** Les joyeuses tendances de la période de la Grande Modération — les 15 années avant 2007 , en gros — ont pris un mauvais virage.
* La mondialisation, par exemple, aidait à maintenir les prix bas aux Etats-Unis. Les Américains pouvaient s’emparer de toutes les importations qu’ils voulaient sans se faire taper sur les doigts par l’inflation habituelle des prix à la consommation. C’est-à-dire que — comme un ivrogne qui n’aurait jamais la gueule de bois — ils pouvaient profiter d’un boom inflationniste sans jamais avoir à payer des prix de consommation plus élevés.
* A présent, on leur a serré la vis… à présent, ils n’ont plus qu’à se calmer… dépenser moins… et payer des prix plus élevés ! Le monde était un endroit bienveillant et clément, avant 2007. A présent, il est devenu méchant.
* Commençons notre exploration de cette désagréable évolution des choses en examinant le marché du pétrole.
* En ce qui nous concerne, nous avons soldé nos positions pétrolières ; à 130 $, nous le considérons comme trop spéculatif. Mais cela ne signifie pas que la bulle pétrolière va éclater prochainement… ou que le prix réel du pétrole ne sera pas plus élevé dans 10 ans qu’il l’est maintenant .
* Les conditions générales du marché pétrolier sont les plus déroutantes et les plus complexes que nous ayons jamais vues. On dirait un tableau de Hieronymous Bosch, où il se passe tant de choses qu’on ne peut pas dire ce que cela signifie.
** D’un côté, il y a le paysage de l’offre et de la demande. L’image n’est pas nette. L’offre de pétrole semble s’épuiser. Sur les 60 plus grands producteurs pétroliers de la planète, 54 annoncent une production déclinante. L’Indonésie annonçait cette semaine que sa production avait dégringolé à tel point qu’elle ne pouvait plus exporter ; le pays a dû se retirer de l’OPEP, puisqu’il est devenu importateur de pétrole.
* D’un autre côté, le Brésil a récemment annoncé d’immenses découvertes. Les nouvelles technologies offrent des moyens d’extraire plus de pétrole de champs existants. Et on développe de plus en plus d’alternatives à l’or noir. Le Brésil est également d’un des principaux producteurs d’éco-carburants au monde, notamment à partir de canne à sucre, et il augmente la production aussi vite qu’il le peut. L’énergie solaire a le vent en poupe.
* Quant au pétrole lui-même, il est en quantité limitée… et bon nombre d’experts pensent que le niveau d’extraction annuel maximum — le Peak Oil — a peut-être déjà été atteint. A partir de maintenant, le monde va devoir se débrouiller avec une offre en baisse et des prix en hausse.
** Si l’on observe le côté de la demande, c’est l’inverse qui se produit — avec une courbe qui grimpe jusqu’au ciel. Il y a quelques années de ça, des millions… peut-être des milliards d’habitants de la Terre vivaient sans carburants fossiles d’aucune sorte. Ils cultivaient leurs rizières, par exemple, avec des buffles… cuisaient leurs repas sur des feux de bois et se déplaçaient à bicyclette. A présent, ils déménagent en ville, vivent dans des appartements chauffés au fioul, mangent des plats préparés à base d’ingrédients utilisant beaucoup de pétrole, travaillent dans des usines chauffées et absorbant des masses de carburant, voyagent en voiture et en bus, et achètent des choses qui demandent de l’énergie pour être fabriquées et de l’énergie (en général du pétrole) pour être livrées.
* Autrefois, si les Etats-Unis subissaient une récession, on pouvait être sûr que la consommation de pétrole — et les prix de l’énergie — baisseraient. Mais ces 12 derniers mois, la consommation pétrolière des Etats-Unis a diminué de 1,3% alors même que le prix grimpait. Comment est-ce possible ? Cela s’explique en partie par le titanesque bruit de succion provenant des marchés émergents, les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) et le Moyen-Orient. Ces pays utilisent tous beaucoup plus d’énergie — en partie parce qu’ils deviennent bien plus riches, et en partie parce qu’ils ont tendance à garder leurs prix énergétiques domestiques bas (ce qui aide à expliquer pourquoi ils se développent si rapidement). Tant la Chine que l’Inde ont refusé de permettre à leurs grandes compagnies pétrolières d’augmenter les prix nationaux en ligne avec les cours des marchés mondiaux, encourageant une hausse de la consommation. Dans les BRIC, l’utilisation de pétrole a grimpé de 4% au cours des 12 derniers mois.
* Mais comment se fait-il que les investisseurs n’aient rien vu venir ? Un homme de 30 ans est sans doute peu préparé à mourir dans un accident de train ; mais un homme de 90 ans a généralement mis son testament en ordre. Ces tendances de l’offre et de la demande sont bien connues… et elles se développent lentement. Comment les investisseurs ont-ils pu les manquer ? Comment le prix du pétrole a-t-il pu rester si bas pendant si longtemps ? Comment se fait-il qu’il ait plus que doublé depuis le début 2007 ?
** Examinons encore ce remarquable tableau du marché pétrolier. En plus de l’offre et de la demande, il se passe beaucoup d’autres choses. Il y a par exemple les banquiers centraux — menés par Ben Bernanke et la Fed US. Que font-ils ? Regardons d’un peu plus près… Ah oui, ils semblent être en train d’imprimer de l’argent ! Oui, la Fed — le gardien de l’intégrité financière des Etats-Unis — prête de l’argent à 2% sous le taux d’inflation officiel (c’est-à-dire probablement 6% sous le taux d’inflation réel). Et elle permet à la masse monétaire de grimper à un taux annuel estimé à 16%. Rappelez-vous, lorsque la masse monétaire augmente plus rapidement que l’offre de biens et de services (le PIB), les prix grimpent. Alors que le PIB stagne ou grimpe à peine, une augmentation de 16% de la masse monétaire représente une poussée inflationniste considérable.