▪ "On appelle ça un guadeado. On prend la tête entière… écorchée, évidemment. On creuse un trou. On y allume un feu. Quand on a des braises, on met la tête dans le trou — avec les braises. On peut rajouter des herbes si on veut… on recouvre et on attend 24 heures. Ensuite, on découvre. Le crâne sortira propre et blanc, et la viande, avec la cervelle, sera délicieuse".
C’est ainsi que Javier expliquait une tradition culinaire locale. Lorsqu’une vache est tuée, la tête est enterrée avec des braises… jusqu’à ce qu’elle soit prête à être mangée.
Cela semblait pittoresque et folklorique — jusqu’à ce que nous soyons invité à en manger.
Oui, cher lecteur, nous continuons notre pèlerinage. Nous sommes arrivé en nous croyant un gros dur de la grande ville de Baltimore. Et puis notre système digestif délicat… notre peau claire d’Irlandais… nos jambes d’habitant des plaines et nos poumons habitués au niveau de la mer… nos sentiments d’Occidental bien-pensant (nous mangeons des animaux que nous n’avons jamais rencontrés ; nous ne montrons jamais les handicapés du doigt en riant)… notre douce vie d’entrepreneur et d’investisseur, emmitouflée, capitonnée et molletonnée par une bulle nourrie par le crédit qui a pratiquement commencé le jour de notre naissance et se poursuit encore à ce jour — tout cela a été remis en question par les difficiles conditions de la vie andine.
Personne ici ne s’attend à pouvoir emprunter pour se tirer d’un mauvais pas financier. Personne ne pleure l’agneau que nous mangeons au dîner. Personne ne met de crème solaire. Personne ne réfléchit à deux fois avant d’entreprendre une marche de quatre heures — pour descendre dans la vallée et en remonter –… ou ne regimbe à l’idée de se lever à cinq heures du matin pour prendre de l’avance sur l’encerclement du bétail.
Petit à petit, notre statut de pied-tendre laisse la place à la dysenterie, aux cals, à l’amaigrissement… tant corporel que financier |
Petit à petit, notre statut de pied-tendre laisse la place à la dysenterie, aux cals, à l’amaigrissement… tant corporel que financier. Notre arrière-train, plus habitué aux coussins d’une voiture confortable, a été endurci par la selle — tandis que nos doux instincts d’homme d’affaires sont forgés par les calculs implacables d’un petit ranch de montagne. Même notre gentil Dieu épiscopalien est délogé des cieux par une divinité plus ancienne et plus rude.
Faire de la marge ? Oubliez ça. Nous ne sommes pas compétitif en termes de prix. Et nous sommes loin d’un produit qui se défende au niveau qualitatif. Notre vin est toujours "en travaux". Quant à nos boeufs, ils sont aussi maigres que la ferme qui les produit.
▪ Une remise en question radicale
Nous ne nous plaignons pas pour autant. Nous essayons simplement de comprendre… et nous commençons à réaliser que la majeure partie de ce que nous pensions savoir était bidon, faux, artificiel. Chaque année de notre vie a été passée à rouler avec des pneus bien gonflés sur une autoroute bien entretenue…cheveux au vent dans notre décapotable… avec de l’essence ultra-bon marché à disposition.
Nous avons grandi… sommes entré dans la vie active… et avons atteint l’âge de la retraite — tout cela dans une sorte de bulle, où gagner de l’argent était relativement facile |
Nous avons grandi… sommes entré dans la vie active… et avons atteint l’âge de la retraite — tout cela dans une sorte de bulle, où gagner de l’argent était relativement facile… et rendu encore plus simple par la plus grande fièvre de crédit de l’histoire de l’humanité. Les gens avaient de l’argent à dépenser, en grande partie grâce aux autorités et au secteur financier, qui prêtaient volontiers de l’argent — même à des gens qui ne pourraient jamais le rembourser. Nous avons gagné notre vie sans avoir besoin de trop transpirer.
Dans quelle mesure notre instinct et nos réactions, formés dans ce monde de bulle, sont-ils honnêtes et fiables ? Dans quelle mesure sont-ils sont faussés… déformés par une économie grotesque et artificielle ?
A présent, alors que la plupart des gens de notre âge commencent à toucher leur retraite et se préparent à une existence de visites à leurs petits-enfants et de promenades sur la plage, nous sommes confronté au monde réel ; et il a un visage dur, fermé. Pas la face dodue d’un homme qui a passé sa vie dans un bureau conditionné, employé par le gouvernement. Il s’agit d’un visage creusé par l’inquiétude… buriné par l’expérience… un visage qui n’attend pas grand’chose de la vie.
C’est le monde tel qu’il doit être pour la plupart des gens — où le moindre centime doit être arraché à la terre sèche et stérile comme s’il y avait été délibérément caché par un Dieu cynique et impitoyable.
"C’est prêt", a dit Marta, notre cuisinière.
La tête de la vache était prête à être sortie de la terre. Marta avait innové. Plutôt que de creuser un trou, elle avait mis la viande dans un four d’adobe, avec des boîtes de conserve emplies d’eau pour l’humidité… puis avait scellé l’ouverture avec une grande pierre plate et de la boue. La boue avait rapidement séché et durci, enfermant la chaleur des braises ardentes. 24 heures plus tard, nous sommes allé au four, avons brisé le sceau de glaise et roulé la pierre. Nous avons tiré la tête hors du four… l’avons ramenée à la cuisine… et avons découpé la viande.
Il était l’heure de déjeuner.