Une virée en voiture en Irlande, dans le rude comté de Clare, balayé par les vents…
« L’Irlande est un bon endroit pour mourir. » – Elizabeth Bowen, romancière irlandaise.
Ce n’est peut-être pas la meilleure saison pour visiter le comté de Clare, en Irlande. Le vent souffle. La pluie s’abat en torrents. Il y a du brouillard le matin, en milieu de journée, et le soir aussi.
Du moins, c’est l’expérience que nous avons vécue lorsque l’on a exploré le parc national des Burren, avant-hier.
Nous avons roulé à travers le comté de Clare, en se délectant des paysages, en apprenant des choses sur les O’Brien et en essayant de ne pas finir trempés.
Autrefois, il était beaucoup plus courant de faire de la route. Les visiteurs empruntaient les petites routes, lentement, en s’arrêtant dans les restaurants et les bars locaux. Aujourd’hui, les autoroutes ont rendu l’automobilisme obsolète. Les gens conduisent pour aller quelque part le plus vite possible. Et de nombreux petits pubs et restaurants ont fermé leurs portes.
Mais dans cette partie de l’Irlande, il n’y avait pas grand-chose à faire hormis rouler.
Pour remettre notre voyage dans son contexte, il faut savoir qu’Elizabeth est une voyageuse curieuse et intrépide. Lorsqu’elle apprend qu’il y a une pierre dressée ou une église écroulée quelque part dans un pâturage, elle enfile ses bottes et se met en route, quel que soit le temps. C’est ainsi que nous avons découvert l’un des cimetières les plus attrayants d’Irlande, en bas de la colline et de l’autre côté d’un champ du château, connu sous le nom de Dysert O’Dea.
Les Burren
Le château était fermé, ce n’est pas la saison des touristes. Mais au loin, par-delà colline et vallon, à travers le brouillard, nous avons aperçu l’église dépourvue de son toit. Nous avons donc emprunté un chemin de gravier, puis franchi un mur de pierre, traversé un champ de bovins au sol très mou et enfin franchi un autre mur de pierre, avec des marches d’escalier glissantes sur les côtés, jusqu’au complexe abandonné.
Le cimetière est bordé de tous côtés par un mur de pierre, qui est suffisamment petit pour que les arbres qui le bordent fassent de l’ombre en été. Certaines pierres tombales étaient anciennes et illisibles. D’autres, avec des croix celtiques, penchaient dans un sens ou dans l’autre. Des corps plus frais ont dû être plantés là au cours des trente dernières années.
« Comme c’est beau… cela nous donnerait presque envie de mourir », avons-nous marmonné, en espérant ne pas être pris au sérieux.
Les pierres tombales – McNally, McNulty, McNeill – tous les Micks et Paddies étaient là… des centaines de générations, reposant paisiblement et gracieusement dans le petit cimetière aux murs de pierre.
L’église voisine était en ruine. Il en était de même de la tour ronde située à côté. Les tours rondes font partie des premiers édifices chrétiens, peut-être destinées à protéger les moines et leurs trésors des raids vikings. Celle-ci faisait partie d’un monastère datant du XIIe siècle, en grande partie détruit par l’armée de Cromwell au XVIIe siècle.
Nous avons roulé sur des routes terriblement étroites dans le Burren, lorsque nous avons vu une voiture arriver en sens inverse. Nous avons cherché un endroit où nous arrêter. Les routes sont rarement assez larges pour que deux voitures puissent se croiser normalement. Se garer nous mettait inévitablement dans la boue. Heureusement, notre vieille Nissan Patrol a quatre roues motrices.
Le Burren se trouve sur la côte ouest de l’Irlande, non loin de l’aéroport de Shannon. C’est une terre de surprises et de curiosités. Il semble complètement abandonné, dans de nombreuses parties. Et pourtant… Par exemple, vous pouvez rouler pendant des kilomètres sans rencontrer le moindre signe de civilisation, et puis vous arrivez dans une « parfumerie ». Oui, au milieu de ce qui semble être une vaste étendue sauvage, se trouve une petite entreprise qui fabrique des essences et un salon de thé très accueillant.
Le Burren est une terre de lacs et de ruisseaux, de montagnes, de prairies et de marécages. Une grande partie du territoire n’est guère plus que de la roche stérile. Et pourtant, il y a du bétail ou des moutons qui paissent presque partout. Les vallées fluviales possèdent les sols les plus fertiles du pays. Les champs semblent trop vallonnés, trop pierreux, trop petits pour être très productifs, mais les fermes semblent prospères.
Parmi les sites que nous avons visités, il y avait un dolmen à Poulnabrone (la fosse du chagrin). Sa fonction exacte est inconnue et a pu varier au fil des siècles, mais il a certainement été la dernière demeure de plusieurs personnes, dont les ossements ont été déterrés, il y a 4 000 à 5 000 ans. Nous l’avons regardé à travers les ouvertures étroites de nos vestes de pluie à capuchon, réchauffés par des pulls en laine en dessous, en nous demandant pourquoi les anciens auraient choisi un endroit aussi désertique.
