▪ Avant d’aborder les sujet sérieux qui ont pesé sur la tendance hier, nous ne résistons pas à partager le grand éclat de rire de la matinée de mardi.
Le chômage a reculé au mois d’août en Espagne de (roulement de tambour, jeux de lumière psychédéliques)… de… 31.
Oui, mesdames et messieurs, l’Espagne compte 31 chômeurs de moins par rapport à juillet !
Pendant ce temps, 15 000 chômeurs étaient radiés des listes parce qu’ayant épuisé leurs droits ou omis de se présenter pour confirmer leur statut de sans emploi. Nous attendons avec gourmandise les statistiques de septembre quand tous les saisonniers embauchés pour la période touristique estivale auront regagné leurs pénates !
Nous aimerions également chiffrer le nombre de jeunes Espagnols qui ont émigré vers le Mexique, les Etats-Unis, le Venezuela ou l’Allemagne… car l’Espagne connait véritablement une hémorragie de jeunes diplômés depuis deux ans.
En ce qui concerne ceux qui ont retrouvé un emploi dans la mère patrie, il serait intéressant de connaître le montant des revenus qu’ils perçoivent désormais et de les comparer à ceux qu’ils auraient reçus avant la crise.
▪ L’Allemagne et ses travailleurs pauvres
Passons maintenant à un sujet moins propice à la raillerie mais qui témoigne également des récents progrès sociaux (c’est de l’humour noir) accomplis par l’Europe. Nous évoquions hier les « travailleurs pauvres » qui peuplent l’Allemagne.
Ils sont sept millions, soit un peu moins de 20% de la population active (qui est de 41,5 millions d’individus). C’est en réalité un pourcentage énorme pour un pays développé où la norme est plutôt de 10% en moyenne. Par ailleurs, 25% des salariés allemands effectuent un travail à temps partiel (contre un peu plus de 14% en France) — et c’est rarement le résultat d’un choix personnel.
Mais attendez le plus beau : il nous a été servi sur un plateau par M. Steinbrück, le principal rival d’Angela Merkel lors d’un débat au Bundestag ce mardi. Le président des sociaux-démocrates (SPD) a réitéré sa proposition de fixer le salaire minimum à 8,5 euros de l’heure pour tous (en France, c’est 9,4 euros brut) — ce qui signifie que des millions de personnes sont payée en-deçà de ce seuil.
Nous avons donc cherché à déterminer le taux horaire moyen perçu par les travailleurs pauvres allemands. Ils sont une majorité à ne toucher au maximum que huit euros de l’heure (les salaires sont libres hors secteurs réglementés), soit au mieux 1 200 euros par mois pour un temps plein. Rappelons que leurs homologues français touchent 1 350 euros à la fin du mois.
Notre clin d’oeil critique aux standards sociaux allemands ne serait pas équilibré si nous ne précisions pas que pour de très nombreuses professions et fonctions, les salaires demeurent souvent supérieurs de 20% à ceux qui sont pratiqués en France.
Autrement dit, l’Allemagne assume pleinement une politique qui a profondément creusé les inégalités de revenus. Les gouvernements successifs n’ont cessé de souligner que c’était le prix à payer pour contenir le chômage à moins de 7% dans le pays — notez que la Fed fixe à 6,5% le seuil à partir duquel on se rapproche du plein emploi.
Enfin, l’immobilier et les loyers en Allemagne affichent des prix très raisonnables, de telle sorte que même avec de bas salaires, il est possible de se loger décemment. Cela même près du coeur des grandes villes alors que c’est quasiment impossible en France.
▪ Faut-il s’inspirer de l’Allemagne ?
Le modèle allemand ne mérite ni apologie, ni détestation, il est tout simplement différent… et demeure largement non-exportable (ou non-transposable) vers des pays latins dont la trajectoire économique et historique n’a rien de comparable.
L’OCDE postule que l’Allemagne connaitra en 2014 la plus forte croissance (2%) parmi les pays de la Zone euro. Cela au motif que sa situation budgétaire favorable lui procure des marges de manoeuvre dont ne disposent ni la France ni l’Italie.
