L’Allemagne s’essouffle… et cela remet fondamentalement en question les rapports de force au sein de la Zone euro : est-ce durable ?
Nos dirigeants continuent de miser sur le « couple franco-allemand », comme nous l’avons vu il y a quelques jours.
Pourtant, l’Allemagne d’Angela Merkel n’a plus grand chose à voir avec la RFA de Konrad Adenauer ou d’Helmut Kohl. Dans une Union européenne (UE) désormais germano-centrée, l’Allemagne a beaucoup moins de raisons de se montrer coopérative avec ses partenaires.
La croissance allemande en berne est-elle simplement passagère ou bien est-elle annonciatrice d’un changement de paradigme qui va faire basculer les rapports de force en Europe ?
Des perspectives de croissance encore à la baisse en Zone euro
Comme je vous le rapportais au mois de mars, la Banque centrale européenne ne cesse de revoir les prévisions de croissance de la Zone euro à la baisse.
Début mai, c’était au tour de la Commission européenne de publier de nouveaux chiffres, ce qui a été l’occasion d’entériner la dégradation des perspectives pour 2019 et 2020.
Certes, on ne parle que de -0,1% de croissance pour les deux années. Mais cela commence à faire longtemps que la même petite musique résonne à Bruxelles.
Après le 1,9% enregistré en 2018, la Commission prévoit ainsi 1,2% de croissance en Zone euro pour 2019 et 1,5% en 2020. La BCE est plus pessimiste pour 2019, avec 1,1% de croissance prévue… mais plus optimiste pour 2020, avec 1,6% attendu.
Sur le banc des accusés, on trouve des incertitudes sur le commerce mondial et l’éventualité d’un Brexit sans accord.
Le reste de l’UE s’en sort beaucoup mieux que les pays ayant adopté la monnaie unique, puisque la prévision de croissance de l’UE28 en 2019 devrait être de 1,4% (soit 0,2% de plus que la Zone euro) selon la Commission, comme vous pouvez le constater sur le graphique ci-dessous.
Notez qu’au niveau des indices de production manufacturière, on vient de toucher un plus bas de six ans en Zone euro.
Au mois de février déjà, la production industrielle de la zone venait de chuter « à un rythme que l’on n’avait pas vu depuis la grande crise financière », comme le relevait alors Bloomberg.
Quand l’Allemagne tangue, c’est toute la Zone euro qui bat de l’aile
Comme le rapportait Bruno Bertez :
« Cette révision est due presque exclusivement à l’Allemagne, dont la croissance du PIB tomberait à 0,5% cette année avant de rebondir à 1,5% en 2020. »
Par ailleurs, la Commission « maintient ses anticipations médiocres pour l’économie française à 1,3% pour 2019 puis 1,5% pour 2020. »
La situation outre-Rhin est donc largement pire que ce que redoutait l’Office fédéral des statistiques allemand au mois de mars, lequel prévoyait encore une croissance à 0,8% pour 2019.
Or quand ça tangue en Allemagne, ça ne peut que balancer en Zone euro :
L’activité manufacturière va-t-elle finir de dégringoler outre-Rhin ?
Malheureusement, les choses n’ont pas l’air de s’arranger en Allemagne.
Comme vous le savez, la France (tout comme l’Italie et l’Espagne) s’est engagée sur la voie de sa désindustrialisation. Cela est dû au fait que les générations de politiciens français qui se sont succédé au pouvoir depuis l’entrée en vigueur de l’euro n’ont pas envisagé une seule seconde de réformer sérieusement les règles du jeu économique du pays.
Conséquence : la production industrielle manufacturière européenne est de plus en plus concentrée en Allemagne.Source : Natixis
Il n’y a donc rien que de très normal à ce que le graphique de l’indice PMI allemand soit le même que celui de la Zone euro, mais avec des variations bien plus accentuées.
« Après la pluie, le beau temps », vous dites-vous peut-être à ce stade ? La Commission ne prévoit-elle pas en effet 1,5% de croissance pour l’Allemagne en 2020, après le piteux 0,5% de croissance de 2019 ?
L’année prochaine devrait certes être moins catastrophique sur le plan de l’activité économique en Allemagne, mais peu importe le court terme. La seule question qui vaille est la suivante.
Les causes du déclin de la croissance allemande sont-elles d’ordre conjoncturel ou structurel ?
Dans un Flash Eco en date du 27 mars, Natixis relève qu’outre le fait d’avoir une croissance parmi les plus faibles en 2019, l’Allemagne sera la seule grande économie de la zone qui enregistrera une croissance inférieure à sa croissance potentielle (que la banque estimait alors à 1,6%).
Parmi la ribambelle de pays européens qui affichent une croissance lamentable, Natixis en conclut que « le cas plus inquiétant est celui de l’Allemagne ». « C’est donc la faiblesse de l’économie allemande qu’il faut analyser et qui doit inquiéter », poursuit-elle.
Pour expliquer « cette faiblesse particulière de l’économie allemande », l’équipe de Patrick Artus avance trois raisons :
« – Le pessimisme croissant des consommateurs allemands, d’où la hausse de l’épargne de précaution
– la perte de compétitivité-coût et en conséquence des pertes de parts de marché ;
– le poids élevé de l’industrie et le ralentissement cyclique mondial dans l’industrie (automobile, biens d’équipement…). »
C’est bien sûr ce dernier facteur qui est le plus gênant puisqu’il touche à la structure même du modèle économique allemand, alors que le premier facteur n’est que conjoncturel et que le deuxième ressort à un choix de politique interne.
Nous reviendrons prochainement sur les conséquences que cette évolution pourrait avoir sur l’Allemagne à moyen/long terme.