Le Nikkei bat un record établi il y a trois décennies.
Voici les grandes nouvelles de la semaine dernière, à commencer par celle rapportée par le Financial Times :
« Le Nikkei bat son record de 1989
[…] Cette semaine, le Nikkei 225 a enfin franchi son sommet… après 34 ans d’attente. »
Quelques-uns de nos chers lecteurs se rappelleront de notre première grande « prédiction ». Notre objectif est d’éviter une grande perte. Et en 1988, nous l’avions vu prendre forme à Tokyo. Le soleil était sur le point de se coucher sur le miracle japonais, tel que nous l’avions deviné.
Vers la fin des années 1980, presque tout le monde pensait que « Japan, Inc. », qui passait de l’état de coquille fragile suite aux bombardements de la seconde guerre mondiale à l’état de puissance de l’exportation, allait connaître une gloire de plus en plus importante. Les écoles de commerce américaines enseignaient les techniques de management japonaises. Des termes japonais, tels que kaizen (améliorations continues), ont intégré les rapports des analystes de Wall Street. Les lycées branchés ont remplacé le latin et le français par le nihongo (principale langue au Japon).
Mon propre fils, alors âgé de 6 ans, lorsqu’on lui demandait ce qu’il voudrait être quand il sera grand, répondait : « Je veux être Japonais. »
Tous aux abris
A la fin des années 1980, le Nikkei Dow se négociait à un ratio cours/bénéfice supérieur à 70. Les valeurs de croissance méritent parfois leur prix élevé. Mais pour l’ensemble du marché boursier, il s’agissait, eh bien, d’une exubérance irrationnelle.
Cette fantaisie était due au fait que le Japon avait plus de planificateurs centraux que les Etats-Unis ; le MITI (ministère du Commerce international et de l’industrie), était crédité d’avoir guidé l’économie vers le succès stratégique.
On ne savait rien du Japon à l’époque. Et on n’en sait rien aujourd’hui non plus. Mais nous savions qu’un ratio cours/bénéfice supérieur à 20 était probablement une bulle en devenir. Au-delà de 70, il est temps de se mettre à l’abri.
Nous savions également que le MITI n’était pas responsable du succès du Japon. Les exportateurs principaux (les compagnies auto) ont ignoré les conseils du MITI lorsqu’ils ont rejoint le marché américain. Et l’intervention des planificateurs centraux, peu importe où ils se trouvent et quelle langue ils parlent, cause toujours des ennuis.
En l’occurrence, les planificateurs qui ont causé le plus de dégâts étaient aux Etats-Unis, pas au Japon. Les guerriers du commerce américains ont exercé une pression sur le Japon pour limiter le nombre de voitures que le pays du Soleil levant pouvait faire rentrer sur le sol américain. Honda et Toyota ont alors opté pour des modèles au prix et à la qualité plus élevés, et ont rapidement dominé le monde du marché automobile. Le New York Times explique :
« ’En 1945, le Japon a été décimé’, affirme Jon Ikeda, vice-président et responsable de la marque Acura. ‘Puis, en 64, ils dévoilent le Shinkansen, train à grande vitesse, et accueillent les Jeux Olympiques.’ Et en seulement deux décennies, ‘on discute de la Honda NSX avec un châssis entièrement en aluminium, et Honda gagne des courses de Formule 1’, poursuit-il. ‘Acura a été prise dans cette énergie : on voulait montrer au monde que le Japon pouvait construire des produits extraordinaires.’
Un autre facteur significatif qui a contribué à la création de plaques d’immatriculation supplémentaires, était un accord commercial volontaire signé en 1981, qui limitait l’importation automobile exclusivement aux Etats-Unis. Les restrictions sur les importations, qui se sont étendues jusqu’au début des années 1990, et les pertes de ventes qui en ont découlé ont incité les Japonais à créer des véhicules plus chers pour augmenter leurs profits. »
Notre meilleur livre
Nous avons abordé le sujet (l’effondrement imminent du Japon) un peu trop tôt, comme à notre habitude. À la fin des années 1980, d’autres auteurs financiers se moquaient de notre vision baissière persistante à l’égard du Japon. Un collègue, Mark Skousen, en a ri lors d’une conférence sur l’investissement, en nous décernant un livre que nous n’avions pas écrit (avec des pages vides) : « Comment j’ai prédit l’effondrement du Japon » de Bill Bonner.
Il s’avère que c’était notre meilleur livre ! Quelques mois plus tard, le Japon s’est véritablement effondré.
A l’époque, comme maintenant, le refrain populaire était le suivant : « Buy the dip », acheter le creux. Les Japonais étaient des génies, se sont dit les investisseurs. Ils vont vite rebondir.
Mais ils n’ont pas du tout rebondi. Les gestionnaires de patrimoine ont dû s’excuser auprès de leurs clients tout au long des 34 années qui ont suivi. Japan, Inc. n’a tout simplement pas pu soutenir la Bourse. Le Nikkei 225 a essayé six fois de se relever. Six fois, M. le Marché l’a mis à terre. En 2012, 22 ans après l’effondrement, le marché était encore en baisse de plus de 80%.
Ayez pitié des pauvres investisseurs ! Leurs épargnes détruites, ils se sont tournés vers leurs écrans d’ordinateur chaque matin, vérifiant leurs portefeuilles, déçus encore et encore. Les plans pour les vacances… la résidence secondaire… la retraite : à oublier. Ils étaient ruinés. Ils sont devenus fous. Les investisseurs âgés de 60 ans à l’époque de l’effondrement ont dit au revoir à leur argent et ne l’ont plus jamais revu. Plusieurs sont morts sans le sou, maudissant le jour où ils ont décidé d’acheter des actions.
Une génération de pertes
Même nous avons mordu à l’hameçon en 2010. Après 20 ans, on s’était dit qu’il était grand temps de voir un marché haussier au Japon. On a également pensé que toute la dette et l’impression de billets par la Banque du Japon, dans un effort malavisé pour stimuler l’économie, ne pouvait que réduire la valeur réelle des obligations d’Etat japonaises. Soit les obligations baissaient, soit les actions montaient. Notre opération de la décennie (acheter des actions japonaises, vendre des obligations japonaises) était à coup sûr gagnante.
Ce n’était pas une mauvaise opération. Nous avons gagné de l’argent. Mais nous étions en avance. Si nous avions annoncé cette opération quatre ans plus tard, nous aurions gagné beaucoup d’argent.
Et maintenant que les actions du Nikkei ont fait un retour vers le futur en 1989, les actions rapportent enfin quelque chose. Ou peut-être pas. Les investisseurs ont-ils été indemnisés ? Non. Leur perte est encore d’environ 20%, après inflation… et ce après une génération entière de pertes.
Voilà ce qu’est une grande perte.