Trois risques sont à prendre en compte cette année du côté des banques centrales, pour une bonne stratégie d’investissement. Le premier est un changement complet par rapport à l’ensemble de la période depuis la crise des subprime…
Une bonne stratégie d’investissement sur les marchés financiers ne doit pas ou plus reposer sur des scénarios macroéconomiques trop optimistes ou trop pessimistes, qui ne se réalisent jamais. Il ne sert à rien non plus de passer son temps à rechercher le scénario extrême qui ferait de vous un gourou.
Est-ce à dire qu’il faut investir les yeux fermés ? Evidemment que non. Ainsi, en 2023 – comme sans doute durant les prochaines années –, une allocation optimale devra être réalisée en tenant compte de trois configurations structurantes.
Causes de risques
1/ Construire sa stratégie sur la disparition progressive de l’aléa moral fourni par les banquiers centraux, c’est-à-dire la garantie absolue qu’elles aideront les marchés à se maintenir à tout prix. En effet, même si les banques centrales ne peuvent pas être totalement indifférentes aux effets de richesse négatifs provoqués par la baisse des indices boursiers et la hausse des taux, elles ne pourront plus garantir aux investisseurs une assurance inconditionnelle et systématique contre la baisse des marchés.
2/ Construire sa stratégie d’investissement doit conduire également à privilégier les actifs financiers qui continueront à profiter d’un environnement de taux réels négatifs. En effet, même si les taux nominaux se sont éloignés du zéro, les taux réels ne redeviendront pas positifs pour une longue durée comme le pensent beaucoup, car l’inflation structurelle forte persistera et, surtout, parce que les taux longs disposent d’un potentiel de hausse désormais limité.
3/ Enfin, et ceci s’inscrit dans le prolongement du point précédent, il faudra éviter les actifs fragiles. C’est certes un lieu commun que de l’écrire, mais au lieu d’anticiper l’inanticipable cygne noir, il s’agira plutôt de repérer des ruptures dans le monde de la finance. Comme par exemple la probable inflexion de la politique monétaire japonaise, laquelle pourrait conduire nombre d’investisseurs à déboucler d’énormes positions de yen carry trade [NDLR : l’emprunt de yen pour un rendement faible simplement pour les convertir en une autre monnaie permettant un meilleur rendement]. Ce mouvement pourrait affecter très négativement la valeur d’actifs financiers dits risqués (certaines actions, certaines obligations corporate bien notées et surtout celles à haut rendement, etc.). Nous verrons pourquoi et comment.
Nous allons passer ces trois points en revue. Mais avant cela, revenons sur l’inutilité des prévisions macroéconomiques.
L’absurdité des prévisions
Je ne comprends toujours pas cette incapacité volontaire ou pas d’anticiper. Sans doute faut-il en chercher la raison principale dans ce que l’on appelle l’absence de diversité cognitive : « Une fois qu’une croyance commune se forme, celle-ci est tellement répétée et relayée par les médias sans jamais entendre un avis contraire. N’oublions pas que lorsque tout le monde pense la même chose, plus personne ne pense », comme certains l’ont déjà expliqué dans La Chronique Agora.
Il y a donc cette absence de diversité cognitive qui dénaturent les prévisions, mais il y a également des biais cognitifs :
- certains sont systématiquement optimistes, généralement parmi ceux qui ne pratiquent ou n’observent les marchés que depuis 2010 en se reposant sur l’aléa moral que les banques centrales ont installé jusque fin 2021, en tant qu’acheteuses de titres et prêteuses de liquidités en dernier ressort ;
- d’autres sont systématiquement pessimistes et anticipent en permanence des krachs. Rappelons quand même que si des krachs sont annoncés pour un oui pour un non, non seulement la crédibilité de ces annonces est de plus en plus réduite, mais aussi que les investisseurs, spéculateurs et autres agents économiques privés seront tellement préparés financièrement et psychologiquement que ces catastrophes ne se produiront pas.
Comment investir après la fin du put des banques centrales ?
Entre 2009 et 2021, les investisseurs, quelle que soit leur expertise, leur expérience et leur professionnalisme, ont été durant l’exercice de leurs fonctions, protégés par ce que l’on a appelé le put des banquiers centraux. C’est-à-dire que ces derniers ont été très réactifs pour assouplir le crédit en période d’aversion au risque ou de rechute de la conjoncture, mais par contre très réticents à mettre en place de réels cycles de durcissement de la politique monétaire, en tout cas jusqu’à ce qu’ils comprennent que l’inflation n’avait rien de transitoire.
Pourquoi employer le terme de « put » ? Lorsque vous êtes vendeurs de put sur un actif financier à un niveau de prix déterminé, cela signifie que vous pariez sur l’impossibilité que cet actif descende en dessous de ce prix. En d’autres termes, ce put implicite des banquiers centraux était une assurance implicite mais inconditionnelle que la baisse des marchés ne serait pas permise, et il a conduit à des comportements d’investissement irresponsables et exubérants.
C’est alors que le monde des marchés financiers s’installa dans l’aléa moral, en pariant sur l’existence éternelle du put des banquiers centraux et sur l’abolition des krachs d’actifs financiers durables. Même l’existence d’un cygne noir comme la pandémie n’aura ébranlé que quelques jours, en mars 2020, les actifs risqués. Mais c’était oublier les fondamentaux et le retour d’une inflation structurelle, avec la mise en place de cycles de resserrement monétaire plus ou moins restrictifs ici ou là.
Le problème est que cette situation est inédite car, cette fois-ci, les banques centrales doivent être particulièrement attentives à la gestion de l’arbitrage suivant : lutte contre l’inflation tout en évitant de créer les conditions d’une violente crise financière provoquée par un deleveraging (ou désendettement « forcé » de nombreux acteurs financiers).
L’exemple récent de la crise des fonds de pension britanniques en septembre 2022 n’est sans doute qu’un épisode d’une longue série de deleveragings coûteux. Nous avons eu à cette occasion la preuve qu’il était difficile pour les marchés financiers de se sauver par eux-mêmes et à quel point l’aléa moral pouvait revenir très rapidement sur le devant de la scène, avec la fonction de sauveur en dernier ressort.
Dans cet exemple, la dégradation brutale des perspectives budgétaires du Royaume-Uni provoqua à juste titre un violent krach des Gilts (les emprunts d’Etat britanniques). Une chute qui a très vite menacé la solvabilité des fonds de pension et donc la retraite de millions d’épargnants. Du moins, jusqu’à l’intervention de la Bank of England.
Mais voilà : le contexte d’inflation persistante, des taux encore trop bas ou même encore négatifs (en raisonnant en taux réels comme on doit le faire comme nous le verrons plus bas) et une liquidité banque centrale encore anormalement abondante ne permettront plus à l’aléa moral de fonctionner.
En fonction des enjeux politiques et sociaux, il y aura des choix et donc des sacrifiés. Ainsi, si tel ou tel accident de marché ou faillite n’a pas de conséquences systémiques, les banques centrales n’interviendront plus. Attention donc à ne pas être trop exposé à des actifs financiers qui ne bénéficieront plus du soutien des banques centrales. Que ce soit avec la fin des mesures non conventionnelles ou, a fortiori, avec l’absence de dispositifs exceptionnels même « temporaires » lors de krachs de ces actifs.
Dans le prochain article, nous verrons les deux autres dangers auxquels l’allocation d’actifs en 2023 doit faire attention : la surpondération des actifs réels, et le risque japonais.
1 commentaire
Il y a bien longtemps que je ne suis pas rentré dans votre site.
C’est avec plaisir que je reviens vers vous