Les gens s’élèvent parfois contre les GAFA, ces sociétés géantes des nouvelles technologies qui semblent dominer leurs secteurs. En pratique, leur capitalisme monopolistique est bien critiquable, mais pourrait leur permettre de changer les règles de l’investissement…
Dans notre article d’hier, nous avons fait le constat que le capitalisme est dévoyé tout à la fois par l’existence de fortes rentes de monopole chez les GAFA, et par le maintien de rentes monétaires protégées par l’aléa moral fourni par les banques centrales.
Ces deux types de rentes ont permis aux actions des GAFA d’atteindre des records, et en même temps garantissent que la rechute est presque impossible.
En parallèle, nombre de syndicalistes et d’hommes politiques vilipendent quotidiennement le capitalisme dans son ensemble, mais il est facile d’être confus : de quel capitalisme parlent-ils, et duquel parlons-nous ?
Deux critiques du capitalisme
Nous ne critiquons pas le capitalisme pour les mêmes raisons.
Pour ces figures publiques, les raisons sont en général purement idéologiques. Elles considèrent que les bases d’une société sont fondées sur l’égalitarisme et la distribution.
Comme l’affirme l’économiste américain Thomas Sowell, cela n’a aucun sens :
« Malgré une littérature aussi abondante que fervente sur la ‘distribution des revenus’, le fait est que la plupart des revenus ne sont pas distribués, mais gagnés. »
Mais aussi :
« La première leçon de l’économie est celle de la rareté : qu’on n’a jamais assez de tout pour satisfaire entièrement les besoins de chacun. Et, en politique, la première leçon est de ne pas tenir compte de la première leçon de l’économie. »
Pour ma part, ma critique porte sur les dérives du capitalisme monopoliste, qui est par essence inefficace et injuste. Ce n’est pas le libéralisme ou capitalisme qu’il faut combattre, ce sont ses dérives, et ceux qui en sont à l’origine, donc les GAFA et les banques centrales, pour l’essentiel.
Malheureusement, peu de responsables politiques vont tenter de faire comprendre aux « pauvres » que ce n’est pas le libéralisme qui les empêchera de devenir riches, mais cette dérive vers ce capitalisme monopoliste.
Ces mêmes politiques n’essayeront pas plus de faire accepter aux « riches » qu’une gestion aventureuse et mal maîtrisée peut menacer de les ruiner avec des krachs et des faillites (cela rappellera la fameuse « moralisation du capitalisme » dont les dirigeants politiques parlaient tant après la crise financière de 2008).
Et ils n’envisageront pas plus encore de faire accepter aux investisseurs qu’il est sain et naturel que le vrai libéralisme les punisse de leurs erreurs, en décrétant la fin de l’aléa moral qui dirige les marchés financiers depuis près de 10 ans.
Peu de gains de productivité
Nous avons vu jusqu’à présent que les GAFA étaient extrêmement (pour ne pas dire anormalement) rentables, compte tenu de taux de marge qui croissent continûment avec leur situation monopolistique.
De manière très contre-intuitive, les GAFA ne permettent cependant pas d’enrayer la chute de la productivité dans les économies. Cela est sans doute justement dû en partie aux rentes de monopoles, qui n’encouragent pas le développement de nouvelles innovations.
Mais cela est aussi lié au fait que l’économie numérique n’a souvent besoin que de quelques compétences très pointues, et est surtout créatrice d’emplois peu qualifiés (les fameux emplois « ubérisés »). Des emplois certes socialement utiles, et en première ligne dans les périodes difficiles, mais qui dégagent très peu de gains de productivité : un chauffeur Uber n’est pas particulièrement plus efficace par nature qu’un chauffeur de taxi (tout comme une Tesla par rapport à une Renault).
Notez de plus que, si le monde économique est caractérisé par des innovations de plus en plus nombreuses et de plus en plus sophistiquées, celles-ci sont très souvent le fait de start-ups qui ont de grandes chances d’être absorbées directement ou indirectement par ces puissances technologiques, qui décideront après coup d’intégrer ou pas ces innovations dans leurs services existants.
Quelle est l’utilité économique et sociale des GAFA ?
En somme, très rentables mais pas forcément génératrices de gains de productivité, les GAFA sont-elles des entreprises utiles ?
Dès lors que l’on parle d’utilité, on ne peut que faire référence aux révolutions dans l’histoire économique. Et force est de reconnaître que ces puissantes entreprises du secteur technologique sont bien les principaux protagonistes d’une révolution.
Si l’on se regarde le chemin de fer, l’automobile ou encore l’informatique, il faut rassembler plusieurs éléments pour pouvoir passer d’une simple évolution à une révolution.
Tout d’abord, il faut que l’on assiste à des innovations de rupture. Sur ce sujet, les GAFA sont à l’origine de véritables changements disruptifs qui ont envahi (le terme n’est pas péjoratif dans ce texte) nos vies professionnelle et personnelle, quels que soient notre métier, notre âge, notre niveau d’éducation ou notre classe sociale.
Ensuite, il faut que ces innovations de rupture se diffusent largement dans la société. Là encore les GAFA ont réussi cette diffusion massive. Ils ont fait apparaître de nouveaux modes de consommation, de nouveaux modes de production, et – de façon encore plus visible depuis la pandémie – une accélération de l’émergence de nouveaux modes d’organisation du travail.
Un changement de règles
Le meilleur témoignage que j’ai pu lire ces dernières années en matière d’innovations de rupture (encore appelées disruption dans les salons) est celui de David Einhorn, président du hedge fund Greenlight :
« Durant sa conférence de présentation des résultats du deuxième trimestre 2017, le directeur général de Netflix a indiqué : ‘Dans un certain sens, une trésorerie nette négative indique que Netflix est capable de modifier l’économie des spectacles de one-man-show en faveur des comédiens.’ […]
Etant donné la performance de certaines actions, nous nous demandons si le marché n’a pas adopté un autre modèle d’évaluation pour calculer la valeur d’une action.
La valeur n’aurait plus rien à voir avec les bénéfices actuels ou futurs mais dériverait de la faculté d’une entreprise d’être ‘perturbatrice’, de provoquer des changements sociaux, ou de faire avancer de nouvelles technologies, même si, ce faisant, elle dégagera des pertes dans le présent et le futur. »
Nous ne sommes pas aussi radicaux et restons plutôt traditionnalistes en finance. Nous considérons donc que les lois économiques ne peuvent être transgressées sans dommage et qu’en conséquence le prix d’une action dépendra toujours de ses perspectives de bénéfices.
Mais il faut tout de même se demander si, finalement, les actions de ces entreprises technologiques ne bénéficient pas – en plus de leurs valorisations basées sur leurs bons fondamentaux financiers – d’une prime exceptionnelle liée à leur caractère disruptif.
Dans ces conditions, il ne sert à rien d’être vendeur sur Google (Alphabet), Apple, Facebook (désormais Meta), Amazon. Et sans doute est-il encore plus dangereux d’être vendeur sur Tesla, Nvidia ou Netflix
N’oublions jamais que, lorsque d’importants changements sont intervenus par le passé, les prétendues élites ont souvent été les dernières à s’en rendre compte. Notamment parce que, à force de communiquer en vase clos, elles vivent dans une déconnexion inquiétante qui les éloigne de plus en plus de la réalité.