Le problème, avec l’histoire, c’est qu’elle est implacable. A l’image de la comptabilité, où tout montant est inscrit au débit d’un compte puis au crédit d’un autre, chaque ascension s’accompagne d’une chute. L’une ne va pas sans l’autre.
« Peut-être est-il encore temps de vaincre l’histoire. » – Daniel Oliver
M. Oliver doit être un irréductible optimiste. Un démocrate qui ne s’est pas fait agresser. Un homme savourant son premier vote… ou son deuxième mariage.
L’histoire à laquelle il fait référence est celle que nous connaissons si bien. C’est cette histoire d’expansions et d’éclatements de la bulle, et de grandes nations terrassées par « la présomption fatale » de leurs dirigeants.
Toutes les bulles éclatent.
Toutes les monnaies papier perdent leur valeur.
Tous les empires déclinent et s’effondrent.
C’est une histoire qui se répète, qui est prévisible, dans laquelle on peut investir, du moins dans une certaine mesure. En fait, le véritable cours des événements futurs – déterminé par le hasard, les idées, la culture et les technologies – est totalement mystérieux.
Après tout, qui aurait pu prévoir qu’un anarchiste serbe allait déclencher la déflagration la plus dévastatrice de l’histoire de l’humanité, une guerre dans laquelle la plupart des nations les plus avancées de la planète se sont battues à mort ? Les combattants avaient peu à gagner. Et pourtant, ils se sont battus énergiquement pendant quatre longues années.
Et à la fin, l’Angleterre et la France ont fait faillite. L’empire Austro-Hongrois était kaput. La Maison des Hohenzollern a été mise à terre, en Allemagne. Et en Russie, le tsar et sa famille ont été assassinés, puis une nouvelle croyance farfelue – le communisme – a pris racine.
Mais les actes humains, le « Sturm und Drang » [NDLR : mouvement littéraire et culturel allemand de la seconde moitié du XVIIIᵉ siècle, mettant l’accent sur le tumulte des émotions humaines], les cycles d’avidité et de peur, et le modèle de la vie elle-même – de ses débuts prometteurs à ses inévitables déclin et chute – l’imbécilité, l’envie, l’esprit de combat, l’innovation, les anges et les démons… vous pouvez tous compter sur eux. Ils laissent ces empreintes que nous connaissons sous le nom « d’histoire ». Suivez-les, si vous le pouvez.
Le problème, avec l’histoire, c’est qu’elle est implacable. A l’image de la comptabilité, où tout montant est inscrit au débit d’un compte puis au crédit d’un autre, chaque ascension s’accompagne d’une chute. L’une ne va pas sans l’autre.
Mais gardons l’esprit ouvert. La difficulté la plus flagrante et la plus immédiate pour les investisseurs, c’est la bulle de l’IA.
Selon Moneywise :
« Les actions américaines s’envolant à la hausse, l’enthousiasme s’emballe. Mais Paul Tudor Jones, milliardaire et gérant de hedge fund, déclare que l’environnement actuel lui renvoie des flashbacks de la bulle des dotcom qui ne sont ni chaleureux, ni flous, ni nostalgiques. »
Le schéma historique est incontestable.
A mesure que l’on investit toujours plus d’argent, les cours grimpent. Les gains réalisés par les investisseurs grimpent. C’est ce qui attire les investisseurs du momentum (qui suivent la tendance), et les rendements augmentent.
Depuis le début de l’année, le Nasdaq a progressé de 28 %. Si vous aviez emprunté à 5 %, vous réaliseriez un gain de 23 % sur cet argent jamais gagné ou épargné.
On adore les Ponzi ! Alors qu’ils attirent de plus en plus d’argent, l’exaltation monte.
« L’investissement » rapporte plus… devient plus attractif… et semble moins risqué (tout le monde le fait !).
Le CAPE (« Cyclically Adjusted Price-to-Earnings ratio » : ratio cours/bénéfices moyens corrigés de l’inflation sur les dix dernières années) actuel n’a atteint ce niveau qu’une seule fois, historiquement : en 1999.
Et après ça ? En ce qui concerne les montages Ponzi qui ne se seraient pas effondrés, l’histoire reste muette : pas un n’apparaît dans les registres.
Les éclatements collent aux basques des bulles… comme la pension alimentaire colle aux basques d’un père qui a déserté sa famille. Les seules exceptions sont théoriques. La production pourrait rattraper les cours. Dans ce cas, une correction ne serait peut-être pas nécessaire pour revenir à un ratio cours/bénéfices plus normal.
Mais ce n’est jamais arrivé.
Ni avec les promesses des années 1920 : les moteurs à combustion interne et les appareils électriques. Ni avec les promesses des années 1960 : les « Nifty Fifty » [NDLR : groupe de 50 actions vedettes de cette époque]. Ni avec les promesses des années 1990 : les dotcom.
A chaque fois, il y a eu des réussites… mais pas assez pour éviter un sell-off sur l’ensemble du marché.
Et cette fois, est-ce que l’IA pourrait être assez payante pour « vaincre l’histoire », en ne s’effondrant pas ?
Selon ChatGPT, les investissements réalisés dans l’IA représentent 1 500 Mds$, au total.
Palantir, qui utilise l’IA pour conserver des dossiers sur tout le monde, cote selon un multiple de plus de 100 fois son chiffre d’affaires, et de 400 fois ses bénéfices. A ces niveaux-là, cela ne relève pas de l’investissement, mais de la pure spéculation. Vous pariez que d’autres spéculateurs vont arriver avec encore plus d’argent et qu’ils feront encore plus grimper le cours.
Pour que ce soit un solide investissement à un cours décent, l’entreprise devrait multiplier sa production (ses bénéfices) par 30. C’est ce qu’il faudrait pour que son ratio cours/bénéfices soit soutenable. Et – je le répète – vous pouvez bien fouiller dans les registres historiques autant que vous le voudrez, vous ne trouverez pas une seule entreprise digne de ce nom qui y soit parvenue.
Une mini start-up peut voir son chiffre d’affaires, ses profits et son cours augmenter de façon spectaculaire, mais pas une entreprise affichant déjà une capitalisation de près de 500 Mds$.
Même Apple, l’une des entreprises les plus performantes de l’histoire, n’a multiplié son chiffre d’affaires que par 4, ces 15 dernières années.
Ce que montre l’histoire, c’est que la normalité se manifeste davantage par une chute brutale des cours que par une augmentation spectaculaire des bénéfices.
Vaincre l’histoire ? Nous ne compterions pas là-dessus.
