Alors que des milliardaires russes voient leurs villas et yacht saisis par des gouvernements occidentaux, la question se pose de savoir si ce genre de sanctions aura le moindre impact économique en Russie.
Les super-riches russes, pour la plupart enrichis grâce aux Chicago boys qui ont pillé la Russie du temps d’Eltsine, ont massivement augmenté leur richesse pendant la pandémie de Covid-19.
Appelés « oligarques » en Occident car c’est plus méprisant, ces milliardaires ont la part la plus élevée de la richesse par rapport au PIB de toutes les grandes économies du monde, à environ 34%, suivis de près par la Suède « sociale-démocrate » (29%), puis l’Inde (19%), les États-Unis (18,5%) et la France (17,5%), d’après les données du Financial Times.
Comme ceux d’autres pays, les milliardaires Russes exportent et cachent une partie de leur richesse dans des paradis fiscaux, et achètent également des biens et des actifs à l’étranger. Ils sont plus voyants que les milliardaires dynastiques car ce sont des nouveaux riches, pas encore habitués à la sous-ostentation et au minimalisme.
Des milliards à l’étranger
Leur richesse « offshore » est ainsi bien plus élevée que celle des autres groupes de milliardaires, à environ 7% de la richesse totale des ménages russes, contre par exemple 1% pour les milliardaires français (selon des données datant de 2018).
Pendant que leurs actifs sont listés et saisis par des gouvernements occidentaux, cependant, le commerce de l’énergie doit se poursuivre, la Russie fournissant toujours 25 à 30% de l’approvisionnement énergétique européen.
Cela dit, le pays n’est pas dépendant des financements extérieurs. L’excédent du compte courant de la Russie est passé de moins de 2% du PIB en 2014 à environ 9% en 2021, laissant des réserves substantielles d’épargne excédentaire qui peuvent être exploitées en cas de besoin.
Le secteur public au sens large, y compris la Banque centrale de Russie (CBR), le secteur des entreprises et le secteur financier sont des créanciers extérieurs nets.
La CBR dispose de plus de 630 Mds$ de réserves libellées dans plusieurs devises, suffisamment pour sauvegarder les trois quarts de la masse monétaire nationale, il ne serait donc pas nécessaire d’imprimer des roubles pour financer l’activité économique.
Une dépendance moins forte au dollar
Les entreprises russes et le gouvernement se sont préparés à d’éventuels chocs futurs tels que la perte de l’accès au dollar et son utilisation dans les transactions commerciales et financières a déjà fortement diminué.
Le ministère des Finances ne détient plus d’actifs libellés en USD dans son fonds pétrolier et la CBR a également réduit de moitié la part du dollar dans ses réserves, à environ 20%. En parallèle, l’euro, et dans une moindre mesure le renminbi chinois, sont devenus des alternatives privilégiées.
La question est de savoir cependant où sont ces réserves en ce moment et leur disponibilité. D’après des chiffres datant de juin 2021, 13,8% des réserves de la CBR seraient en Chine, 12,2% en France, 10% au Japon, 9,5% en Allemagne et 6,6% aux Etats-Unis, notamment. Selon ces données, les pays Occidentaux qui ont déjà sanctionné ou annoncé des sanctions envers la Russie pourraient bloquer l’accès à environ la moitié de ces réserves.
De nombreuses entreprises et banques russes incluent désormais régulièrement dans leurs contrats des clauses stipulant l’utilisation d’une autre devise pour le règlement au cas où l’USD ne pourrait pas être utilisé. La Russie a également accéléré l’utilisation de ses propres cartes de paiement, comme Mir, ainsi que de son propre service de messagerie pour le transfert de messages financiers (SPFS).
Mon avis est que la question du sort des oligarques est sans grand intérêt, même si elle est spectaculaire, tout comme leurs yachts et leurs clubs de football.
Qui profite des sanctions ?
La vraie question s’agissant de la Russie et des sanctions n’est même pas économique, mais elle est systémique, organisationnelle.
La centralité de la Russie dans les affaires mondiales modernes est évidente. Poutine est un leader de transition, certes, mais il donne un coup d’arrêt non seulement à l’expansion de l’OTAN mais aussi à la progression vers le monde hégémonique des capitalistes financiers unilatéralistes. De plus, en pratique les oligarques sont des ennemis de la Russie, car ils financent et entretiennent une partie du monde occidental.
Le consensus que Poutine a construit à l’intérieur de la Russie ne durera peut-être pas après son départ, mais nous ne pouvons pas nier le fait qu’aujourd’hui, la Russie est au cœur de la politique mondiale et qu’il envoie une terrible onde de choc.
Les sanctions des pays de l’OTAN doivent être interprétées comme des mesures qui ne sont optimum que dans le court terme car elles sont comme les célèbres Piles Wonder : elles s’usent si l’on s’en sert.
Dans le domaine économique, je suis d’avis que le grand gagnant de ce conflit est la Chine. Ainsi par exemple, couper la Russie de SWIFT ne fera qu’accélérer le projet de la Chine de défier les États-Unis sur le front financier.
La Chine va énormément apprendre et pouvoir se préparer grâce à Poutine, qui joue ici le rôle de poisson pilote.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]
2 commentaires
Les impacts économiques n’auront jamais raison d’une politique décidée, surtout que celui qui est visé perdrait la face. Le véritable objectif est que les oligarques renversent Poutine pour récupérer leurs avoirs, les sanctions générales ayant le même but, que la population lance une révolution de couleur.
En résumé les occidentaux savent bien que l’impact direct est sans intérêt, il recherche un impact indirect
L’impact sera probablement inverse, à l’image de la filière Porc, où la Russie est devenue autonome, au lieu d’acheter en France.
Notre avantage, c’est qu’il y aura une concurrence à Swift, à Visa, à Mastertcard; etc, et la concurrence, c’est toujours bon.