Les marchés célèbrent la baisse des taux obligataire avec une hausse phénoménale des actions depuis quelques mois. Mais quelle baisse des taux ?
Beaucoup de visages rayonnants de bonheur sur BFM ce vendredi 13 janvier : oubliez les superstitions, des vendredi 13 comme celui-là, les investisseurs et les gérants en redemandent.
Il est venu couronner la première quinzaine la plus haussière de l’histoire pour les places européennes et les principaux indices américains.
Quel feu d’artifice ! Le S&P 500 à 4 000 points en clôture, le DAX à 15 000, notre CAC 40 à 7 000 et un CAC GR à presque 21 000. Soit trois fois plus, alors qu’ils furent tous deux crées le 31 janvier 1988 sur une même base de 1 000 points – mais le second agrège les dividendes distribués.
A ce niveau, le CAC GR ne se contente pas d’effacer en 10 séances la totalité de ses pertes de l’année 2022 (7,2%) : il surpasse même de 1,4% ses niveaux de fin 2021.
Le paradoxe des optimistes
Avec 8,6% gagnés depuis le 1er janvier, il intègre déjà 90% de la performance espérée cette année chez les stratèges les plus optimistes, c’est-à-dire ceux qui valident le scénario d’une récession courte et modérée. Enfin, une récession tout de même, donc un recul de 4 à 8% des profits distribués, ainsi qu’une inflation toujours très au-dessus de la moyenne du XXIème siècle, et à des années lumières de la norme des 2%.
Pour des stratèges plus pessimistes, 2023 sera une année à oublier pour les actionnaires. Ceux-ci verront en effet d’un côté baisser leurs revenus, tandis que, de l’autre, la « prime de risque » ne fera qu’augmenter… au profit des placements monétaires qui permettront d’engranger le double du rendement du S&P 500, tout en dormant sur leurs deux oreilles.
Qui irait tenter de gagner 2% via des dividendes en risquant d’en perdre 20 ou 30 en cas de krach, alors qu’il suffit d’acheter des bons du Trésor de maturité courte pour encaisser 4,7% sur l’année – sans risquer de perdre le moindre dollar – avec une obligation d’Etat américaine à 12 mois, et même 4,25% d’ici janvier 2025 sur celle à 2 ans ?
Vous seriez tenté de répondre « personne de sensé », et c’est probablement ce que se disaient déjà 90% des investisseurs le 1er octobre dernier, quand ces mêmes obligations à 2 ans atteignaient déjà un rendement de 4,25%.
Cela montre bien que l’explication « les marchés reflètent la baisse des taux depuis 3 mois » ne tient que partiellement la route.
L’autre référence, les bons du Trésor à 10 ans, se sont en revanche bien détendus depuis le 2 octobre. Mais de 30 à 35 point seulement, ce qui n’est tout de même pas très spectaculaire, et insuffisant pour expliquer les 20% de hausse du Dow Jones dans l’intervalle.
A la recherche d’une explication
Cependant, c’est en Europe que le télescopage entre les discours sur un avenir radieux côté taux d’intérêt, la réalité sur l’obligataire et l’emballement haussier des actions est le plus choquant : le 28 septembre dernier, le « Bund 2032 » offrait 2,20% de rendement quand le DAX était au tapis à 11 862 points.
Trois mois et deux semaines plus tard, voici que le « Bund 2032 » offre toujours 2,20% de rendement… mais le DAX a repris 27,5% ! L’une des plus fortes hausses en trois mois de l’histoire, rien que cela…
L’explication de ce rally est récitée quotidiennement comme un mantra depuis 3 mois : l’inflation a atteint son point haut en septembre, le point d’inflexion a été atteint et le scénario d’une future baisse des taux peut s’enclencher.
Dans cette perspective, les actions qui ont beaucoup baissé sont le placement le plus porteur.
Du coup, peu importe que les taux – comme vous pouvez le vérifier – ne baissent pas encore : le marché achète l’avenir, tout le monde le sait, et cet avenir est bien moins noir que ce que la majorité des investisseurs prévoient.