Chasseurs et fermiers
« La région n’a pas toujours été aussi déserte, nous a expliqué notre guide. Autrefois, des arbres couvraient une grande partie du territoire. Nous pensons que les premiers colons les ont coupés… pour le bois de chauffage ou les pâturages. Et puis, le sol a toujours été très mince. Il a été lessivé ou emporté par le vent au cours des siècles. C’est pour cela qu’il est si stérile aujourd’hui. »
Notre guide était une jeune femme de Pittsburgh. Avec le visage frais et des manières agréables, elle a commencé par nous demander si nous étions sûrs de vouloir participer à la visite. Le vent s’est levé. La pluie ne tombait pas vraiment, mais était plutôt pressée d’arriver quelque part au sud, prête à renverser quiconque se mettrait en travers de son chemin.
Entendant que nous étions malgré tout partants pour la visite, elle a enfilé sa parka et nous a emmenés.
Elle nous a conduits à un fort cylindrique appelé Caherconnell. D’épais murs de pierre ont été empilés (aucun mortier n’a été utilisé) sur une hauteur de trois mètres et une épaisseur d’un mètre et demi autour d’un ensemble de murets intérieurs en pierre, tout ce qui reste de ce qui était autrefois des maisons, des granges et des ateliers.
« Voici l’une des maisons à l’intérieur de l’enceinte, a-t-elle expliqué en faisant un geste sur l’herbe. Jusqu’à 20 à 30 personnes vivaient dans cette zone (de la taille d’une chambre à coucher moderne). »
Elle a participé à des fouilles archéologiques sur le site au cours des trois dernières années. Elles ont permis de découvrir que l’endroit avait été construit sur un site beaucoup plus ancien, aux alentours du Xe siècle. C’est donc assez récent.
L’homme vit en Irlande depuis environ 10 000 ans – d’abord comme chasseur, à la poursuite de troupeaux de rennes, puis comme agriculteur, avec de petits champs de céréales et de petits troupeaux de bovins ou de moutons.
Des batailles intemporelles
La légende irlandaise (peut-être vraie !) raconte que les premiers habitants de l’Irlande étaient connus sous le nom de Firbolg et de Tuatha De Danann. Puis, selon l’érudit du XVIe siècle O’Flaherty, l’île aurait été envahie par les Milesians, des peuples celtes venus du nord de l’Espagne.
L’histoire de l’Irlande est longue et semée d’embûches.
« C’est étonnant de voir à quel point les gens sont prêts à supporter la guerre, commence Elizabeth dans une réflexion. Chaque invasion a déclenché des centaines d’années de guerre. L’invasion anglaise a duré du XIIe siècle au XVIIIe siècle et s’est accompagnée de massacres de part et d’autre. Et même lorsque le pays était censé être en paix, les seigneurs de la guerre et les chefs locaux s’affrontaient, s’entretuaient. Il est étonnant que nous ayons réussi à survivre. »
A Caherconnell, ils ont également découvert des tombes plus anciennes, datant du Vie siècle environ, d’une femme et de deux enfants, dont on pense qu’ils ont reçu une sépulture chrétienne.
Une autre surprise a été la découverte d’objets venus de très loin. Une perle d’ambre, par exemple, provenant probablement de la mer Baltique. Des épingles, qui semblaient avoir été fabriquées en France. Même il y a plusieurs siècles, et même à l’extrémité occidentale de la civilisation européenne, le commerce s’est poursuivi.
L’une des principales attractions du comté de Clare se trouve au sud du Burren, il s’agit du château de Bunratty. Il a été construit près de l’estuaire du Shannon par la famille De Clare, une famille normande qui était périodiquement attaquée par le clan O’Brien, au XIIIe siècle. Le château a été détruit puis reconstruit. Mais en 1318, Richard De Clare fut tué au combat. Sa femme, apprenant sa mort, brûla le château et toute la ville qui l’entourait. Elle est partie pour l’Angleterre ; la famille n’est jamais revenue.
Mais les combats se poursuivirent. Un nouveau château fut construit et des armées ont été envoyées d’Angleterre pour soumettre les MacCarthys et les MacNamaras. Une guerre après l’autre. Siège. Bataille. Boucherie. Destruction. Les guerres confédérées… Cromwell… les Williamites… une ascension et une chute.
Et le voilà… toujours là. Le château de Bunratty.
4 commentaires
Et moi et moi et moi….. je fais quoi ?
Merci pour vos impressions en direct d’Irlande ou d’Argentine. J’ai gardé de ce dernier pays de très belles images et de bonnes vibrations. Il me tarde d’y retourner.
Ces petites digressions historico-touristiques de Bill Bonner sur la Chronique Agora sont toujours intéressantes et bienvenues.
« Poulnabrone », en celtique britonnique, peut se traduire en Français par la » Mare du saillant/aiguillon/sein »