Nous sommes au cœur de la problématique financière ou monétaire, à savoir que la monnaie n’a pas de garant dans le présent : son garant c’est une certaine idée de l’avenir.
Dans mes chroniques, j’aborde souvent la question de l’argent de façon radicale ; mais jamais je n’avais creusé cette radicalité aussi loin.
Jamais je ne l’avais insérée aussi profondément dans le mouvement de nos sociétés vers l’immatérialité avec toutes les conséquences que cela comporte.
La question de l’inflation n’est qu’un point de départ, j’ai tiré sur le fil et tout est venu !
Ce n’est presque qu’un prétexte pour vous parler d’argent. De l’argent Moderne qui peu à peu s’est mis en place après 1971. Personne n’a voulu ou même entrevu ce qui allait se passer ensuite, tout est venu par la logique interne du système désancré qui a été mis en place.
L’argent Moderne constitue l’entrée de la monnaie dans la Modernité
La monnaie était presque en retard dans le mouvement de la Modernité. Elle était obsolète, très à la traîne par rapport aux mouvements de la Modernité enregistrés dans les arts, la culture, la linguistique, l’anthropologie, la sémiotique, la vie quotidienne etc.
La Modernité sépare, la Modernité rend le monde abstrait, elle libère du naturel, elle envoie en l’air. Magiquement, les ombres se détachent des corps et les rendent autonomes. Au lieu d’être déterminées par les forces du réel existant, ces ombres se meuvent en fonction de leur combinatoire, de leur grammaire, de leur « logique » en tant que discours. La logique du discours, la rhétorique, n’est pas celle du monde réel.
La logique du discours de Macron n’est pas celle du monde réel, non ; c’est celle qu’il a tracée dans le roman qu’il s’est inventé et qu’il nous impose. Et qu’il est obligé de conserver. L’ordre du réel et l’ordre des « représentations », ce sont deux ordres différents. C’est, selon moi, l’essence de la Modernité, que cette séparation des deux ordres que l’on voit à l’œuvre dans la Wokenisation et dans l’Orwellisation accélérées en cours.
L’image du candidat aux élections devient le déterminant des choix, il n’a plus besoin de programme ou même au stade actuel de promesses crédibles.
Pour vous donner un exemple que tout le monde peut comprendre :
En 1971, l’argent a connu une véritable métamorphose, et personne n’en a tiré les conclusions ou les conséquences. Ainsi, la métamorphose de la monnaie a permis d’émettre autant de dettes que les pouvoirs le voulaient et autant que les sujets pouvaient en absorber. Je devrais dire « gober ». Comme on gobe un mensonge.
Cette croissance vertigineuse des endettements n’a pas été sans conséquence sur le statut des valeurs mobilières : elles sont devenues des avatars de la monnaie, des sortes de transformations alchimiques, des transmutations qui les ont libérées elles aussi du poids des valeurs fondamentales. Elles les ont fait entrer dans le champ du désir, l’infini des désirs d’accumuler et de spéculer.
Ceci n’est pas un pouvoir d’achat
De la même façon que l’artiste escroc vous présente une pissotière et vous dit « ceci est une œuvre d’art », les autorités, les grands prêtres charlatans vous présentent le vide, l’espoir, une pure promesse et vous disent « ceci est un pouvoir d’achat, une valeur cristallisée » !
Personne ne semble avoir étudié le miracle de 2020, qui a permis de créer 19 milliers de milliards de « valeur », ou celui de la déflation de sens inverse de 2022, qui vient de retirer 5 milliers de milliards au portefeuille mondial !
Personne ne s’étonne de la disproportion entre les chiffres budgétaires et fiscaux qui tournent par minables milliards, et les masses monétaires et quasi monétaires qui vont, viennent et se déplacent ou s’envolent au paradis de la monnaie par milliers de milliards.
La réalité, c’est que c’est un autre monde qui est là sous nos yeux, et qu’aucune théorie n’en rend compte.
En 1971 l’argent s’est libéré, dématérialisé, déréférentialisé. Il est entré de plain-pied dans la Modernité, dans la pure abstraction, il a quitté la nature et est devenu purement social.
La dématérialisation semble assez bien assimilée, car elle est du domaine des évidences quotidiennes.
C’est la fin de la finitude
La déréférentialisation l’est beaucoup moins, car elle ne se donne pas à voir, il faut la penser, la conceptualiser.
La première conséquence de la déréférentialisation, c’est la libération de l’ancienne finitude. On ne manque plus jamais d’argent, c’est ce que constatent les gauches politiques du type Mélenchon : pourquoi se priver de l’argent ? Il y en a ! Il n’y a plus d’énergie, mais il y a de la monnaie en quantité illimitée ! C’est dans ce rapprochement que l’on mesure à quel point la Modernité de l’argent le détache de la nature.
Mais il y a plus complexe à assimiler : si l’agent est déréférentialisé de la nature, du travail, et du présent, alors cela signifie qu’il repose entièrement sur une promesse, c’est-à-dire sur l’avenir.
L’argent moderne repose sur une simple dynamique, comme par exemple la valeur des actions en bourse qui repose non sur la valeur fondamentale mais sur le momentum boursier. Donc sur la croyance qu’il y aura plus con que soi qui va venir acheter plus tard.
Nous sommes au cœur de la problématique financière ou monétaire, à savoir que la monnaie n’a pas de garant dans le présent. Son garant, c’est une certaine idée de l’avenir.
La monnaie et tous ses avatars, toutes ses formes dérivées reposent sur le différé ! Le présent disparaît, oublié et est remplacé par ce qui est imaginé comme avenir.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]