Le nombre d’emprunteurs qui seront incapables de rembourser dans les temps les dettes souscrites durant le Covid est encore inconnu. Ce qui est sûr, c’est que ces PGE représentent un risque systémique.
L’enfer économique est pavé de bonnes intentions étatiques.
Une nouvelle fois, une mesure de solidarité prise dans l’urgence se transforme en véritable bombe à retardement financière. Les prêts garantis par l’État (PGE), qui avaient pour ambition de lisser les conséquences néfastes des mesures sanitaires prises en 2020 et 2021, s’avèrent être un fardeau pour les entreprises qui y ont fait appel.
Les difficultés de remboursement se multiplient au point de menacer la survie des souscripteurs, et font désormais peser une menace significative sur l’équilibre des finances publiques.
Temporiser n’est pas soigner
Prétendant compenser les effets économiquement délétères des confinements, fermetures de frontières, couvre-feux et autres interdiction d’exercer, le gouvernement a mis en place durant la pandémie un mécanisme ultra-généreux de financement.
Avec des critères d’attribution très larges, les entreprises pouvaient obtenir auprès de leur banque un prêt couvert à 90% par l’État pour un montant pouvant atteindre 25% du chiffre d’affaires. Cette dette devait ensuite être remboursée durant six ans. Le succès a été au rendez-vous, puisque plus de 700 000 entreprises ont fait la demande.
Le pari était de faire de l’État un apporteur de liquidités de court terme, et que les entreprises rembourseraient leur emprunt avec les bénéfices futurs. Dans le cas d’une crise en V, avec un rebond d’activité aussi rapide et important que la chute initiale, cette stratégie aurait pu porter ses fruits.
C’était ignorer le fait que les dégâts économiques causés par les mesures sanitaires étaient pour beaucoup irrattrapables. Il était évident que l’activité des restaurateurs n’allait pas doubler entre 2022 et 2024 pour rattraper deux ans de marasme entre 2020 et 2022. Se priver de restaurant durant deux ans ne permet pas de manger six repas par jour par la suite.
Il en est de même pour les visites chez le coiffeur, ou les déplacements en taxi… en réalité, de nombreuses activités de services sont concernées par cette inélasticité temporelle de la demande. Il en est de même pour certaines activités industrielles où le creux de consommation entre 2020 et 2022 n’a jamais été comblé.
Or, les entreprises qui faisaient appel au PGE étaient par définition les plus faibles. A part quelques souscriptions opportunistes, celles qui ont eu besoin de la solidarité de l’Etat pour survivre malgré le déluge de subventions étaient celles dont l’activité était déjà à la limite de la rentabilité.
En sortie de crise sanitaire, elles ont donc retrouvé – au mieux – une activité peu rentable… tout en ayant une dette supplémentaire à rembourser.
Le mur de la dette Covid s’approche
Selon la Cour des Comptes, les petites entreprises représentent 90 % des bénéficiaires des PGE. S’ajoutant fréquemment à une dette envers l’URSAFF, les mensualités de remboursement représentent jusqu’à 9 % du chiffre d’affaires – un montant intenable pour des structures dont la marge brute est parfois inférieure à ce chiffre.
Selon l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, près d’un quart de ses adhérents serait en difficulté pour rembourser le PGE.
Or, les solutions manquent. La CPME demande un étalement de la dette du PGE sur dix ans, ce qui revient à décaler simplement le problème dans le temps. D’autant qu’une révision généralisée des échéanciers pourrait conduire l’Europe à considérer les PGE comme une aide d’Etat, nous mettant ainsi en porte-à-faux par rapport à nos engagements.
Pour accompagner les dossiers les plus faibles, un mécanisme a été mis en place pour les entreprises dont le PGE ne dépasse pas les 50 000 €. Elles peuvent saisir la médiation du crédit pour obtenir un étalement de dette sur quatre exercices supplémentaires, atteignant ainsi les 10 ans d’étalement de la dette au total. Mais l’opération n’est pas anodine, puisqu’elle est considérée comme un défaut de paiement, ce qui obère la capacité de l’entreprise à demander des financements par la suite.
Et, même pour les entreprises qui se placent en défaut, il s’agit d’une fuite en avant : lorsque le cash-flow issu de l’activité ne permet pas de rembourser la dette sur six ans, il y a peu de chance qu’il parvienne à le faire en dix ans.
Le piège des aides d’Etat
C’est une vérité que nos décideurs n’arrivent pas à intégrer – ou feignent d’ignorer : en matière économique, une garantie étatique ne fait qu’interposer la solidarité nationale entre le prêteur et l’emprunteur.
Les prêts garantis par l’Etat ne font que retarder dans le temps la confrontation entre l’emprunteur et le créancier. Comme nous l’avons vu ci-dessus, l’échec de cette stratégie était écrit d’avance : par définition, les entreprises aux abois ne sont pas celles qui peuvent dégager des marges sans évolution significative du contexte macro-économique.
Reste alors la solution du défaut généralisé avec matérialisation de la garantie de l’Etat. Cependant, même si Bercy se résout à cette extrémité, le poids économique du PGE ne sera pas réglé.
Dans le meilleur des cas, un défaut couvert par l’Etat rend certaines cigales solvables en hypothéquant une part de la richesse des fourmis-contribuables. Parce que la solidarité nationale ne se décide pas individuellement à l’échelle des acteurs économiques, il s’agit d’un transfert de richesse des contributeurs au budget de l’état vers ceux dont les poches sont percées. Dans le cas des emprunts d’entreprises, l’intérêt de favoriser la survie des moins solvables d’entre elles peut se discuter… mais reconnaissons au moins à ce mécanisme un effet redistributif (en laissant de côté son utilité sociale).
Mais dans le cas du PGE, au vu du nombre de prêts ouverts et des encours, impossible de jouer sur la mutualisation du risque pour demander au grand nombre de payer pour quelques bénéficiaires dans le besoin. Ce ne sont pas les 140 000 PME, 6 000 ETI et 250 grandes entreprises que compte notre pays qui vont pouvoir rembourser les 700 000 PGE encore ouverts. A l’échelle des entreprises françaises, le PGE est un risque systémique : son poids est non-négligeable même rapporté à l’ensemble des acteurs.
Lorsque tout le monde doit payer pour tout le monde, c’est le principe-même de redistribution qui devient caduc. L’Etat se retrouve dans la même situation que celle du bouclier tarifaire énergétique qui consistait à faire payer 34 millions de foyers fiscaux pour financer le carburant de 38 millions de véhicules… avec le résultat économique que l’on sait.
Pour absorber les 206 Mds€ mobilisés pour les entreprises durant le Covid, ces dernières étant loin d’être capables de rembourser leur propre dette, l’Etat devra prendre une douloureuse décision et transférer la charge sur d’autres agents économiques. Ce sont in fine les contribuables d’aujourd’hui qui payeront la note, par l’impôt ou l’inflation. Ou bien ceux de demain, si la dette des entreprises est transformée en dette d’Etat de long terme.
Comme anticipé, et malgré les dénégations de Bercy qui voyait dans les aides aux entreprises un dispositif macro-économiquement bénéfique, il s’agissait bien d’une dépense majoritairement irrécouvrable pour le pays. Les faillites n’ont pas été évitées : elles ont été retardées avec de l’argent qui n’existait pas.
Avec les premiers défauts, il n’est plus possible pour nos dirigeants de le nier. Il faut maintenant l’assumer et décider qui règlera l’addition.