards de dollars, à quoi viennent d’ajouter 490 milliards de dollars d’allocations à verser aux vétérans — des dépenses qui pourraient dépasser les 6 000 milliards de dollars au cours des quatre prochaines décennies si l’on compte les intérêts, selon une étude publiée jeudi [dernier]".
"La guerre a fait au moins 134 000 morts parmi les civils irakiens, et pourrait avoir contribué au décès de quatre fois autant de personnes, selon le projet ‘Coûts de la guerre’ réalisé par le Watson Institute for International Studies de la Brown University".
"Si l’on inclut les forces de sécurité, les insurgés, les journalistes et les travailleurs humanitaires, le bilan humain de la guerre passe à une fourchette entre 176 000 et 189 000 victimes, selon l’étude".
Nous avons suivi les blogs, les éditoriaux, les récapitulations, les excuses, les justifications désespérées, les critiques…
Jonathan Schell :
"Rétrospectivement, nous avons là un record jamais battu en termes de gâchis, de futilité et de honte. Il y a eu le Congrès US et son approbation d’une autorisation dangereusement vague et élastique d’utiliser la force militaire, en lieu et place de la déclaration de guerre exigée par la Constitution. Il y a eu le jour tristement célèbre où l’opération Shock and Awe a été lancée, quand une grande ville antique a été bombardée tandis que le monde — majoritairement opposé à cette attaque — observait avec une consternation impuissante ; un jour marqué dans nos mémoires comme celui où un crime prémédité de longue date a été perpétré en plein jour. Il y a eu les tromperies éhontées et l’aveuglement qui ont permis de justifier la guerre aux yeux du Congrès américain, du peuple américain, des Nations Unies et du reste du monde — les fausses allégations selon lesquelles le gouvernement irakien possédait des armes de destruction massive. Il y a eu la crédulité coupable, obstinée, avec laquelle ces allégations ont été lâchement acceptées par les médias US. Il y a eu la couverture chauvine et cocardière de l’invasion sur le terrain. Il y a eu les prisonniers irakiens promenés en laisse comme des chiens à Abu Ghraib. Il y a eu les escadrons de la mort et les tortures perpétrées par des alliés irakiens conseillés par les Etats-Unis — et, si les données actuelles sont justes, directement financés par les Etats-Unis. Il y a eu l’échec surprenant et prolongé de l’occupation à remettre en route des services de base comme l’électricité, l’eau et les installations sanitaires. Par-dessus tout, il y a eu ceux qui ont perdu leurs vies pour rien…"
Les écrivains peinent à trouver des mots assez forts. Dire que c’était une "erreur" ne rend de loin pas justice à une guerre qui a tué plus de 100 000 personnes et coûté plus cher que la Deuxième guerre mondiale. Appeler cela une "calamité" ou une "catastrophe" donne l’impression qu’il s’agissait d’un accident… ou d’un désastre naturel. Ce n’était pas un accident… pas même un cas d’homicide involontaire ; c’était du meurtre prémédité.
Voici ce qu’en dit Peter Van Buren :
"J’étais là-bas. Et ‘là-bas’, ce n’était nulle part. Nulle part, c’est là qu’il fallait être pour assister en direct aux signes de la fin de l’Empire américain. C’est là qu’il fallait être si vous vouliez voir la folie — oui, la folie — sans le filtre de médias endormis et complaisants qui s’arrangeaient pour que la politique guerrière de Washington semblé, sinon sensée, au moins relativement sérieuse et saine d’esprit. Je me suis tenu sur le terrain vierge de ce qui devait être la nouvelle pièce maîtresse d’une Pax Americana dans le Proche-Orient".
"Ne mâchons pas nos mots : l’invasion d’Irak s’est révélée être une blague. Pas pour les Irakiens, bien entendu, ni pour les soldats américains — ce n’était pas non plus la sorte de blague dont on rit. Et voilà la vérité la plus triste de toutes : le 20 mars, alors que nous célébrons le 10ème anniversaire de cette invasion infernale, nous ne comprenons toujours pas. Mais si vous voulez en arriver directement à la chute, la voici : en envahissant l’Irak, les Etats-Unis ont plus fait pour déstabiliser le Moyen-Orient que nous n’aurions pu l’imaginer à l’époque. Et nous — et tant d’autres — en paierons le prix pendant très, très longtemps".
M. Van Buren continue en racontant l’histoire d’une usine de traitement de volaille censée illustrer la manière dont les Etats-Unis aideraient l’Irak à se reconstruire. Elle n’a jamais traité un seul poulet. C’était tout de même un grand succès. Chaque fois que la presse était en visite, les acteurs enfilaient leurs combinaisons sanitaires, allumaient les chaînes de production… et donnaient un joli spectacle.
Les sous-traitants s’en sont mis plein les poches. Le Pentagone s’en est mis plein les poches. Les consultants, les experts et les parasites ont tous été payés. Alors franchement, pourquoi se faire du souci si tout ça n’a servi à rien pour les Irakiens ? Quant aux contribuables qui ont dépensé des millions de dollars pour rien… et alors ?
2 commentaires
Bien dit.
Les américains (en général) sont des personnes agressives. Le son de leur voix est agressive. Leurs paroles ne sont guère réfléchies. leur dollar pensent-ils les rends invulnérable à la face du monde.
Vivement que celui-ci se casse la figure. C’est bien leur mérite.
Vivement que ce peuple d’argent se rende compte de ses bêtises.
Le plus tôt sera le mieux.
Etienne Georgin
J’ai été au US, ponctuellement, plusieurs fois, au pire de ce matraquage médiatique. Je m’en remet, mais j’ai été vraiment choqué par le comportement de la presse télé, journaux, etc. Après des séquences vidéo forcées dans l’avion, d’un patriotisme qu’on n’imagine plus depuis 1914, tout l’avion au garde à vous devant la gloire des US et cette guerre « noble ». Une télé et une presse unanime à la gloire de cette guerre, un Frenc bashing violent, nauséabond, d’une mauvaise foi épouvantable (pourtant, il y a bien des critiques objectives à émettre). Un allemand travaillant sur place m’a expliqué, qu’alors qu’il était en boite de nuit, le disk jockey avait arrêté la musique, et déclaré qu’il avait entendu que des allemands étaient dans la boite, qu’il trouvait cela écoeurant, et que ceux ci devraient immédiatement être éjectés… Ca ne se passait pas au coeur du Texas, mais à Boston …
Au retour dans l’avion, j’ai eu un exemplaire du « New Yorker » dans les mains, enfin, un ton différent, ironique sur cette unanimité, qui en mentionnant les Français les appelait avec Humour les « unspeakable » …
Ca a changé ma vision sur la démocratie, la liberté de la presse, aux US et ailleurs …
Bon anniversaire