** Warren Buffett a-t-il senti, grâce à son flair légendaire, qu’il était temps ce mardi de faire souffler un vent d’espoir sur Wall Street ? Henry Paulson avertissait en effet presque simultanément les marchés qu’une consolidation de l’immobilier est nécessaire tandis que la crise des subprime n’avait encore atteint que le stade du début du pire ?
Répondant en direct à une interview sur CNBC, Warren Buffett annonçait hier avoir proposé à trois des principaux réhausseurs de crédit américains (MBIA, Ambac et FGIC) de garantir l’équivalent de 800 milliards de dollars de bons municipaux.
Les monoliners sont donc déchargés du risque associé aux émissions des collectivités territoriales ; l’activité est historiquement peu risquée mais elle s’avère — compte tenu de gigantesques encours — très gourmande en capitaux. Les monoliners pourront ainsi se consacrer beaucoup plus efficacement à la restructuration du financement de leurs portefeuilles de CDO et de CDS minés par la crise du subprime : moins d’argent à lever, moins de créances à assurer.
Si Warren Buffett sort de sa semi-retraite pour tenter ce qui pourrait demeurer le plus gros coup de sa carrière — médiatiquement, cela provoque déjà un buzz énorme — c’est que le jeu peut en valoir la chandelle. La holding Berkshire Hathaway s’assurerait de substantielles plus-values en capital si un rétablissement de l’appétit pour le risque faisait reculer la décote des bons municipaux, décote qui s’explique en grande partie par la vulnérabilité des monoliners qui assument la gestion de ce risque.
Les encours visés par Warren Buffett sont majoritairement des émissions long terme d’une durée supérieure à 15 ou 20 ans. Elles s’apparentent donc à des créances immobilières classiques même si elles restent, d’une certaine manière, garanties en dernier ressort par le contribuable américain — soumis aux caprices de la fiscalité locale.
** La proposition de Warren Buffett — qui appartient à la catégorie de celles qui ne se refusent pas — tombe à pic pour les deux plus gros réhausseurs de crédit américains (MBIA et Ambac Financial). Ces derniers n’ont plus qu’une quinzaine de jours pour lever de l’argent frais ou trouver un adossement avant de voir leur notation dégradée par les agences de rating.
Mais se laisseront-ils déposséder — au moins en partie — de leurs actifs les moins risqués et qui constituent initialement leur coeur de métier ? Le raisonnement que se tient le « sage d’Omaha » pourrait faire école et inciter certains très gros détenteurs de capitaux moyen- orientaux ou asiatiques à frapper un grand coup en prenant le contrôle d’un pan entier d’une activité de crédit vitale pour l’économie américaine.
Wall Street estime cependant que les lignes viennent de bouger et que les investisseurs n’ont que des avantages à tirer d’une éventuelle bataille d’enchère centrée sur la partie la moins risquée des portefeuilles de créances municipales — dont le taux de défaillance est historiquement très faible.
Le climat d’orage financier qui règne depuis le 18 janvier dernier — encore assombri ce lundi par l’annonce des déboires potentiels d’AIG dans le secteur des CDS spéculatifs — semble s’adoucir. Les marchés reprennent confiance dans l’avenir, convaincus que le montage faisant intervenir Berkshire Hathaway est le seul qui offre une réponse crédible aux enjeux (risque de crise systémique globale) qui tétanisent les investisseurs depuis l’été 2007.
** Le Dow Jones n’a pas tardé à gagner 1,5% puis 1,75%… avant de s’assagir à 1,1%. Le Nasdaq, moins concerné par la sécurisation de l’industrie des dérivés de crédit, se contentait de clôturer à l’équilibre. Le S&P 500 se satisfaisait quant à lui de 0,7% après avoir affiché plus de 1,5% dans le sillage des valeurs financières… mais ces dernières n’ont pas tenu la distance. MBIA et Ambac Financial, en particulier, ont dévissé de 15% chacune, de peur que le montage proposé par Warren Buffett ne les vide de leur substance sans vraiment résoudre le problème de la déconfiture des CDO et des CDS.
Un autre suspense demeurait mardi soir : comment allait rouvrir Shanghai après la semaine de festivités en l’honneur l’avènement de l’année du Rat ? La chute des places occidentales, de Séoul ou Hong Kong menace de contaminer les deux principales bourses chinoises — Shenzhen étant la seconde en termes de capitalisation.
Cette question n’a guère terni l’enthousiasme du marché parisien. Avec un gain de 3,37%, il s’offre sa troisième plus forte hausse indicielle depuis les 3,6% du 7 juillet 2003 — après l’envolée totalement hors norme, mais sans lendemain, de 6% du 24 janvier dernier.
Quel retournement de situation ! Alors que Paris menaçait encore mardi matin d’aligner une sixième séance de repli sur une série de sept (l’indice basculait sous les 4 680 points vers 10h30), l’indice phare a finalement clôturé au plus haut à 4 840 points. Le CAC 40 avale littéralement les quatre séances de repli précédentes, ce qui est une indication graphique clairement haussière.
Les vendeurs se trouvaient contraints de racheter leurs positions short en toute hâte après avoir échoué par trois fois à provoquer la glissade de l’indice sous les 4 680 points — qui aurait sans douté débouché sur le retracement des 4 500 points.
Plus aucune valeur du CAC 40 ne figurait dans le rouge en clôture, et le gonflement des volumes 7,25 milliards d’euros constituait un facteur très encourageant. Le SBF 80, qui mesure l’évolution des valeurs dites moyennes, grimpait également de 3,3%. Ces hausses prouvent que cette séance ne s’est pas résumée à de simples rachats indiciels techniques mais a bel et bien donné lieu à une véritable chasse aux bonnes affaires tous azimuts.
Dommage que Wall Street n’ait pas suivi… mais alors que le Dow Jones cède 6,7% depuis le 1er janvier et le S&P 500 un peu plus de 8%, Paris, Francfort ou Amsterdam accusent un repli de 13,8% en moyenne.
Le paradoxe, c’est que les deux places boursières les plus exposées à l’éclatement d’une bulle immobilière — Londres et Madrid — se montrent les plus résistantes dans un contexte de ralentissement économique anticipé. C’est comme si les déboires des actionnaires de Northern Rock — bientôt nationalisée outre-Manche — et les 40 000 agences immobilières qui ont mis la clé sous la porte en Espagne en 2007 n’étaient les signes précurseurs d’aucune difficulté susceptible d’inquiéter les investisseurs.
Les membres des diverses commissions et instances européennes préfèrent s’affliger des déficits français et italiens — qui n’ont aucun caractère contagieux — plutôt que de consacrer leur énergie mentale à trouver des moyens de désamorcer la crise des subprime qui a déjà mené IKB et West-LB au bord de la faillite et a fait trembler Oddo, Natixis, UBS, la Société Générale (hors incident Kerviel) ou AXA sur leurs bases.
Philippe Béchade,
Paris