Nos chers lecteurs nous expriment leur mécontentement.
Dieu merci, nos chers lecteurs sont là. Nous apprenons beaucoup d’eux. Surtout de leurs critiques. Nous écrivons quotidiennement depuis 1998. Parfois nous avons raison, parfois nous avons tort… mais nous sommes toujours dans le questionnement. En général, les lecteurs partagent notre avis. Mais de temps en temps, nous sommes en désaccord – surtout lorsque des questions politiques sont en jeu.
Il y a eu trois grandes vagues de dissension, de mécontentement et de désenchantement chez nos lecteurs. Chaque fois, le courrier que nous avons reçu était si catégorique, et l’auteur si furieux et si indigné, que nous nous sommes demandés : avons-nous déçu les saints ?
La première vague est arrivée à la fin des années 90, lorsque la bulle des actions « dot.com » commençait à se former. L’accès à l’information, disait-on, réduisait considérablement le besoin d’investissement en capital réel. Désormais disponible gratuitement sur internet, l’information était censée initier une période de croissance plus rapide du PIB, et de prospérité généralisée. Les actions Dot.com elles-mêmes, concentrées sur le Nasdaq, ne pouvaient pas être surévaluées, selon les vrais croyants, leur valeur étant “infinie ».
Le fleuve du non-retour
A l’époque, on parlait beaucoup, et l’optimisme était tel qu’il nous a rendus particulièrement méfiants. Le Nasdaq avait grimpé de 85% en une seule année, en 1999, soit plus que n’importe quel autre indice américain. Et le Dow Jones a atteint son plus haut niveau historique. En 1999, vous pouviez échanger les 30 actions du Dow Jones contre 40 onces d’or (pour mémoire, en 1980, le ratio était environ de 1 pour 1).
Et nous l’avons dit, en conseillant à nos lecteurs d’éviter les actions dot.com, y compris Amazon.com. Cela montre bien que l’on peut avoir à la fois raison et tort. Nous avions raison : la bulle Internet était sur le point d’éclater. Et nous avions raison de qualifier AMZN de « fleuve du non-retour » ; son activité principale de vente au détail n’a jamais permis de dégager un rendement décent du capital. Mais, cela n’a pas empêché l’ascension de l’entreprise. L’action a grimpé en flèche et des milliers de personnes sont devenues millionnaires !
Ce qui est surprenant, c’est que de nombreux lecteurs ne se sont pas contentés de penser que nous avions tort… ils ont agi comme si, en remettant en question la bulle Internet, nous commettions une sorte de péché. Ils nous ont maudits, nous ont traités d’idiots et se sont désabonnés de notre lettre.
Nous pouvons nous tromper bien sûr, et c’est souvent le cas… mais pourquoi s’en offusquer ? Personne ne connaît l’avenir. Nous essayons simplement de relier les points de l’histoire entre eux, et de tenter de deviner ce adviendra. Mais pour beaucoup de gens, la question de la bulle Internet était devenue très personnelle… et suscitait quelque chose d’émotionnel… Nous ne savons toujours pas exactement pourquoi, mais nous avons une hypothèse. En 1999, l’Amérique était au sommet de son art. Wall Street était en plein essor. Le budget fédéral était équilibré. Nous n’étions pas en guerre ; après la disparition de l’Union soviétique, nous ne faisions face à aucun ennemi sérieux.
Et pourtant, l’Américain moyen n’avait pas eu d’augmentation significative depuis un quart de siècle. Les riches, sur les deux côtes du pays, eux, s’enrichissaient de plus en plus. Mais au « cœur du pays », les hommes ont perdu des emplois bien rémunérés dans l’industrie manufacturière et s’étaient enfermés dans un cycle de désespoir, de drogue, de chômage et d’exclusion sociale.
Pourtant, l’Américain moyen n’avait pas eu d’augmentation significative depuis un quart de siècle. Les riches, sur les deux côtes, devenaient de plus en plus riches. Mais dans le « cœur du pays », les hommes avaient perdu des emplois bien rémunérés dans l’industrie manufacturière et s’étaient bloqués dans un cycle de désespoir, de drogue, de chômage ou d’emplois mal payés dans le secteur des services. Quelque chose ne tournait pas rond.
Ainsi, lorsque la révolution de l’information est arrivée… c’est comme si la porte d’une prison avait été soudainement ouverte. Et s’en est suivie la grande évasion. Les investisseurs se sont félicités les uns les autres… et ont acheté Webvan… Global Crossing… ou pets.com. C’était l’évènement qu’ils attendaient !
Éviter la grosse perte
Hélas, les détenus n’ont pas apprécié que nous leur annoncions qu’ils allaient bientôt devoir retourner dans leurs cellules. Ils ont réagi avec amertume.
