La normalisation des taux directeurs sera-t-elle impossible ? Le nouveau jargon de Jerome Powell parle d’objectif de « taux neutre », mais qu’est-ce exactement ?
Selon Natixis le 24 septembre 2018, la normalisation monétaire ne se produira pas.
Voici ce qu’écrivait l’équipe de recherche de Patrick Artus :
« Nous pensons que, même aux Etats-Unis, la normalisation de la politique monétaire a commencé trop tard. Le retour au plein emploi va ralentir l’économie américaine, et probablement la croissance va ensuite passer en dessous de la croissance potentielle. Il est alors possible qu’en 2019 les taux d’intérêt de la Réserve fédérale augmentent moins que ce qu’elle annonce aujourd’hui ou même que ce qu’anticipent les marchés financiers. […] La normalisation des taux d’intérêt par la Réserve fédérale ne pourra donc pas se poursuivre normalement […]. »
Par « même aux Etats-Unis », il faut bien sûr comprendre que les présidents des banques centrales de l’ensemble des autres grandes économies, qui n’ont pas encore entamé leur normalisation monétaire, peuvent d’ores et déjà plier leurs gaules : avec le ralentissement de la croissance qui pointe son nez à l’horizon, il leur sera impossible de remonter les taux. Alors en cas de récession…
Dans leur jargon, les économistes parlent de « normalisation procyclique de la politique monétaire » (par opposition à contracyclique). Comme la banque centrale n’a pas eu le courage de rétablir une politique monétaire conventionnelle lorsque l’économie s’améliorait, elle en est réduite à s’y atteler alors même que l’économie va ralentir, ce qui est loin d’être la plus brillante des idées.
L’entrée en scène médiatique du « taux neutre »
En octobre-novembre, les déclarations de la Fed ont fait grand bruit pour deux changements de la sémantique de la langue de bois.
Tout d’abord, lors de la conférence de presse qui a suivi le FOMC des 25 et 26 septembre, Jerome Powell a retiré le terme « accommodant » qui agrémentait jusqu’alors l’allocution du président de la Fed depuis dix ans, dans le cadre de sa forward guidance des marchés.
Powell a ensuite déclaré le 3 octobre :
« Nous pouvons porter les taux au-delà du taux neutre, mais nous sommes encore loin du taux neutre à ce stade. »
Notez qu’il n’existe pas de calcul officiel du « taux neutre » ou « taux naturel ».
Au sein du FOMC, les colombes le voient à 3,25%, alors que selon Jerome Powell, « nous [en] sommes encore loin ». Le modèle de la règle de Taylor établit un lien entre le taux directeur décidé par la banque centrale et le taux d’inflation ainsi que l’écart entre le niveau du PIB et son niveau potentiel.
Pour les amateurs d’équations farfelues mais qui font sérieux :
Avec it le taux d’intérêt nominal fixé par la banque centrale, rn le taux d’intérêt réel neutre, πt le taux d’inflation réel, π* le taux d’inflation cible, yt le PIB réel, ÿt le PIB potentiel.
Alpha et ß sont là pour faire joli et pouvoir adapter le résultat à ce que vous voulez obtenir.
Bruno Bertez remet les pendules à l’heure sur son blog :
« Ce taux naturel, cette étoile qui sert de guide aux régulateurs est plus haute dans le ciel qu’ils ne le croyaient ! L’étoile phare de la gestion en fait se déplace ! Tout cela est de la fumisterie ; il n’y a pas plus de taux naturel R* que de beurre en branche et cela ne sert qu’à enfumer et à donner une apparence de rationalité et de science à ce qui est purement et simplement du doigt mouillé. La réalité est que l’on navigue entre les écueils. Le vrai débat, celui qui a un sens, est celui de savoir si on laisse l’euphorie se prolonger au risque d’avoir une inflation plus forte que raisonnable dans 18 mois. […] Je ne suis pas sûr que Powell ait fait un choix. »
Un ciel rempli de colombes
L’ancien patron de presse financière n’aperçoit pas encore de faucons à l’horizon, seulement des colombes :
« Notre avis : les excès de liquidités […] restent considérables, les taux réels sont négatifs, aucun seuil n’est franchi. Les conditions financières restent très aisées. On n’a guère retiré le bol de punch sauf pour les émergents endettés en dollars, mais le phénomène s’est estompé. »
Les petites roues n’ont donc pas encore été retirées du vélo, contrairement à ce que prétend Bloomberg :
La Fed pinaille, elle fait semblant d’y croire. Powell se donne une attitude, un style.
Powell est prisonnier de l’Histoire
Vous connaissez peut-être doute Paul Volcker. A la tête de la Fed entre 1979 et 1987, il a joué un rôle crucial dans la victoire de l’économie américaine contre la stagflation qui ravageait les Etats-Unis dans les années 1970. En limitant la croissance de la masse monétaire et augmentant les taux d’intérêt, il a permis à l’économie de s’assainir, mettant un terme brutal au marché haussier de l’or.
Suite à la publication d’un nouvel ouvrage, le fringant nonagénaire (91 ans) a eu l’occasion de faire connaître au public la piètre opinion qu’il a de l’action de Ben Bernanke et de Janet Yellen alors qu’ils étaient à la tête de la Fed.
Powell s’inscrit en fait dans la lignée de ses prédécesseurs.