Dans l’économie, les rapports de forces sont complexes. Qu’est-ce que la monnaie, que sont les échanges – et à quoi nous « obligent »-ils, en réalité ?
L’idée selon laquelle, lors d’un échange volontaire, les deux parties impliquées estiment nécessairement qu’elles seront gagnantes (sinon elles refuseraient tout simplement de procéder à cet échange), est souvent contrée par l’argument suivant : les échanges prennent rarement, voire jamais, la forme d’une transaction horizontale, d’égal à égal. A la place, toute interaction de cette nature entre individus implique nécessairement un rapport de force.
Ce que cela sous-entend, et qui est souvent énoncé explicitement, c’est qu’en réalité il n’existe pas de véritable consentement, qu’un rapport d’exploitation est toujours présent, que l’une des parties est nécessairement gagnante au détriment de l’autre.
Tous esclaves du pouvoir ?
Cette vision plutôt sombre de l’être humain prétend clairement que les individus seraient des esclaves soumis au pouvoir, à la fois en raison de leur propre désir de le posséder et en tant que victimes du pouvoir qu’exercent les autres sur eux. Nous serions en guerre perpétuelle les uns contre les autres […].
Bien qu’il implique toujours un certain degré de rapport de force, le troc, qui consiste à échanger des marchandises les unes contre les autres, est caractérisé par une moindre importance de ces rapports de force.
Dans ce cas de figure, le fait d’échanger par exemple du poisson contre du pain réduit notre capacité à nous appuyer sur l’usage d’une forme de pouvoir, et nous sommes par conséquent forcés, pour ainsi dire, d’accepter un échange plus équitable.
Cependant, l’introduction de la monnaie exacerbe le problème en ayant un impact mystérieusement multiplicateur sur les structures de pouvoir sous-jacentes.
Au cours d’un échange récent sur Twitter, un internaute a résumé cette idée d’une façon admirablement limpide (ce qui est rare) : « un dollar représente un droit, une autorisation à obtenir des ressources, des biens et des services ».
Soif de pouvoir et instinct de mal !
En d’autres termes, l’individu qui dispose d’un dollar ne possède pas seulement quelque chose qu’il peut utiliser pour échanger avec d’autres individus. L’argent permet de commander à d’autres personnes de céder leurs biens – c’est l’expression ultime du pouvoir.
La monnaie libère notre soif féroce de pouvoir et notre désir instinctif de faire du mal aux autres.
Par conséquent, les marchés libèrent le barbare qui sommeille en nous, et pire : ils offrent un cadre dans lequel la cupidité est récompensée en fournissant toutes sortes de biens et de richesses, exprimées en unités monétaires, qui peuvent être utilisées dans notre quête pour soumettre les autres individus.
La seule façon d’empêcher ce processus destructeur d’échapper à tout contrôle consiste à établir une institution sociale visant à maîtriser ces forces, à museler la bête. En d’autres termes, cela nécessite un Etat suffisamment fort pour contrebalancer l’impact néfaste des marchés et pour réprimer, contrôler, nos instincts destructeurs.
C’est en tout cas ce que prétendent les partisans de cette théorie.
Mais décortiquons cette vision des choses bien trop souvent partagée… car en réalité elle n’a aucun sens, même dans les termes qui sont les siens.
Qu’est-ce que la monnaie ?
Ceux qui évoquent le pouvoir de la monnaie hésitent à définir précisément la nature de cette mystérieuse institution. Le manque de clarté qui en résulte explique certaines des erreurs commises.
La monnaie n’est rien d’autre qu’un moyen d’échange, quelque chose qui est couramment accepté — universellement utilisé — dans les échanges commerciaux.
La monnaie aide à faciliter les échanges à travers l’économie en libérant les intervenants de la nécessité de trouver un partenaire qui désire exactement ce qu’ils ont à proposer et qui possèdent exactement ce qu’ils désirent acquérir.
En d’autres termes, la monnaie nous permet de procéder à des échanges indirects : au lieu de limiter ses échanges à des situations de concomitance des besoins, un individu A peut vendre ce qu’il produit à un individu B en échange de monnaie, puis utiliser cette monnaie pour payer un individu C en échange de ce qu’il a à vendre.
Pour dire les choses simplement, les revenus monétaires représentent la valeur de la contribution d’un individu à l’économie ; étant donné que la monnaie est généralement acceptée comme moyen d’échange, elle possède un pouvoir d’achat à peu près égal à cette valeur.
Nous produisons dans le but de consommer, et ce que nous produisons nous permet de consommer tout en nous procurant le pouvoir d’achat nécessaire — qui peut généralement être utilisé au travers de l’institution que représente la monnaie.
Pas d’obligation
Alors à quel moment les notions de pouvoir et de commandement interviennent-elles dans un tel système ?