L’OCDE semble occulter le fait que 60% du commerce extérieur allemand s’effectue à destination des partenaires européens, lesquels sont en panne de croissance. En ce qui concerne le moteur des exportations vers les pays émergents, il est déjà fortement grippé par le ralentissement de la croissance des BRIC (et de leurs satellites).
Une nouvelle difficulté vient se greffer depuis neuf mois : la chute du yen. Elle favorise le Japon, toujours en concurrence frontale avec les produits germaniques à forte valeur ajoutée.
Nous évoquons ce fait car le yen vient de connaître un nouveau décrochage mardi, sous les 131 contre un euro et sous les 100/$. Cela laisse présager d’un nouvel épisode d’affaiblissement qui ne manquera pas de doper les exportations nippones.
Enfin, il y a un risque de ralentissement de l’économie mondiale si les premières frappes qui se dessinent à l’encontre du régime de Damas débouchent sur des conséquences indésirables. Certains stratèges — pas les plus nombreux — redoutent un scénario de type « boîte de Pandore ».
▪ Revenons à la Syrie
Les frappes ciblées pourraient, en dépit de toutes les précautions de langage et justifications morales, dégénérer en conflit régional — affectant par exemple le Liban et par extension Israël. Un conflit où l’Iran, la Russie et la Chine s’impliqueraient pour contrer les desseins occidentaux.
Ce serait le scénario noir ; si les marchés veulent l’exclure d’emblée, leur nervosité depuis mardi matin démontre que certains acteurs sont prêts à gagner les issues de secours à la moindre alerte.
Le décrochage de 0,8% survenu vers 10h50 puis entre 17h20 et 17h35 sur les places européennes hier soir n’était pas dû à un de ces « coup de robots » destinés à piéger les non-initiés. Il s’agissait plutôt d’une information bien concrète, rapidement reprise en boucle par tous les médias.
Après John Mac Cain, ex-candidat conservateur à la présidentielle de 2008, c’est au tour du président du groupe républicain au Congrès US, John Boehner, d’apporter son soutien à Barack Obama dans son projet d’intervention en Syrie à l’encontre du régime de Damas.
Voilà qui relance les spéculations sur l’imminence de frappes qui, même « limitées », ne manqueront pas de fournir un prétexte pour sortir des marchés actions près des plus hauts historiques, ce qui est le cas à Wall Street comme à la City ou à Francfort.
Nous trouvons d’ailleurs assez singulier qu’un nombre important de commentateurs et de stratèges viennent délivrer à l’unisson le message suivant : dès que les Etats-Unis entament des opérations militaires, Wall Street en profite pour amorcer un rebond « au son du canon ». Car cela met fin à une phase de consolidation imputable aux incertitudes sur le calendrier et aux menaces plus ou moins crédibles proférées par les cibles potentielles, vite réduites à néant.
Sauf que cette fois-ci, Moscou n’est pas déterminé à faire profil bas ni la Chine à laisser faire comme lors de l’invasion de l’Irak.
Sauf que cette fois-ci, les Etats-Unis — et ceux qui se rallieront à eux — n’ont pas affaire à un tyran mégalomane et isolé politiquement comme Mouammar Kadhafi.
Sauf que cette fois-ci, les dirigeants syriens ont les moyens de déstabiliser plusieurs pays voisins et de menacer les intérêts occidentaux dans les monarchies du Golfe (avec, comme le sous-entendent de nombreux experts, le discret concours de Moscou).
Sauf que cette fois-ci, l’affaire ne sera pas pliée en trois jours d’intervention comme en Irak, en Afghanistan ou à la Barbade.
Alors ceux qui vous affirment qu’il faudra se ruer à l’achat sur les actions dès l’explosion des premiers missiles servent peut-être — volontairement ou non — les intérêts de ceux qui ont bien l’intention de poursuivre l’écrémage de leurs portefeuilles, avec ou sans certitudes sur la réduction du QE3.