Le capitalisme financier règne désormais sur l’économie – et il se base sur la valeur perçue des choses : actions, monnaies, travail… Des notions qu’il est important de comprendre pour pouvoir déjouer les pièges du système.
La forme dominante de l’économie est désormais le capitalisme financier.
La finance conçue comme manipulation de signes consiste à réaliser l’opération magique de placage de l’infini sur du fini. En clair, il s’agit de repousser les limites de l’accumulation.
Le capitalisme financier, maintenant bien mûr, est le sous-produit de sa délirante logique boursière. C’est ce que je soutiens depuis longtemps et de façon renouvelée depuis que les banques centrales sont, comme je le démontre quasi-quotidiennement, otages, prisonnières des Bourses.
L’histoire de la pensée économique est jalonnée par des étapes que je qualifierais de civilisatrices – en ce sens qu’elles influencent la culture et la pratique sociale. Il y a un lien entre valeur et ordre social.
On peut aller plus loin et dire que chaque étape du capitalisme est marquée par l’instauration progressive d’un nouvel imaginaire, d’une nouvelle conception de la valeur.
Au centre de ces étapes se trouve la notion de valeur.
Valeur et consommation
La valeur a d’abord été déterminée par le travail incorporé dans un bien ou un service, puis par l’utilité de ce bien ou service. Finalement, à partir des années 1860/1870 s’est généralisée la notion de valeur produite par la rareté. Ce fut ce que l’on a appelé la révolution marginaliste.
L’auteur qui est à l’origine de la notion moderne de valeur est Léon Walras. Pour comprendre l’origine des prix, il identifie trois théories.
La première, celle des classiques anglais comme David Ricardo, fait du travail le fondement de la valeur. La deuxième, celle de Condillac et de Turgot, reprise en partie par l’économiste britannique William Jevons, la fait dépendre de l’utilité.
La troisième, la sienne, repose sur la rareté. Prenant l’exemple de l’air, il constate que ce bien très utile est gratuit de par son abondance.
Reprenant les idées de Jevons, il affirme que le plaisir que procure la consommation d’une unité de bien dépend de la quantité que l’on en a consommé précédemment, mais complète cette considération par l’idée que ce plaisir dépend également de la difficulté que l’on a à l’obtenir. C’est la combinaison de ces deux éléments qui définit la rareté.
Vous observez que le processus de mutation de la valeur est un triple processus :
– un processus d’abstraction, on va du concret à l’abstrait ;
– un processus de subjectivisation, on va d’une valeur objective en soi à une valeur dans la tête des gens ;
– un processus de désancrage, la valeur est détachée de l’objet, elle flotte, peut faire bulle.
Un processus d’asservissement
La modernité se caractérise par un approfondissement de la subjectivité de la valeur, un perspectivisme qui creuse à tel point la singularité de l’évaluation qu’elle rend introuvable l’étalon universel, le régulateur invariant des échanges.
Ce mouvement est clairement illustré par l’évolution de l’art, parti de la représentation du réel pour devenir interprété par la subjectivité de l’artiste, abstrait puis pure projection de subjectivité… payante. Attrape-nigaud.
Je soutiens qu’il y a un quatrième processus en cours, que je qualifie de processus d’asservissement. C’est le processus par lequel les élites, ayant compris la frivolité de la valeur, mettent en place des moyens de capturer cette valeur et d’en faire ce qui convient à leurs intérêts. Les dominants manipulent les désirs qui vont produire la demande et donc booster la valeur.
On passe du prix des choses au prix que l’on peut accorder aux choses… puis au prix que la rareté confère aux choses. C’est un glissement qui n’est pas instantané, bien sûr, mais qui traverse toute la société, au fil du temps. Le glissement se fait lentement, au rythme du développement inégal au sein de la société.
On passe du prix que l’on peut qualifier de vrai au prix frivole, indéterminé, qui peut aussi bien léviter que s’effondrer. L’étape actuelle est celle de l’instabilité de la valeur.
La valeur-travail est un en-soi, elle dépend du travail socialement nécessaire, certes pas facile à déterminer, mais c’est une donnée objective, on sait que cela existe. A ce titre, ce n’est pas manipulable par les autorités ou les élites.
La valeur comme résultant de la conjonction de l’utilité et de la rareté est semi-objective, manipulable mais avec des limites.
Ainsi, avant, un actif financier était une valeur d’usage, utile puisqu’il procurait un rendement. Dans la modernité actuelle, c’est fini : sa valeur d’usage a disparu, il ne rapporte rien, nous sommes au taux zéro. Sa valeur devient donc purement frivole, simple désir de participer au jeu, à la loterie, au plan de Ponzi.
Que la valeur, en économie, ne soit ancrée ni dans une métaphysique naturaliste du besoin, ni dans le travail nécessaire à la production renvoie aux caprices des participants certes, mais surtout aux codes imposés par les maîtres du jeu, les banques centrales et leur clergé, les Goldman Sachs et autres. Don’t fight the Fed et surtout pas Goldman ou J.P. Morgan.
A suivre…
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]