Qu’est-ce que cela signifie ? Pourquoi s’acharner sur une prévision financière ?
Quoi qu’il en soit, cela nous a montré que la chute pouvait être encore plus importante que ce que nous avions prévu. Et finalement, après avoir augmenté de 800% entre 1995 et mars 2000, le Nasdaq s’est retourné à la baisse. Deux ans plus tard, il était presque revenu à son point de départ. En 2004, plus de la moitié des dot.coms avaient disparu. Fred Wilson, dont la société de capital-risque a financé de nombreuses start-ups, a perdu 90 % de sa fortune.
Nous avions incité nos lecteurs à acheter de l’or et à attendre la fin du marché baissier. L’idée n’était pas de gagner de l’argent… mais simplement de ne pas en perdre. La plupart des gens gagnent de l’argent grâce à l’épargne, et aux investissements accumulés tout au long de leur carrière. Ensuite, la pire chose qui peut leur arriver sur le plan financier est de subir une grosse perte. Passé un certain âge, il est très difficile de s’en remettre. A l’époque, comme aujourd’hui, notre principal objectif était d’éviter cette grosse perte.
La prochaine grande vague de mécontentement des lecteurs est survenue quelques années plus tard. Les Etats-Unis ont envahi l’Irak. Nous pensions que c’était une erreur, et nous l’avons dit.
Dans le livre de l’existence, l’avenir est toujours ce chapitre que nous n’avons pas encore lu. Mais la vie suit des modèles. Les grandes nations ont leurs jours de lumière et de gloire. Ce qui les plonge dans l’obscurité, c’est la combinaison d’une surcharge (guerre) et d’une surconsommation (manifestée par l’inflation ou le défaut de paiement). A l’époque, nous disions que les Américains feraient mieux de s’occuper de leurs propres affaires et d’équilibrer leur propre budget.
Pour de nombreux lecteurs américains, cela équivalait à une trahison. Ils ont été des milliers à nous quitter.
Dans ce cas, le sol sous nos pieds était moins solide. Nous ne parlions pas que de finance ou d’économie. Quelle était notre légitimité pour donner notre avis ?
Mais nous avons relié les points entre eux. Et ils commençaient à nous montrer à quel point l’association entre l’argent et le pouvoir pouvait être désastreuse. Tout nous montrait que les Etats-Unis avaient atteint leur apogée après 1999, que l’élite avait été corrompue par une richesse non méritée et un pouvoir débridé, et que les citoyens du pays avaient été intoxiqués par des médias de propagande, une fausse monnaie et (plus tard) des chèques de stimulus.
Le coût réel
Les autorités fédérales ont déclaré que la guerre contre l’Irak coûterait 75 milliards de dollars. Voici l’article datant de presse de 2003 :
« WASHINGTON (CNN) – Le président Bush a annoncé lundi aux principaux législateurs la première estimation du coût de la guerre contre l’Irak – environ 75 milliards de dollars, selon les membres du Congrès qui ont assisté à une réunion à la Maison Blanche. »
Cette estimation s’est avérée aussi proche de la vérité que l’allégation relative aux « armes de destruction massive ». Nous l’avions estimé à 1 000 milliards de dollars… et les gens ont dit que nous étions fous. Mais devinez quoi ? En 2020, des chercheurs de l’université de Boston ont estimé le coût total de la guerre à près de 2 000 milliards de dollars. Et après la débâcle de 20 ans en Afghanistan, l’université Brown a chiffré la facture finale de la guerre contre le terrorisme à 8 000 milliards de dollars… et près d’un million de morts.
Ce n’était plus une question « politique ». Ni uniquement de la politique étrangère. Les saints morts s’apitoyant sur leur sort, les Etats-Unis se sont engagés sur la longue route solitaire qui mène à l’inflation et à la guerre, mais surtout à la plus grande perte de l’histoire. C’est en dépensant que l’élite s’enrichissait. La guerre était nécessaire pour justifier les dépenses. L’argent a été « imprimé » pour couvrir les dépenses.
Les Etats-Unis ne disposaient pas de 8 000 milliards de dollars. Alors, elle a « imprimé » l’argent supplémentaire. Le Trésor a émis des obligations ; la Fed les a achetées avec de l’argent imprimé. Ce n’est pas tout à fait une coïncidence si le bilan de la Fed (les obligations américaines qu’elle détient) a augmenté de 1999 à 2021 d’environ 8 000 milliards de dollars.
Dès 2006, dans notre livre « Empire of Debt », écrit avec Addison Wiggin, nous avons envisagé l’avenir :
« A un moment donné, les dettes des Etats-Unis seront probablement incinérées par l’inflation. Lorsque les hurlements des consommateurs et des électeurs seront suffisamment forts, la Fed paniquera. »
C’est ce qui s’est produit trois ans plus tard.