La guerre en Ukraine pourrait bien cesser plus vite que nos diplomates le pensent et cela donnerait un puissant coup de fouet à l’Europe.
N’attendez pas une démonstration circonstanciée : la guerre a fait baisser les marchés (le CAC 40 se situe pourtant déjà 4% au-dessus de son niveau d’avant son déclenchement), donc la paix les fera exploser à la hausse. C’est un postulat… donc ça ne se discute même pas.
En attendant la tempête
Le constat aujourd’hui, c’est que celui qui n’achète pas l’après-guerre – alors qu’aucune paix n’est encore en vue –, qui n’achète pas la baisse des taux – alors qu’ils n’ont même pas fini de grimper –, et qui n’achète pas la hausse des dividendes en 2024 – alors qu’ils vont baisser en 2023 – se retrouve comme un idiot, obligé de courir après le score, de payer le prix fort… ce que n’hésitent pas à faire ceux qui suivent la tendance sans se poser de question depuis le 2 janvier.
« Tant que l’orchestre joue, alors on danse », comme dirait Jamie Dimon, le patron de JPMorgan. Notons qu’il vient de retourner sa veste : l’ouragan qu’il voyait poindre à l’horizon pour l’économie américaine en 2023 se transformant en une « tempête parfaite » à Wall Street avec la chute de 20 à 30% des indices n’aura donc pas lieu.
Les 20% repris par le Dow Jones qu’il n’a pas vu venir l’obligent à se ranger à l’avis de ceux qui prévoient une récession « courte et modérée » cette année, avant une vigoureuse reprise en 2024, l’inflation étant terrassée et les taux se détendant rapidement.
Je ne résiste pas à la tentation de vous soumettre cet autre aphorisme impérissable de Jamie Dimon, bien de circonstance alors que tous les regards sont braqués vers le Forum Economique Mondial de Davos : « C’est l’endroit où les milliardaires disent aux millionnaires ce que ressent la classe moyenne. »
Plus surprenant, en ce début 2023 : l’euphorie boursière se propage au secteur des cryptomonnaies. Le Bitcoin vient d’engranger 21,5% en une semaine, et plus de 26% depuis le 1er janvier.
Les investisseurs semblent succomber à une fièvre acheteuse irrésistible : oui il faut acheter, et vite, car le train de la hausse n’attend pas !
La véritable locomotive – puisque ce n’est ni la paix, ni la baisse des taux, ni la hausse des dividendes – c’est l’euro. Voici la monnaie unique revenue au-dessus des 1,0850 face au dollar, lui qui avait enfoncé la parité et menaçait les 0,9550 fin septembre.
Cela fait 13,5% repris… soit exactement 50% de la performance du DAX et 56% de celle du CAC 40 (24%). Eh bien voilà, nous tenons l’explication « mécanique » de la moitié de la performance des indices européens !
Du coup, il ne nous manque plus que l’autre moitié. Et, en cherchant bien du côté des « algos », on va finir par trouver.
Mais attendez… Quelqu’un peut-il justifier cette hausse de l’euro, moins bien rémunéré que le billet vert et monnaie d’une zone devenue non concurrentielle pour cause de flambée des coûts de l’énergie et qui s’enfonce dans les déficits ?
De plus, en quoi le rebond de l’euro constitue-t-il un avantage pour nos entreprises cotées : la majeure partie de la hausse (apparente) de leurs bénéfices en 2022 – si l’on excepte ceux de Total – s’expliquait justement par la forte appréciation du Dollar au cours des neuf premiers mois de l’année ?
Au Japon, la forte remontée du yen provoque l’effacement en 48 heures de tous les gains du Nikkei depuis le 5 janvier : combien de temps l’Europe va-t-elle surfer sur la prise à contrepied de tous les mécanismes de détermination du prix des actifs boursiers ?
Combien de temps va encore durer cette « grande inversion » ?