Nous nous demandions hier si les taux longs européens pouvaient remonter : suite et fin de notre analyse ci-dessous…
▪ Des scénarios en Europe très différents
L’Allemagne emprunte à 10 ans au même tarif que le Japon : les taux longs allemands remonteront-ils ? Quels seraient les raisons et catalyseurs de ce krach obligataire inédit ?
Certains éléments permettent de rapprocher l’économie actuelle de la Zone euro de l’économie japonaise de ces 20 dernières années :
– croissance et inflation très faibles ;
– nécessité de désendettement du secteur privé et donc inefficacité de la politique monétaire (la fameuse trappe à liquidités)
Mais les ressemblances s’arrêtent là ; il existe des différences profondes qui pourraient pousser finalement les taux longs allemands et français à remonter…
En Zone euro, globalement, l’épargne des entreprises finance l’investissement productif et non pas le déficit public des Etats. Au Japon, les énormes excédents de cash des entreprises sont recyclés en JGB (japanese government bonds).
La dette japonaise est détenue par les Japonais alors que les dettes d’Etats de la Zone euro sont détenues, pour une part non négligeable, par des non-résidents dont les motivations et intentions de gestion sont variables.
35% de la dette publique française est détenue par des non-résidents hors Zone euro |
Ainsi, 35% de la dette publique française est détenue par des non-résidents hors Zone euro ; cette proportion est identique pour la dette publique allemande. Beaucoup de ces investisseurs comptent en dollars… et les craintes d’une baisse de plus en plus désordonnée de la parité euro-dollar dans une zone 1,00-1,05, voire plus bas, pourraient les conduire à rapatrier leurs capitaux.
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Le krach obligataire serait d’autant plus violent que nous partirions de taux très bas, donc de niveaux de prix très élevés. Nous serions alors confrontés non pas à une crise de la Zone euro (comme en 2010-2012) mais à une crise de la parité euro. Ce risque n’existe pas pour le Japon.
Le risque de remontée forte des taux d’emprunt à long terme allemands et français nous semble donc lié au comportement des investisseurs non-résidents, qui pourraient être rebutés par une baisse de l’euro.
Ce risque, qui paraît encore lointain, pourrait se rapprocher si des désordres politiques et sociaux dans un ou plusieurs pays fragiles de la Zone euro venaient faire reparler de reconfiguration de la Zone euro ou si la Grèce se dirigeait vers un défaut partiel et donnait des idées aux électeurs de certains pays de la zone.
Aujourd’hui personne ne prend en compte cette possibilité. Il est effectivement difficile d’être short face à un acteur aussi puissant qu’une banque centrale. La banque centrale dispose d’un pouvoir de création monétaire illimitée et ne suit pas les règles comptables et prudentielles qui s’imposent aux banques "de droit commun".
Depuis le 15 janvier dernier, nous avons perdu un gros acheteur — à savoir la Banque nationale suisse (BNS) |
▪ Que se passera-t-il si les acheteurs traditionnels de dettes publiques de la Zone euro disparaissent ?
Depuis le 15 janvier dernier, nous avons perdu un gros acheteur — à savoir la Banque nationale suisse (BNS). Acteur très important sur le marché des changes, la BNS avait accentué la surévaluation des obligations d’Etat allemandes et françaises. Le 6 septembre 2011, la BNS avait officiellement décidé d’instaurer un plancher (le fameux peg) sur la parité euro/franc suisse à 1,20 pour éviter l’appréciation de la monnaie helvétique, considérée comme valeur refuge en période de fortes incertitudes.
Pour défendre ce plancher, la BNS émettait du franc suisse (il n’y a pas de limite technique à la création monétaire ex nihilo d’une banque centrale), lequel franc suisse était vendu sur le marché des changes contre achats d’euros. Et l’essentiel de ces euros achetés l’était sous forme de titres d’Etat allemands et français.
La BNS vient de remettre en cause ce peg à la surprise générale. La disparition de cet acheteur massif de dette publique française notamment sera sans doute largement compensée par le QE de la BCE, mais ceci va évidemment peser sur le change.
Les achats importants de titres d’Etat par les banques centrales étrangères ne sont pas non plus illimités. Par exemple, si les excédents commerciaux de certains pays émergents se réduisent, ils n’auront plus de quoi investir sur les marchés obligataires étrangers et deviendront vendeurs. De même, si certaines devises émergentes se déprécient suite à des déséquilibres des paiements courants, les banques centrales des pays concernés n’auront plus besoin de créer de la monnaie nationale et de la vendre contre euro, dollar ou sterling pour acheter des Treasuries américains, des Gilts britanniques, des Bund allemands ou des OAT françaises.
Tant que la BCE et les banques centrales nationales réussissent à travers le QE à absorber les éventuelles ventes ou la réduction des achats d’obligations d’Etat en euros, le risque de remontée des taux longs est faible. C’est encore aujourd’hui le scénario le plus probable (scénario 1 à 50%).
En revanche, si les ventes d’obligations de la Zone euro devenaient supérieures à la monétisation des dettes publiques nationales par les banques centrales nationales et aux achats mutualisés de ces mêmes dettes publiques par la BCE, les taux remonteraient. Alors soit Mario Draghi serait obliger d’intensifier son QE (scénario 2 à probabilité de 30%)… soit le marché reprendrait la main (scénario 3 à probabilité de 20%)
Les achats mensuels de mars à juin 2015 dans le cadre du QE de la BCE confirmeront ou infirmeront ces anticipations.
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