Eh bien… à aucun moment – car il n’y a aucune obligation pour un vendeur potentiel d’accepter de la monnaie en échange de ce qu’il vend. Et la monnaie n’a certainement aucun pouvoir magique permettant d’acheter ce qui est proposé à la vente quel que soit le prix d’achat offert.
Le vendeur a généralement en tête un prix de réserve en dessous duquel il refusera de vendre son bien. A moins que l’acheteur n’accepte de payer un prix suffisamment élevé, le vendeur refusera l’offre et la transaction n’aura pas lieu.
Le vendeur acceptera de la monnaie en échange de son bien tout simplement parce qu’il s’agit de monnaie, et que cette monnaie pourra donc lui être utile compte tenu du pouvoir d’achat qu’elle procure.
De la bonne volonté… sinon rien
De la même manière, l’acheteur n’accepterait pas de dépenser son argent s’il n’estimait pas que le bien qu’il souhaite acheter possède à ses yeux une valeur plus élevée que le pouvoir d’achat de la monnaie qu’il doit céder en échange.
Par conséquent, le caractère volontaire de l’échange reste un élément factuel. Les deux parties ont le droit de refuser de procéder à la transaction, ce qui signifie que celle-ci n’aura lieu que s’ils estiment tous les deux êtres gagnants.
A condition bien sûr qu’il n’y ait aucune fraude et que ce qui est offert dans le cadre de l’échange leur appartienne de façon légitime, nous n’avons aucune raison de remettre en question le caractère éthique d’une telle situation.
Cela reste vrai quelle que soit la nature de la monnaie, étant donné qu’elle est échangée sur la base de son pouvoir d’achat estimé. Cela n’a pas d’importance que la monnaie échangée prenne la forme d’une pièce d’or, d’un certificat monétaire convertible, ou d’une monnaie fiduciaire telle que le dollar.
Cependant, ceux qui pensent que l’argent représente une forme de pouvoir devraient reconnaître qu’une économie basée sur une monnaie-marchandise est finalement très proche d’une économie de troc – à ceci près que les agents économiques sont libérés du problème de la concomitance des besoins.
Comparativement, ils devraient donc être davantage en faveur d’une économie basée sur un étalon-or, par exemple, étant donné que cela laisse une moindre place à l’exercice du pouvoir qu’une économie basée sur un régime de monnaie fiduciaire.
Nous verrons la suite dès demain…
Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici.
1 commentaire
Sauf à ne rien avoir compris, je retiens que l’objectif annoncé de cet article est de démontrer que la monnaie ne donne à son propriétaire aucune autre forme de pouvoir que celui d’éteindre une dette, celle née de la transaction.
Il s’ensuit un cours d’économie éculé, digne du 18ème siècle, qui tend à établir que la monnaie n’est, en définitive, pas plus qu’une forme élaborée du troc et qu’il serait vain de lui reconnaître tout autre dimension.
L’argument est bien faible et le propos obsolète.
Aucune démonstration n’est apportée, en aucune manière, qui viendrait abattre l’affirmation selon laquelle la monnaie recèle un pouvoir spécifique.
La manœuvre de l’auteur consiste en fait à inverser ou substituer la réalité à la théorie, c’est-à-dire, à qualifier de théorie la réalité vraie, vécue par les milliards de femmes et d’hommes qui participent quotidiennement à l’économie, puis de présenter une théorie simpliste en espérant que les poncifs exposés, renforcés par leur fausse évidence, finissent par former dans les esprits crédules la seule réalité acceptable.
Décidément, en ces temps troublés, le déni de la réalité est le virus le plus contaminant qui soit.
Dans la deuxième partie de ce billet (à venir), je ne serais guère surpris que l’auteur avance que le rôle ou l’impact de la monnaie dans l’économie, tout compte fait, est absolument… neutre.
Mieux encore, il pourrait y être affirmer que celui qui détient le pouvoir de création monétaire (monnaie scripturale) ne jouit d’aucun privilège mais assume plutôt une lourde servitude au service du bien commun.
J’assume pleinemenent ce procès d’intention, tant je sens poindre de tels assertions sous la plume de l’auteur !
AU final, dans ces circonstances, je m’interroge des intérêts que cet article entreprend de protéger.
Mon intuition est qu’il s’agit de ceux d’individus qui possèdent de très grandes quantités de signes monétaires.
Cette catégorie de personnes est la seule qui puisse se féliciter de ce que représente et permet la monnaie aujourd’hui.
De leur point de vue, tout est parfait.
De mon point de vue, soutenir que la monnaie est au service de tous, de façon juste et équitable à proportion des transactions que chacun réalise, est d’un cynisme dont l’étendue et la profondeur défient celles du cosmos.
Chacun est libre d’user de sa liberté d’expression.
Néanmoins j’en appelle à la décence quant à l’intensité des manipulations qui portent sur les idées et les concepts, voire les esprits – s’il vous plaît.
Merci.