** "La Semaine Infernale".
* Voilà ce qu’a vécu Bear Stearns ces derniers jours.
* "Course folle pour calmer les marchés", titrait le Financial Times hier en couverture.
* "Nous entrons dans une nouvelle phase de la crise, plus effrayante et plus dure", déclare Marco Annunciata, d’UniCredit.
* Une grande faillite sur Wall Street signifie souvent la fin d’une baisse boursière, affirme John Authers dans le Financial Times : Continental Illinois en 64, Drexel Burnham Lambert en 90, Kidder Peabody en 94 et Long Term Capital Management en 98.
* Mais Bear Stearns signe-t-il la fin du problème… ou simplement le début ?
* "Wall Street attend la chute du prochain domino", titrait encore le Financial Times lundi.
* Suite à la saga Bear Stearns, les investisseurs ont commencé à poser des questions sur Lehman Bros. La société a dû annoncer publiquement qu’elle était solide. Bien entendu, Bear Stearns avait déclaré être solide aussi. Et comme le remarquait Walter Bagehot en 1873, "tous les banquiers savent que dès lors qu’ils doivent prouver qu’ils sont dignes de crédit… dans les faits, leur crédit a disparu".
* Bientôt, d’autres institutions financières annonceront leurs derniers résultats. La marée s’est retirée : on verra qui nageait nu, déclare Buffett. Une chose qu’on verra, en tout cas, ce sont d’immenses portefeuilles de prêts faisant jouer l’effet de levier passer en pertes et profits. Goldman Sachs et Morgan Stanley devraient perdre environ 1 000 milliards de dollars. Selon Deutschebank, les pertes atteindront neuf milliards de dollars environ au cours des six prochains mois. En fait, la DB a plus de 50 milliards de prêts à effet de levier dans ses propres comptes. Pour Goldman, c’est 40 milliards de dollars.
* Mais pas de souci : Henry Paulson, secrétaire au Trésor US, déclare que "nos institutions financières sont fortes" et qu’il fera "tout ce qui est nécessaire" pour que le système continue de fonctionner correctement. Le président de tous les Américains, George W. Bush, a déclaré que même si les temps sont "difficiles", lui et son équipe ont "le contrôle de la situation" — c’est bien ce qui nous inquiète. Pendant ce temps, les journaux disent que Ben Bernanke est sous pression pour baisser les taux… et on trouve peu de bookmakers pour parier qu’il ne le fera pas.
* Eh bien, nous nous inquiétons quand même, merci beaucoup. Parce que nous doutons que la science de la banque centrale telle que pratiquée par Bernanke ou Trichet soit plus fiable que la science de la gestion de portefeuille moderne telle que pratiquée par les génies de Bear Stearns, Lehman et tous les autres.
** Mais prenons un peu de recul pour voir les choses dans leur ensemble.
* Nous tenons pour acquis que les banquiers centraux sont aussi attirés par les erreurs que les ours par le miel. Il nous semble également probable qu’Alan Greenspan a commis une erreur lorsqu’il a baissé les taux si agressivement en 2002-2003 puis lorsqu’il les a laissés pendant si longtemps sous le taux d’inflation. Cela a engendré une orgie de dépenses et d’emprunt dans les économies occidentales… et une orgie de nouvelles usines et de formation de capitaux en Asie. Dans ces deux régions, les gens ratèrent leur cible — et en firent considérablement trop.
* A présent, l’heure de payer est arrivée.
* Quant à la manière dont l’addition sera réglée, nous n’en sommes pas certain. Il y a deux écoles de pensées.
* D’un côté, il y a les déflationnistes, qui voient un effondrement de l’économie, et une baisse des prix… ainsi qu’une fuite vers les bons du Trésor US (et le dollar) pour plus de sécurité. De l’autre, il y a les inflationnistes.
* Mais à la Chronique Agora, nous n’avons jamais aimé l’école. Nous avons séché les cours dès que nous en avons eu l’occasion… et nous avons appris ce que nous pouvions en gardant les yeux ouverts. En fait, nous voyons désormais un monde différent de celui des inflationnistes ou des déflationnistes… un monde où les prix grimpent… et baissent… et où l’inflation et la déflation se disputent et se réconcilient alternativement… comme un couple marié.
* Nous avons décrit cette tension comme une "guerre" entre les deux forces — l’une implacable… l’autre irrésistible. Mais les deux ont autant de chances d’être amies qu’ennemies. Elles peuvent se chercher des noises et même en venir aux coups… mais elles prennent quand même le thé ensemble tous les jours à 16h. Elles ne peuvent vivre ensemble… mais elles ne peuvent pas non plus vivre l’une sans l’autre.
* Lundi, par exemple, nous les avons vues marcher main dans la main. Les actions ont grimpé aux Etats-Unis. Mais l’or aussi. Et lorsqu’elles sont allées rendre visite au marché des bons du Trésor, les prix des obligations ont grimpé rapidement tandis que les rendements chutaient. Elles ont ensuite rendu visite aux marchés matières, et ont fait baisser les cours de quelques degrés. Le dollar aussi a baissé.
* Et dans les mois qui viennent, qui sait ? Les deux pourraient se brouiller définitivement. Si cela se produisait, il pourrait y avoir une crise à la baisse pour les quelques secteurs qui grimpent — les matières premières, les bons du Trésor, le pétrole et même l’or. Ou bien il pourrait y avoir une crise à la hausse pour les secteurs qui baissent — les actions et l’immobilier.
* Nous n’en savons rien. En tant qu’analyste financier, cette incertitude nous inquiète un peu. Mais en tant que philosophe moral, nous tenons pour acquis qu’il y a plus de choses, sur notre globe sublunaire, que n’en contient notre philosophie. Nous laisserons M. le Marché conter son histoire… et nous l’écouterons bien volontiers.