Plus la gestion indicielle monte en puissance en Bourse, plus les échanges rétrécissent !
Malgré l’évidence d’un risque de stagflation durable, les cours des actions progressent depuis deux mois et les indices boursiers ont collectivement égalé ou amélioré à la marge leurs records absolus, à l’encontre de toutes les théories économiques communément admises, et notamment d’une étude portant sur 120 ans d’évolution des marchés réalisée par la London Business School et le Credit Suisse publiée en mars.
Elle démontre que la combinaison d’une croissance économique et d’une forte inflation ont conduit les actions à perdre annuellement 4,7% en moyenne, et les obligations, 9% (mesures faites en termes réels, sur la période 1900-2022).
La Fed oriente les flux
Rappelons qu’en 2022, les instruments obligataires (bons du Trésor comme émissions corporate) en ont perdu le double, ce qui a en grande partie détruit les ratios de solvabilité des banques américaines et, de facto, leur capacité de soutenir l’économie du pays. C’est ensuite là que la Fed s’est impliquée de façon encore plus intrusive dans le fonctionnement des marchés.
Elle s’est arrogée le privilège de changer les règles du jeu au gré des déboires des banques régionales et de l’emballement médiatique à ce sujet, en abolissant le « mark to market » pour valoriser les bons du Trésor qu’elle peut ainsi prendre en pension… non plus avec une décote de 20%, mais à leur valeur de remboursement théorique.
Ce qui rend dans le même temps les autres types d’émissions obligataires privées plus vulnérables, puisqu’une telle garantie de valeur de rachat – à n’importe quel moment de leur existence et quelles que soient les conditions de marché – n’existe pas.
Bien sûr, la Fed se retranche derrière des mesures à caractère exceptionnelles et… temporaires.
Mais si les mesures adoptées ont bien enrayé un chaos bancaire et boursier – soit un péril systémique, sans exagérer car tel était l’enjeu –, les intervenants prennent de plus en plus conscience que les dés sont pipés au-delà de toute mesure : après l’abolition du « risque » avec les « taux zéro » (post-Covid), voici venu le temps de l’abolition des règles prudentielles et de la « valeur marché ».
Les investisseurs ne font plus que de la figuration et en prennent acte : ils se contentent d’expédier les affaires courantes, c’est-à-dire allouer de la façon la plus rationnelle – dans un contexte d’irrationalité économique absolu – les liquidités dont les banques centrales les abreuvent, ce que les algos font de façon instantanée, à moindre coût, et de la façon la plus efficace.
La danse des algorithmes
Les fonds quantitatifs basés sur les algorithmes et (de plus en plus) sur l’Intelligence artificielle poursuivent leur montée en puissance : ce sont eux qui achètent des actions à un rythme soutenu, expliquant la bonne tenue des Bourses, en déconnexion complète avec le « contexte ».
Ils surperforment de plus en plus nettement les gérants discrétionnaires (sur 10 ans, ils ne restent que 1% à battre leur indice de référence).
Ces fonds détectent très rapidement toute nouvelle dynamique haussière sur l’ensemble des marchés, rentrent dans la danse dès les premières mesures et sans se poser de question.
Au bout de quelques jours, ils profitent de surcroît d’un « effet panurge » car les opérateurs les plus prudents se retrouvent piégés par l’absence – assez surréaliste – de consolidation avec la multiplication des séquences de « hausse funiculaire ». Ils finissent ainsi par devoir « courir après le papier »… et se ruer sur les mêmes titres qui ont pris l’ascenseur spéculatif que les « algos » ont ramassé dès l’origine sans l’ombre d’une hésitation.
Sur les trois derniers mois, les stratégies quantitatives « volatility control » (dérivées du VIX, sur lequel les banques centrales exercent justement un contrôle total) auraient drainé 72 Mds$ sur les actions américaines.
L’écrasement de la volatilité du VIX – opportunément retombée au plus bas depuis novembre 2021 – pousse les fonds quantitatifs à augmenter leurs investissements dans les actions.
Symétriquement, l’exposition aux actions des gérants discrétionnaires est au plus bas depuis un an.
Désertification boursière
Ce processus de marginalisation des gérants « avec un cerveau, de la culture économique, du sens de la mesure et des émotions » se traduit par un effondrement lent mais inexorable des volumes. Désormais, il n’est pas rare de voir des séances boursières où l’activité s’avère presque systématiquement inférieure à un creux de milieu de mois d’août (les échanges n’ont dépassé les 4,3 Mds€ qu’à une seule occasion ces deux derniers mois), alors que les indices enchaînent les records annuels ou absolus.
Vendredi dernier, la séance des « 3 sorcières » aura été marquée par seulement 3,27 Mds€ échangés malgré un CAC au zénith. Ce fut donc – croyez-le ou non – l’échéance mensuelle la moins active de l’histoire !
Les volumes auraient dû doubler mécaniquement en 15 ans sur le CAC 40 GR, compte tenu de son doublement depuis ses sommets de juillet 2007… mais ils ressortent inférieurs d’un bon tiers aux niveaux de l’époque, même en prenant en compte les « dark pools » et les ETF indiciels.
Cependant, ni le CAC 40, ni le DAX, ni l’Euro Stoxx 50 n’arrivent à casser franchement les résistances, la « participation » (en termes de titres négociés, appelée « breadth » dans le monde anglo-saxon) est ultra-faible et les achats ultra-concentrés sur une sélection de titres de plus en plus courte et dont les multiples ne cessent de s’envoler (dont Amazon qui affiche un PER de 280, Nividia de 180, Tesla de 50…).
Les analystes techniques appellent cela un « rising wedge », qui en dépit de sa consonance positive (il « monte ») est en réalité une configuration baissière, assez fréquente dans un marché baissier où les séquences de rachats paniques s’enchaînent, face à une hausse dont l’ampleur prend les opérateurs par surprise.
Nouveaux produits, ancienne idées
Le terme boursier de juin démarre donc sur des bases d’activité tout aussi faibles, marquant un désintérêt total pour le CAC ou d’autres indices européens de la part des gestions dites « actives », tandis que la gestion « passive » semble aux abonnés absents.
La gestion passive étend chaque jour et chaque semaine son emprise sur les marchés, tout en élargissant son spectre d’influence vers des actifs de plus en plus volatils.
Par exemple, cela fait tout juste un mois qu’a été lancé l’ETF « MSCI Digital Assets Select 20 ETP » (DA20) par ETC Group. Cet ETF agrège et reproduit la performance des 20 actifs numériques les plus importants en termes de capitalisation boursière, à commencer par le Bitcoin et l’Ethereum.
Etant donné les écarts de taille d’une cryptomonnaie à l’autre, ce DA20 couvre environ 85% de la capitalisation boursière totale du secteur, soit 1 000 Mds$ sur les 1 150 Mds$ de la totalité de ce marché.
Il s’agit en fait d’un ETF « inverse » du loyer de l’argent (plus les taux reculent plus les cryptos grimpent), mais aussi – et surtout – corrélé à la quantité d’argent en circulation : c’est en quelque sorte un ETF constituant un pari sur l’abondance monétaire, ce qui le fera ressembler de plus en plus à un banal ETF « actions »… les dividendes et la liquidité globale en moins.